Introduction: un lieu d'accueil, de rencontres et d'échanges
Alexandre Hay / Jean de Senarclens
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Le titre de ce volume "Genève, ville internationale" couvre les différents aspects de la vocation de Genève, lieu d'accueil, de rencontres, mais aussi communauté ouverte au monde, qui participe activement à ses destinées par son action humanitaire et par le rayonnement de ses élites.
Hier et aujourd'hui
Cette vocation, cette perméabilité au monde extérieur, on la suit tout au long de son histoire, des invasions et des refuges successifs qui l'on marquée: colonisation romaine, passages des Helvètes, invasion burgonde, apport des commerçants et des financiers italiens et flamands aux foires de Genève, refuges des huguenots français et des réformés italiens, anglais, allemands vers la ville de Calvin, refuges politiques du XIXe et du XXe siècle, sans parler de l'apport considérable d'étrangers dû à la présence, dès 1920, des organisations internationales, gouvernementales ou non.
Or, il faut bien soumettre les étrangers à certaines règles: c'est le statut des étrangers, classés en différentes catégories — saisonniers, frontaliers, annuels, établis, exempts — qui fait l'objet d'un chapitre où l'on relève en particulier que les divergences d'opinion entre le Conseil d'Etat genevois et la Berne fédérale, concernant le statut des saisonniers et celui des réfugiés, posent au Canton de sérieuses difficultés.
Mais qui sont-ils, ces étrangers? Comment, où vivent-ils? Que font-ils? Combien sont-ils? D'où viennent-ils? Quelles sont leurs relations avec la communauté genevoise? Deux témoignages nous aident à le saisir: une enquête journalistique présente le cas d'une quinzaine de non-genevois et un illustre étranger fait part de ses expériences et de ses sentiments à l'égard de Genève.
L'économie n'est pas absente de cet ouvrage: l'apport des étrangers à l'économie genevoise, le tourisme et l'architecture des hôtels font l'objet de chapitres documentés, qui font ressortir tout ce que Genève doit aux étrangers.
La vie internationale
Les relations politiques de Genève avec l'étranger forment le centre, la substance peut-être la plus riche et la plus instructive du volume: relations extérieures de la République de Genève, depuis l'affaire des subsides, en 1486, jusqu'à l'annexion de la Savoie à la France en 1860, relations mêlées de temporel et de spirituel, qu'il s'agisse des rapports de la [p. 8] Genève épiscopale avec les puissances du temps ou de ceux qu'entretenait la Rome protestante avec la France d'Henri IV, l'Angleterre de Cromwell et d'Elisabeth Ire ou les Pays-Bas. Tensions aussi dans ses relations avec les comtes de Genève, les comtes, puis ducs de Savoie, le roi de France, les cantons suisses, chacun cherchant à s'assurer le contrôle de cette position importante, militairement, économiquement et sur le plan religieux. Si Genève a su conserver son indépendance malgré les pressions et les menaces qui pesaient sur elle, c'est grâce à la rivalité de ses voisins. Cette lutte séculaire contre l'envahisseur explique sans doute une certaine froideur à l'égard de l'étranger, mais les manifestations de xénophobie sont rares, compte tenu de la forte proportion d'étrangers: Genève est l'une des seules villes au monde à compter plus du tiers d'étrangers dans sa population, et un autre tiers de Confédérés.
La naissance et le déploiement des organisations internationales commencent par la fondation de la Croix-Rouge, en 1863, événement majeur qui détermine la vocation humanitaire de Genève et qui préfigure sa vocation internationale. Elles se poursuivent par le choix de Genève comme siège de la Société des Nations. L'"Esprit de Genève", fait de confiance dans l'avenir d'une humanité pacifique, perd peu à peu sa crédibilité jusqu'à l'éclatement de la Deuxième Guerre mondiale. Seuls restent en place, parmi les principales organisations internationales, la Croix-Rouge et l'Institut universitaire de hautes études internationales. Mais dès la fin de la guerre, Genève retrouve pleinement son rôle: l'ONU occupe les bureaux vacants de la Société des Nations, l'OIT réintègre ses locaux et peu à peu se complète le visage de la cité internationale, marquée par d'innombrables conférences et des rencontres au sommet, marquée aussi par le message humanitaire de la Croix-Rouge et l'action du Conseil oecuménique des Eglises.
Enfin, les relations de Genève avec les territoires gessien et haut-savoyard qui bordent les 96 pour cent de sa frontière font l'objet de deux chapitres particulièrement actuels, alors que l'on parle de plus en plus de l'Europe des régions et des liens qui se nouent et se renforcent entre Genève et son arrière-pays français. Créer une véritable "regio genevensis" serait faire preuve de l'esprit d'ouverture qui a si bien réussi sur le plan international. Genève retrouverait ainsi sa vocation de capitale régionale, qu'elle a connue au XVe siècle, au moment où le duc de Savoie mettait la main sur l'évêché pour lui, les membres de sa famille ou ses vassaux, rôle auquel elle a totalement renoncé en 1536, en adhérant à la Réforme, puis en se tournant vers les cantons suisses.
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Qu'est-ce qu'un étranger?
On sera peut-être surpris de constater que ce volume consacré aux étrangers traite également des ressortissants d'autres cantons suisses. C'est que l'Encyclopédie de Genève n'est pas une simple photographie de la situation existant à l'heure où elle paraît; elle doit tenir compte de l'histoire, des événements qui ont précédé l'entrée de Genève dans la Confédération et qui ont modelé la Genève d'aujourd'hui.
C'est là un des éléments de la définition, ou plutôt des définitions, que cet ouvrage donne de l'"étranger": lorsqu'on cherche à définir l'étranger, on se trouve nécessairement conduit à définir, comme en contrepoint, le Genevois. Prenons l'Annuaire officiel de la République et canton de Genève, qui doit logiquement contenir la quintessence même du Genevois. Le Grand Conseil compte une majorité de noms à consonance étrangère ou confédérée. Au Conseil d'Etat, cinq présidents sur sept portent des noms de "Genevois du dehors". Le pouvoir judiciaire est lui aussi largement "infiltré" de Genevois de souche récente... et n'oublions pas que le plus glorieux des Genevois, qui a sans le vouloir posé les fondements de la Genève internationale, Jean Calvin, était sujet français.
Qu'est-ce que cela signifie, sinon que Genève possède un pouvoir irrésistible d'assimilation? Après quelques années passées à Genève, après une génération, les habitants en adoptent l'accent et la mentalité. Même les catholiques les plus convaincus ont cet esprit calviniste, revêche et un peu chagrin, qui caractérise, dit-on, la ville du bout du lac.
Alors ce livre est dédié aux étrangers qui ont fait et qui font encore la grandeur et la noblesse de Genève; il est dédié aussi à tous les Genevois dont le grand-père ou la grand-mère sont venus de Varsovie, de Montpellier, des Ormonts ou d'ailleurs.
A. H. et J. de S.
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