Artisanat et commerce
Catherine Santschi / Armand Schweingruber
Gens de métier
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Un village rural ne vit pas seulement de l'agriculture. Les soins au bétail, la fabrication et la réparation des outils, la transformation des produits de la terre en denrées alimentaires, l'habillement, tout cela exige des connaissances techniques, un savoir-faire spécialisé qu'on acquiert par apprentissage, et des installations ou des équipements appropriés. Ainsi, chaque village possède sa forge, ses ateliers, son étal de boucher. Les enfants allaient regarder travailler le maréchal-ferrant, le charron, le sabotier. Aujourd'hui encore on va comme au spectacle assister à la mise à mort du cochon. Mais l'économie et la société ont évolué depuis le début du siècle et ont profondément modifié les conditions de travail et même les métiers.
Hongreurs et ongleurs : les auxiliaires de l'élevage
Paysans et bergers savent quels sont les soins courants à donner au bétail, et ils les pratiquent quotidiennement. Mais certaines opérations particulières requièrent la présence de spécialistes, tels les hongreurs, qui faisaient la tournée des fermes pour castrer les jeunes porcs, ou les auxiliaires qui faisaient la toilette des onglons des bêtes.
De la forge à l'atelier de mécanique
Dans la "civilisation du cheval", le maréchal-ferrant joue un rôle essentiel. Il y a dans ce métier un aspect fascinant: pour forger et former ses fers, le maréchal-ferrant doit maîtriser le métal et le feu, par divers procédés qui s'acquièrent par un long apprentissage et restent donc mystérieux pour les profanes. Il doit aussi, pour poser ses fers sans blesser le cheval, connaître non seulement l'anatomie du sabot et du pied, mais encore les réactions de chaque bête prise individuellement. De ce commerce prolongé avec les chevaux résulte une science qui s'apparente à l'art vétérinaire. Aussi les villageois n'hésitent-ils pas à faire appel au maréchal-ferrant lorsqu'un accident ou une maladie touche à leurs chevaux ou à leurs boeufs — puisque le maréchal-ferrant de Dardagny, par exemple, a eu l'occasion de ferrer des boeufs jusqu'en 1934 au moins: c'était la dernière paire de la commune.
Le cas de ce maréchal-ferrant de Dardagny est bien connu par l'étude approfondie qu'en a faite, en 1977, M. Bernard [p. 157] Crettaz, ethnologue. Son activité est très variée. Outre le ferrage des chevaux, Auguste Zoller et ses congénères exécutent, forgent et ajustent toutes sortes de pièces métalliques des véhicules et des machines agricoles traditionnels. Certains ajoutent à ces nombreux talents la serrurerie. Le maréchal-ferrant-forgeron est donc l'homme indispensable dans un village rural, le seul capable de tenir en état l'outillage agricole.
Le développement des techniques qui se manifeste durant tout le XIXe siècle a été très propice à ce métier très varié: de 1820 à 1906, le nombre total des chevaux de trait et de selle dans le canton passe de 1.123 à 4.130. Parallèlement, le XIXe siècle inventif produit toutes sortes d'engins nouveaux pour rationaliser le travail du paysan, engins qui nécessitent des interventions fréquentes du forgeron. Ainsi, en 1900, la plupart des communes genevoises possèdent un forgeron qui est en même temps maréchal-ferrant, parfois serrurier ou charron.
Comment devient-on forgeron?
L'apprentissage de ce ou de ces métiers, l'installation ou la reprise et l'équipement d'une forge coûtent cher dans une société paysanne où l'on n'a pas d'argent. Aussi les maréchaux-ferrants et forgerons se recrutent-ils dans certaines familles, qui se spécialisent dans ce métier. Les jeunes compagnons apprennent les techniques de ferrage et de forgeage en observant leur père et en travaillant avec lui; ils héritent ensuite de la forge. Ainsi, dans la campagne genevoise, de véritables dynasties de forgerons se sont-elles formées: les Besson à Soral, à Avusy et Cartigny, les Forestier à Bernex et Satigny, les Assourou à Perly-Certoux et à Plan-les-Ouates, les Péguet à Troinex, les Béguet à Vandoeuvres et à Choulex. On trouve toutefois aussi des ressortissants d'autres cantons, des fortes têtes venues de Berne ou de Saint-Gall, qui ont tenté l'aventure du compagnonnage malgré l'opposition de leurs parents et se sont endettés pour acheter une forge, travaillant jour et nuit pour l'amortir.
L'évolution du métier: déclin et adaptation
Depuis 1906, le nombre des chevaux a diminué de façon spectaculaire, atteignant le minimum en 1961 avec 751 bêtes. Il augmente à nouveau, mais légèrement, et il ne s'agit là que de chevaux de selle. Parallèlement, le nombre des tracteurs a [p. 158] fortement crû, passant de 189 en 1929 à 1.197 en 1980, et les autres véhicules à moteur se sont multipliés, diversifiés et perfectionnés. Les professions de forgeron et de maréchal-ferrant, et surtout leurs effectifs, ont subi de ce fait de profondes modifications. On dit parfois que le mécanicien a remplacé le maréchal-ferrant. L'examen des carrières individuelles ou familiales fait apparaître plusieurs types d'évolution.
A Landecy, lorsqu'en 1940 Henri Evard s'est installé comme maréchal-ferrant et serrurier, il croyait pouvoir compter sur une clientèle suffisante et régulière. Mais la disparition rapide du cheval de trait et la multiplication des tracteurs l'ont obligé à se recycler. Il quitte son ancienne forge, dont le souvenir subsiste dans l'enseigne du restaurant "Le Fer à Cheval", situé tout à côté, et crée un commerce spécialisé de machines agricoles pour les maraîchers: vis à terreau, planteuses, machines à laver les légumes, brosseuses à céleri, etc. Cette activité nouvelle a donné un second souffle à son entreprise, et c'est sans doute elle qui lui permet d'exercer son ancien métier de maréchal-ferrant, cette fois à titre ambulant: il a établi une petite forge dans les neuf manèges des environs et s'y rend pour ferrer les chevaux de selle, trouvant sur place ceux qui exercent la fonction occasionnelle, mais très importante, de teneur de pied.
A Dardagny, le forgeron-maréchal-ferrant du village a mieux résisté à l'évolution économique que la forge industrielle avec laquelle il coexistait. Aux maréchaux Antoine et Ferdinand Vouaillat succéda, en 1932, le fameux Auguste Zoller. Tandis qu'il reste fidèle à sa vocation, accomplie envers et contre tout, de maréchal-ferrant, son fils est devenu mécanicien et possède un garage, et son petit-fils est serrurier.
En revanche, les entreprises de forges de La Plaine appartiennent à un tout autre domaine. Depuis l'Ancien Régime, il y avait là un martinet, c'est-à-dire un marteau de forge mû par un moulin. Là, comme à Avully et à Sauverny, l'énergie fournie par le Rhône ou par la Versoix était utilisée pour améliorer et augmenter la production du fer forgé. Mais cette industrie ne prit jamais, dans le canton de Genève, des développements importants. Sous l'Ancien Régime, le martinetier de Dardagny était inquiété à cause de sa religion. Le coût, le manque de minerai, la nécessité d'importer le combustible, tout cela rendait les forges et martinets genevois peu concurrentiels.
Dans l'artisanat du métal, il faut encore signaler la disparition des chaudronniers. Il y en avait trois dans la campagne en 1910. En outre le rétameur, qu'on appelait [p. 159] "magnin", faisait la tournée des fermes pour étamer les ustensiles de cuisine et de ferme, et boucher les trous. Il captivait les enfants avec ses mains toujours noires, son vieux chapeau informe et sa manière de faire briller les couverts en les trempant dans un bain de métal. Cet artisanat du fer survit dans la ferblanterie, qui s'est fortement développée et bénéficie du dynamisme de l'industrie du bâtiment. Ainsi, la nombreuse famille des Viglino, venue en 1874 de la Vallée d'Aoste, établie à Plan-les-Ouates et à Bardonnex où elle pratiquait la chaudronnerie et le rétamage, se perpétue dans une entreprise d'installations sanitaires.
Charrons, tonneliers et autres artisans du bois
La "civilisation du cheval" est étroitement liée à la fabrication des chars. Au début du siècle, les charrons étaient un peu moins nombreux que les forgerons-maréchaux-ferrants, mais également répandus dans les villages importants du canton. Déjà, les manufactures de Genève et de Carouge leur faisaient concurrence. Dans cette profession aussi, on note des dynasties locales, les Brichet à Bardonnex, à Vernier et à Veyrier, les Philippe à Plan-les-Ouates et à Bernex, les Chalut à Lullier, les Oltramare à Cartigny.
Plusieurs charrons sont issus de familles de forgerons ou sont eux-même forgerons. Mais comme dans les autres métiers manuels de la campagne, des immigrés de Suisse alémanique s'installent et fondent des entreprises durables [p. 160]: Jost, Albert et Jacob Bucheli à Cologny, Fritz Berner à Corsier, Friedrich Krebs à Versoix, par exemple.
Le métier de charron a moins bien résisté que celui de forgeron aux mutations technologiques du XXe siècle. Tandis que les forgerons se sont maintenus en se recyclant dans la mécanique, l'achat-vente de machines agricoles ou la serrurerie, les charrons ont pratiquement disparu. Les uns, orientés plutôt vers le métal, sont redevenus forgerons et ont suivi le destin de cette profession. Les Chalut, qui fabriquaient des chars à Petit-Lullier (Jussy) depuis le XIXe siècle, exploitent aujourd'hui une entreprise de machines agricoles.
Mais la civilisation du char, c'est aussi la civilisation du bois. De nombreux charrons sont en même temps tonneliers, car il y a une parenté réelle entre l'art de fabriquer les roues, et les techniques traditionnelles de préparation, de rabotage des douves, d'arrondissement et d'ajustage du bois. Dans ce canton viticole, même avant l'essor de la seconde moitié du XXe siècle, il y a place pour plusieurs tonneliers. Mais même dans les communes viticoles, certains tonneliers complètent leurs revenus par d'autres activités annexes, en particulier la tenue d'un café. A Bernex, les tonneliers Emile Philippe en 1910, Clément Miguet en 1925, François Miguet en 1936, tiennent un café; Jean Bocquet est distillateur. La tonnellerie peut aussi être liée au commerce de vins en gros, chez Charles Schmidt, à Collonge-Bellerive en 1925, chez Ernst Friedrich et ses successeurs entre 1910 et 1955. Mais la tonnellerie en tant que telle n'a pu se maintenir que dans des entreprises spécialisées, telles que la maison Bolliger frères à Céligny. Venu de Küttigen, en Argovie, Jakob Bolliger (1843-1910) a travaillé d'abord à Gilly comme ouvrier tonnelier. En 1873, il s'établit à son compte à Céligny. Ses deux fils, Jacques et Charles Bolliger, après avoir appris le métier avec leur père, vont perfectionner leur technique à Küsnacht (Zurich). Jacques Bolliger se réinstalle à Céligny en 1905 et reprend l'atelier à la mort de son père. L'entreprise, qui employa jusqu'à six ou sept ouvriers et apprentis, a fermé ses portes en 1958, et ses outils sont désormais un objet d'étude pour les ethnologues. C'est autant la transformation des techniques de stockage et de transport du vin que la dévalorisation des professions manuelles, qui ont tué le métier de tonnelier.
Quant aux menuisiers et charpentiers, et de manière générale à tous les métiers qui touchent à l'industrie du bâtiment, ils ont aussi tenu et tiennent une grande place dans les communautés rurales. Moyennant une adaptation à la vie et à la technique, leur existence est assurée. Mais c'est justement parce que leur activité est liée aussi bien à la ville qu'à la campagne, que ces métiers subsistent. Ils seront [p. 161] évoqués dans le volume que cette Encyclopédie consacre à l'industrie.
Selliers, tailleurs et couturières
D'autres métiers sont liés à l'ancienne société campagnarde et ont disparu avec l'évolution des moeurs et des techniques.
Ainsi, les agglomérations les plus importantes avaient un atelier de sellier. Il fabriquait ou réparait non seulement les selles, mais toutes les autres pièces du harnachement et de l'attelage. Le printemps venu, le sellier passait d'une ferme à l'autre pour remettre en état toute cette partie de l'outillage. Aujourd'hui, les selliers travaillent encore pour l'armée, pour les fabrique de selles, ou s'orientent vers la maroquinerie. Quelques-uns se sont recyclés dans la carrosserie et les rares artisans qui sont restés à la campagne pour pratiquer ce métier sont plutôt tapissiers et matelassiers. [p. 162]
Les effectifs des couturières, tailleurs et tailleuses, qui autrefois allaient chez les particuliers en journée pour confectionner les habits des parents et des enfants, ont fortement diminué. En 1900, on en dénombrait une centaine dans les communes rurales, sans compter les artisans venus de Haute-Savoie ou du Pays de Gex qui oeuvraient dans certaines communes proches de la frontière. Mais la simplification du costume, les variations de la mode, les ressources offertes par les grands magasins et par les commerces de confection qui s'établissent en ville, dans les communes suburbaines et même dans quelques agglomérations telles que Dardagny-La Plaine, tout cela a porté des coups mortels à la profession de couturière en journée.
Le métier de sabotier a diminué de manière encore plus spectaculaire, puisque leur nombre dans les communes rurales a passé de dix-huit en 1900 (dont un galocheur) à trois en 1910, et un en 1925. Parallèlement, des magasins de chaussures s'établissent dans plusieurs agglomérations. Aujourd'hui, les outils du sabotier ne sont plus que des objets de musée.
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La transformation des produits alimentaires
Du blé à la farine: fléaux et battoirs
L'image des hommes debout autour d'une aire, battant le blé en cadence avec un fléau articulé, appartient à la littérature champêtre depuis le XIXe siècle. C'est en effet en 1786 qu'un technicien allemand du nom de Meichle a inventé la première batteuse dans ses parties essentielles. L'engin, de plus en plus perfectionné, a pénétré dans les campagnes grâce aux sociétés d'agronomie et aux associations d'agriculteurs.
Les entreprises de battage mécanique apparaissent dès 1928, exploitant une batteuse avec moteur à vapeur, qui se déplaçait dès l'automne venu dans tous les villages. Elles sont gérées soit par un particulier qui est le possesseur de la batteuse, soit par une coopérative des paysans d'une commune ou d'un village, qui s'organisent pour acheter et utiliser en commun une batteuse. La disparition progressive des petits domaines agricoles, ainsi que les perfectionnements apportés par les moissonneuses-batteuses, ont porté des coups mortels au battage traditionnel.
Moulins et minoteries
La première mention des moulins genevois date de 563: en cette année, raconte l'évêque Marius d'Avenches, la chute du Tauredunum provoqua un tel raz de marée que les moulins situés au bord du Rhône à Genève furent détruits.
Les emplacements les plus favorables de chaque cours d'eau étaient mis à profit pour la construction d'un ou de plusieurs rouages. Ainsi, c'est l'énergie hydraulique qui détermine les premières zones industrielles du pays genevois. Il y avait des moulins sur l'Hermance, sur le nant d'Aisy à Corsier, sur le Foron, sur la Seymaz, sur l'Arve, sur la Drize, sur le Rhône, sur la Laire, sur l'Eaumorte, sur l'Allondon, sur la Versoix en grand nombre. Le Rhône et les rivières telles que l'Arve avaient un débit suffisant pour assurer un fonctionnement continu des moulins. C'est ce qui a permis aux industries établies à Carouge, à Plainpalais, à Versoix et à Dardagny-La Plaine de prendre une confortable avance sur tous les autres moulins.
On remédie à la faiblesse ou à l'irrégularité des autres cours d'eau en creusant, en amont du moulin, un étang qui servait de réservoir, fermé par une écluse. En aval de l'étang, on creusait un canal (bief), que l'on prolongeait par un canal de bois où l'eau pouvait couler avec plus de force et actionner ainsi la grande roue qui entraînait les mécanismes à l'intérieur [p. 164] du moulin. On retrouve encore dans quelques endroits où elles ont été entretenues par la piété des amoureux de la campagne, quelques-unes de ces installations. Mais le plus souvent, dans un canton très peuplé et exploité, seuls la toponymie, les enseignes de restaurants ou même les actes notariés anciens permettent de connaître avec quelle ingéniosité et quelle ténacité les habitants de la campagne genevoise ont su tirer parti du moindre ruisselet et exploiter l'énergie hydraulique qu'il fournissait.
Pour ne prendre qu'un seul exemple, le 29 avril 1596, les syndics de la communauté d'Hermance (qui dépendait alors du duc de Savoie) chargent le "chapuis" (charpentier) Michaud Montemps, habitant d'Hermance, de réparer ou remplacer toutes les pièces du moulin communal, la grande roue et le rouet du moulin proprement dit, l'arbre, la roue et le rouet du battoir, le toit et les parois entourant la meule et le toit du bâtiment lui-même. Les syndics fournissent le bois de chêne et les tuiles nécessaires et paient 120 florins au charpentier pour son travail.
On le voit, l'installation et l'entretien des moulins coûtaient cher. Seuls de riches particuliers ou des collectivités, telles qu'associations de communiers, pouvaient les assumer. Ainsi, parmi les moulins relevés dans le cadastre du début du XIXe siècle, le moulin de Collex-Bossy appartient à un grand bourgeois de Genève, Jean-François Vasserot de Vincy, ci-devant seigneur de la Bâtie; celui de Céligny (sur le Brassus) à Jean-François Fatio, l'un des plus gros propriétaires de Céligny. Celui de Veigy près de Sézegnin, situé sur la Laire, à la comtesse de Viry; celui de la Grave, à Avusy, à Nicholas Philibert d'Avusy, dit de la Grave. Mais sous l'Ancien Régime, les villages dépendant de Genève n'ont pas connu les monopoles seigneuriaux, qu'on appelait les banalités, qui pesaient si lourd sur les paysans du royaume de France avant la Révolution. Tout au plus le châtelain intervenait-il pour contrôler les mesures utilisées par les meuniers et limiter la construction de moulins sur un cours d'eau lorsque les ouvrages portaient atteinte aux berges ou aux terres situées en aval.
L'énergie hydraulique servait à faire fonctionner des meules — c'est le moulin proprement dit — mais aussi des battoirs. Les plans cadastraux exécutés au début du XIXe siècle par l'administration française indiquent plusieurs battoirs situés le long des rivières: sur l'Arve aux Moulins de Sierne, aux Philosophes (Plainpalais), sur le Rhône à la Coulouvrenière, sur l'Allondon à Malval, sans compter les anciens "Battioux" ou "Battieux" qui sont conservés par la toponymie (voir volume I de cette [p. 165] Encyclopédie, page 96), et ceux qui apparaissent dans les documents d'archives. On y battait la pâte à papier, le chanvre, peut-être le minerai. Les martinets en sont une variante.
Cette petite industrie locale n'a pas résisté à l'évolution technique du XIXe et du XXe siècle, ni aux phénomènes de concentration qui en sont le fruit. Les principaux moulins, les plus perfectionnés, ont fait place à des minoteries: celles de Versoix, de Plainpalais et de la Pallanterie (Collonge-Bellerive); cette dernière est en même temps une entreprise de boulangerie industrielle. Quant au moulin de La Plaine, il possède aujourd'hui le statut de moulin agricole: il exécute la mouture à façon pour la consommation privée des agriculteurs.
Le seul moulin traditionnel qui existe encore aujourd'hui est celui de La Plaine, dont le canal a été remis récemment en état. Mais il ne s'agit là que d'une source d'énergie d'appoint.
De la farine au pain: fours et boulangeries
Les fours appartiennent aussi à l'inventaire de ce qui a disparu, ne laissant de traces que dans l'anthroponymie (Dufour, Dufournet, Fournier) et quelquefois dans les noms de lieux. Au début du XIXe siècle, chaque village avait un ou plusieurs fours, où chacun venait faire cuire son pain ou des gâteaux. C'était un lieu de rencontre pour les femmes du village, qui en profitaient pour apprendre les dernières nouvelles, comme lors des lessives, au bord du lavoir communal. Les fours étaient particulièrement nombreux dans les gros villages des Mandements: à Satigny, par exemple, outre les fours possédés et gérés par les communiers de Satigny, de Peissy et de Choully, les plus grosses fermes avaient un four, capable de faire cuire assez de pain pour un personnel nombreux. En outre, des boulangeries s'établissent dans les villages, offrant aux habitants des produits plus variés et de la pâtisserie. Le boulanger peut être en même temps cafetier ou épicier, ce qui lui permet de tenir tête à la concurrence toujours plus redoutable des boulangeries agricoles.
L'Union (coopérative) agricole, établie à La Repentance (Collonge-Bellerive) en 1911, à laquelle succédera la Boulangerie économique et moulin agricole de la Pallanterie (Vésenaz), la Boulangerie agricole de Corsier (1912), celle de Laconnex (1913), mais surtout la Boulangerie coopérative de La Plaine (1913) livrent en effet aux paysans du pain dont le prix de revient est très inférieur aux produits du boulanger [p. 166] travaillant individuellement. Cette organisation, qui du reste n'existe plus aujourd'hui, sonne le glas des vieux fours de campagne, dont quelques rares rescapés subsistent comme objets ethnologiques, pour satisfaire les sentimentaux et les poètes.
Quant aux boulangeries-pâtisseries, après avoir surmonté le choc des boulangeries agricoles, en revanche elles résistent mal à la concurrence des grandes surfaces et des "supermarchés", où l'on peut faire ses achats sans se déplacer d'un magasin à l'autre. Le métier lui-même, avec ses exigences de travail nocturne, paraît menacé par l'évolution de la société en général et par la baisse de la consommation du pain. Mais c'est là un phénomène plus urbain que campagnard.
C. S.
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Le lait et le fromage: des fruitières aux Laiteries Réunies
Dès le début du XIXe siècle, les éleveurs de bétail bovin ont formé dans chaque village des sociétés coopératives de laiterie pour réunir soir et matin tout le lait produit dans la dernière demi-journée et fabriquer un fromage à pâte dure, assez proche du gruyère — beaucoup de fromagers étaient d'origine bernoise ou fribourgeoise. La fruitière de Chancy a été fondée en 1801, celles de Cartigny et Genthod en 1803, celle d'Avully en 1805. A la même époque, on formule les premières règles d'hygiène et de qualité à l'intention des producteurs. Ces prescriptions, qui interdisent l'addition d'eau, la soustraction de crème, l'apport de lait de vaches ayant récemment vêlé, le mélange avec le lait d'autres animaux, sont fondamentalement les mêmes que celles des règlements actuels.
De nombreux producteurs (environ 450 vers 1850) vendaient déjà individuellement leur lait en ville, les plus proches du centre étant les plus favorisés. Une première laiterie est mentionnée en 1831. On en trouve une dizaine vingt ans plus tard. Autant qu'on peut le savoir, les commerçants intermédiaires s'attribuaient une marge copieuse d'un tiers du prix de vente. Il semble même qu'ils frelataient assez souvent la marchandise à leur profit.
Ces abus ont incité les paysans à se regrouper pour vendre eux-mêmes et sans intermédiaires leur production en ville. La première, la société de Vandoeuvres, ouvre un magasin en ville en 1857. L'opération est un succès, tant pour les [p. 167] producteurs, qui y trouvent leur compte par une rémunération équitable, que pour les consommateurs, qui bénéficient d'une meilleure qualité.
Deux organisations faîtières reprendront l'idée à la fin du siècle. En 1889, une société anonyme de distribution de lait est fondée sous le nom de Laiterie Centrale, et s'installe à la rue de la Servette. Elle est rachetée en 1901 par un groupe de producteurs et devient par là une coopérative agricole. Une autre coopérative, concurrente, la Grande Laiterie Agricole, fondée en 1904 et établie à la rue de la Terrassière, trouve de très nombreux adhérents sur la rive gauche du Rhône et dans quelques villages de Haute-Savoie proches de la frontière.
Les deux sociétés, qui traitent chacune environ dix mille litres de lait par jour, harcelées par l'Association pour la défense des producteurs de lait, concurrencées par la Société coopérative suisse de consommation qui fonde sa propre laiterie en 1908, fusionnent en 1911 et fondent l'Association des Laiteries Genevoises Réunies, Centrale et Agricole. Une centrale laitière apte à traiter 50.000 litres de lait par jour est inaugurée en 1913 à la rue des Noirettes, à Carouge. La nouvelle organisation prospère, malgré des difficultés dues à la mobilisation de la Première Guerre mondiale. En 1923, elle absorbe la Fédération laitière vaudoise-genevoise et reçoit le lait produit jusqu'à Saint-Prex. La raison sociale [p. 168] devient "Laiteries Réunies". C'est dès lors 130.000 litres de lait par jour qui vont être traités. Pour capter tout ce lait et transformer en beurre les excédents saisonniers, les Laiteries Réunies inaugurent en 1929 une nouvelle centrale laitière à Carouge. Elle permet la diversification des activités: lait pasteurisé en bouteilles, yogourt, fromages à pâte molle et à pâte fraîche, conditionnement des oeufs, crèmes glacées, charcuterie. En revanche, les fabrications de fromages à pâte dure en campagne ont progressivement disparu du Canton.
La concurrence avec la Société coopérative suisse de consommation a été réglée en 1933 par la création d'une institution originale, l'Union Laitière SA, qui prévoyait une collaboration entre les Laiteries Réunies, coopérative de producteurs, et la coopérative de consommation. Tandis que celle-ci fermait sa centrale laitière, les Laiteries Réunies ravitaillaient en produits laitiers aussi bien les magasins Coop que les magasins de l'Union Laitière. Ces derniers ont joué un rôle significatif dans le commerce local, puis ont progressivement disparu par suite de la création des grandes surfaces de distribution dans le commerce alimentaire de détail. L'Union Laitière SA a été cédée à Coop-Genève en 1964.
L'évolution des techniques, l'accroissement de la production et le développement de la fonction de distribution ont conduit à la mise en exploitation de nouveaux bâtiments: en 1967 fabrique de glaces et fabrique de charcuterie-boucherie à La Praille (Carouge), et en 1982 la centrale laitière à Plan-les-Ouates. L'ensemble livre 2.200 articles différents.
Les Laitieries Réunies sont l'une des treize fédérations laitières régionales de Suisse. Elles regroupent en tant que sociétaires fournisseurs les coopératives locales de laiterie de quatre secteurs: le canton de Genève, la Côte et le Jura vaudois en arrière de Nyon, les zones franches du Pays de Gex et de la Haute-Savoie. L'approvisionnement est complété chaque automne par du "lait de secours" provenant de Suisse alémanique. Occupant en outre un nombreux personnel frontalier, les Laiteries Réunies sont donc un élément important dans l'économie de la vaste région franco-suisse dont Genève est le centre historique et culturel.
Dans cet ensemble, les producteurs genevois occupent cependant une place qui n'a pas cessé de diminuer, parallèlement à la régression spectaculaire de l'élevage bovin dans le Canton. La plupart des locaux traditionnels des laiteries, qui étaient des lieux de rencontre et d'information, ont été fermés ou affectés à d'autres usages, et la collecte du lait se fait directement à la ferme ou à proximité.
A. S.
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Bouchers, charcutiers et abattoirs
Dans les campagnes, on ne mangeait de viande que dans des occasions exceptionnelles: les fêtes et les grandes invitations, ou une maladie qui obligeait à abattre une pièce de bétail. Aussi, le boucher, qui passait d'une ferme à l'autre pour tuer les bêtes et préparer la viande, était-il un personnage. Il était seul à connaître certaines recettes. Pour lui, il fallait préparer assez d'eau bouillante, l'auge où l'on plongeait le porc, le plot pour charcuter, beaucoup de linges propres, le saloir rempli de saumure prêt à recevoir les morceaux de viande, et tout ce qui était nécessaire à la cochonnaille. Le jour venu, c'était une véritable fête, en particulier pour les enfants qui se rendaient souvent malades à force de manger des "greubons" (parcelles de tissu adipeux qui subsistent dans la marmite après la fonte de la graisse). Aussitôt la boucherie faite, il fallait consommer rapidement — faute d'armoire frigorifique ou de congélateur — les pièces de viande qui n'étaient pas mises au saloir: c'étaient les journées de la fricassée, des atriaux, des boudins.
Il existait dans les villages de petits abattoirs locaux à l'usage des associations locales d'éleveurs. En particulier, une loi cantonale du 29 juin 1921 institue des caisses locales d'assurance mutuelle contre la mortalité du bétail bovin. Les associations ainsi composées se partageaient la viande ou le prix du bétail abattu pour cause de maladie. Ces partages donnaient lieu parfois à des discussions épiques, car on accusait les membres du comité de s'attribuer les meilleurs morceaux. Toutefois, les exigences croissantes d'hygiène et de contrôle des viandes ont réduit à néant l'activité de ces petits abattoirs locaux. En effet, les pièces de bétail abattues d'urgence et sur place ne peuvent plus être vendues, mais sont réservées à la consommation des membres, toujours moins nombreux, des caisses locales d'assurance mutuelle. C'est ainsi que les villages de la campagne dépendent désormais des abattoirs de la Ville de Genève pour la plupart des viandes destinées à la consommation.
Les Abattoirs de la Ville de Genève ont été construits entre 1944 et 1949 à La Praille (sur le territoire de la commune de Lancy) et complètement transformés en 1978 pour répondre aux normes d'hygiène de la Communauté Economique Européenne. Ils ont succédé à d'autres établissements plus anciens, les Abattoirs et boucheries de l'Ile, construits en 1726, convertis en halle en 1876, et le bâtiment de la Jonction, construit en 1877. L'établissement de la Ville de Genève a complètement supplanté ceux des communes suburbaines, telles que Plainpalais, Chêne et Carouge.
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Le commerce local
L'épicerie au village
L'épicerie ou les épiceries-merceries du village sont un lieu de réunion supplémentaire pour les ménagères. Leur présence semblait, dans les années cinquante, faire partie de l'essence même de l'agglomération, et personne, apparemment, ne songeait à les mettre en question. L'épicier, ou souvent l'épicière — car cette activité est pratiquée à près de 50 pour cent par des femmes — connaissait les grossistes, s'efforçait de stocker tous les produits de première nécessité du village, et aussi quelques sucreries pour les enfants. Il dépannait les ménagères, livrait à domicile et laissait imperturbablement les cancans se déverser dans son magasin: obligé par sa position de rester neutre, il était généralement beaucoup trop occupé pour se mêler activement aux conflits locaux. Au reste, les femmes qui allaient trop souvent ou s'attardaient trop longtemps à l'épicerie étaient considérées comme des ménagères mal organisées et accusées de perdre leur temps.
Dans les hameaux et les petits villages, les chalands de l'épicerie n'étaient toutefois pas assez nombreux pour assurer au petit commerçant des revenus suffisants, même avant la concurrence des supermarchés et des grandes surfaces de vente. Les agriculteurs s'efforçaient de vivre en autarcie et dépensaient le moins d'argent possible. Aussi l'épicier et les membres de sa famille complétaient-ils leurs rentrées d'argent à l'aide d'autres activités. Par exemple à Avusy, dans les années trente, l'épicerie de la veuve Alexandrine Curioz était en même temps une mercerie ("couple" très répandu), un café, un dépôt de pain, et même, pendant quelques années, un dépôt de poudre. A Cartigny, à la même époque, les deux épiciers sont en même temps agriculteurs. A Meyrin, pour résister à la concurrence du magasin de vente de l'Union laitière, les épiciers vendent des produits laitiers, de la charcuterie, du tabac, des vins et liqueurs, de la boulangerie; l'un des épiciers est en même temps cordonnier. A Plan-les-Ouates, quatre épiciers ont un café, deux une droguerie; un des épiciers-cafetiers est encore maraîcher. A Hermance, il n'y avait en 1900 qu'un épicier. Le voisinage de la frontière, le développement d'une sorte de tourisme local en a attiré trois autres, qui, dès les années trente et en partie jusqu'à nos jours, font des prodiges de diversité: tabac, papeterie, librairie, droguerie, mercerie, produits laitiers, quincaillerie, aucun des domaines du petit commerce ne leur est étranger.
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La concurrence des grandes surfaces
Cette existence difficile, laborieuse est, depuis les années cinquante, compromise par plusieurs facteurs, d'abord la concurrence des magasins à succursales multiples, qui pratiquent généralement des prix plus bas et offrent souvent plus de choix. A Meyrin, par exemple, en 1965, les quatre commerçants en alimentation générale doivent subir la concurrence d'un centre commercial où l'on trouve des magasins de vente de Market SA, de la Société coopérative Migros, de la Société coopérative suisse de consommation (qui possède encore deux autres succursales sur le territoire de la commune), et de l'Union Laitière SA. En outre, ce centre commercial attire une clientèle possédant voiture, venue de Satigny et des autres communes rurales voisines, dépeuplant ainsi les épiceries de toute une région. Ainsi la motorisation, l'évolution de la condition féminine et de la société en général favorisent ces expéditions lointaines où l'on remplit le coffre de la voiture de toutes les provisions nécessaires à la famille durant une semaine... et le petit commerçant doit se contenter d'une clientèle fidèle, mais qui diminue.
Du marchand de brosses au camion Migros
Pour certains produits particuliers, des marchands ambulants circulaient dans la campagne. Ces personnages souvent pittoresques approvisionnaient les hameaux et les fermes en brosses, en vêtements, et le vendredi en poissons. Ainsi les anciens de Collonge-Bellerive se souviennent fort bien d'un marchand de brosses qu'on appelait le Brossy, qui ne vendait que des brosses à risettes. Un autre, d'origine tchèque, qui passa régulièrement pendant quarante ans, jusqu'à la guerre de 1939-1945, vendait des époussettes, des brosses et des plumeaux. On l'appelait le Brossu. On achetait des vêtements de travail à un nommé Rentchnick qui poussait devant lui un chariot surmonté d'un énorme ballot de vêtements.
Actuellement les colporteurs et les vendeurs à domicile n'ont pas disparu, mais ils ont généralement perdu de leur aspect folklorique. D'autres commerçants "ambulants" rythment par leur passage la vie des villages les plus éloignés: les camions de la Migros, qui apportent une ou deux fois par semaine leurs produits aux ménagères qui ne peuvent se déplacer.
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La vie des cafés
Les cafés et les restaurants de campagne étaient, au début du XXe siècle, aussi abondants et même plus que les épiceries. Leur nombre, à la campagne, a diminué, mais leur fonction demeure, même si elle a évolué, à la suite des profondes mutations subies par le monde des villages.
Les caves campagnardes sous l'Ancien Régime
Dans les terres dépendant de la République, avant la Révolution, la profession de cabaretier était soumise à une autorisation du châtelain et à divers règlements. La permission du châtelain était nécessaire pour servir à boire du vin du pays, nourrir et héberger des clients. En outre, les sujets pouvaient obtenir le droit de vendre leur vin "à pot et à pinte", c'est-à-dire à emporter ou à boire sur place, mais "sans mettre la nappe", c'est-à-dire sans servir de repas à la fourchette, dans des établissements appelés "caves" ou "bouchons". Les châtelains limitaient le nombre de ces caves au strict minimum.
La famille du célibataire
La Révolution, puis la Restauration n'ont pas modifié profondément ces dispositions négatives ou restrictives du gouvernement à l'égard des débits de boissons alcooliques. La loi du 12 mars 1892 soumet l'ouverture ou la reprise d'un café à une autorisation du Département de justice et police; et un arrêté du Conseil d'Etat du 21 février 1934, "considérant que le nombre des restaurants, pensions alimentaires où des boissons alcooliques sont débitées, est actuellement exagéré pour les besoins de la population", soumet les autorisations à l'existence d'un besoin réel pour la population. Ce critère est toujours appliqué. Au début du XXe siècle les petits cafés, liés souvent à des épiceries ou à des entreprises artisanales, étaient extrêmement nombreux. On en comptait une dizaine en moyenne par commune, au moins un par hameau. Un petit café, installé dans une cuisine, souvent tenu par une femme, fournissait un revenu d'appoint à un agriculteur, à un artisan, à un épicier. C'était un lieu de rencontre pour les apéritifs de midi moins le quart, qui réunissaient chaque jour quelques hommes travaillant sur les lieux, c'était la famille des célibataires, la source principale de toute vie sociale.
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Enseignes et symboles
Ces cafés n'avaient pas toujours d'enseigne: on allait chez Jules, ou chez Charles, ou chez la mère Babel. Mais les enseignes elles-mêmes sont des témoignages de la vie quotidienne: la douane et la frontière sont des lieux propices à de tels établissements; les terrains de sport (stand, vélodrome, plages, stades), les gares, les postes, les ports, l'aéroport également. Certaines enseignes se réfèrent à un élément du paysage: platanes, tilleul, croisée, Salève. D'autres à un animal héraldique (Le Lion-d'Or), à un artisan (Le Cheval-Blanc, Le Fer-à-Cheval), ou à la petite société qui s'y réunit (Les Pêcheurs, Les Chasseurs). L'enseigne peut être un symbole civique ou moral: la Croix fédérale, l'Union, les Amis, l'Avenir. La variété et l'ingéniosité de ces enseignes est allée croissant depuis les années vingt, sans doute sous l'influence des Confédérés et des citadins.
De la pinte au restaurant gastronomique
Mais en même temps le caractère des cafés a changé. Le développement des sports, de la conduite automobile, le changement du mode de vie et de travail ont tué la vie traditionnelle des bistrots. Les petites pintes dans une cuisine ont disparu: la dernière, située à Choulex, est un objet de curiosité pour les journalistes. Tandis que subsistent les auberges communales et quelques cafés moyens, points de ralliement des sociétés locales, la prospérité et la civilisation de consommation ont produit un nouveau type d'établissement, le restaurant gastronomique: une ancienne ferme, un ancien café ou un magasin sont luxueusement aménagés par un décorateur qui utilise le cadre rustique et dégage les poutres porteuses en abattant le plafond. Un cuisinier inventif prend la tête des opérations, et à grand renfort de publicité et d'annonces, on lance la nouvelle auberge de campagne, qui attire avant tout des citadins fortunés. Un des exemples les plus caractéristiques est le restaurant du Cheval-Blanc à Vandœuvres, qui fut jusqu'en 1970 une boulangerie assortie d'un café, et qui sert aujourd'hui à une clientèle citadine riche une cuisine italienne raffinée.
On pourrait citer d'autres exemples. L'évolution des cafés de campagne reflète, comme les autres branches de l'industrie et du commerce, la transformation d'une campagne proche de la ville en un tissu urbain, où le paysage agreste n'est plus qu'un but d'excursion pour les citadins.
C. S.
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