Le travail industriel et son cadre

Gabriel Aubert / Bernard Gachet / Charles Hussy / Jean-Marc Lamunière


Les relations collectives de travail à Genève

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Un rôle précurseur

La Révolution française avait interdit les coalitions de travailleurs. Selon la doctrine libérale qui l'inspirait, les conditions de travail des salariés devaient être négociées sur le plan individuel (entre chaque ouvrier et chaque employeur). L'intervention de groupements d'ouvriers, plaçant les rapports de travail sur le plan collectif, paraissait contraire à la liberté économique; elle était ressentie comme une résurgence des corporations.
Les ravages sociaux de la révolution industrielle ont montré les limites de cette idéologie. Vu leurs conditions de travail insalubres et dangereuses, leurs salaires misérables et leurs horaires épuisants (sans compter l'exploitation d'enfants travaillant dès l'âge de 10 ans, treize heures par jour), les ouvriers ont dû se rassembler en syndicats pour obtenir une amélioration de leur sort. Recourant à la grève, ils ont négocié des conventions collectives relevant notamment leurs rétributions et diminuant la durée du travail.
Pour se défendre à leur tour, les employeurs se sont également regroupés en organisations patronales. Ces organisations n'avaient d'ailleurs pas qu'un but défensif: elles se proposaient de faire en sorte que les conditions de travail négociées avec les syndicats s'appliquent au plus grand nombre possible d'entreprises de la branche. Les employeurs ont en effet intérêt à réduire la concurrence d'entreprises dissidentes qui, pratiquant des conditions de travail moins favorables, peuvent offrir aux clients leurs prestations à des prix inférieurs.
La naissance des relations collectives de travail, ainsi rapidement esquissée, peut être illustrée par quelques faits soulignant le rôle de Genève dans ce domaine. La seconde moitié du XIXe siècle fut marquée, en Suisse, par des grèves nombreuses. Les deux plus anciennes conventions recensées dans le pays sont celles conclues à Genève, en 1850, dans l'imprimerie, et en 1857, dans la menuiserie. Les autorités se sont efforcées très tôt de promouvoir la conclusion et l'application de tels accords. La première loi cantonale contraignant les entreprises à respecter la convention collective de la branche, si elles désiraient obtenir des commandes de l'Etat, fut adoptée, à Genève, en 1892. Bien plus, une loi genevoise du 10 février 1900 fut la première en Europe à régir les conventions collectives, appelées alors tarifs: elle statuait que ces tarifs, établis par la voie de la négociation ou de l'arbitrage, avaient force d'usage et s'imposaient dans les relations entre les employeurs et les travailleurs de la branche, sauf accord individuel contraire. [p. 181]
A l'occasion de la révision du code des obligations, en 1911, le législateur fédéral réglementa lui-même la convention collective de travail. La loi genevoise de 1900 avait en partie préfiguré les nouvelles dispositions fédérales.
Ainsi, depuis le début de ce siècle, dans le domaine du droit du travail, Genève allait précéder la Confédération. Parfois trop novatrice, la législation cantonale fut souvent contestée devant le Tribunal fédéral. Néanmoins, même lorsque le législateur genevois fut considéré comme empiétant sur les compétences dévolues à la Confédération, son intervention anticipait, voire stimulait le développement du droit fédéral.
L'exemple le plus connu de ce rôle précurseur date des années trente. Les conflits sociaux durant cette période avaient montré une lacune de la législation fédérale. Le code des obligations, en effet, ne mettait au bénéfice des conventions collectives que les membres des organisations patronales ou syndicales signataires: les salariés d'employeurs dissidents (et les travailleurs dissidents) échappaient à la protection. C'est ainsi que le 24 octobre 1936, le Grand Conseil genevois donnait au Conseil d'Etat la compétence de déclarer obligatoire, pour tous les employeurs et travailleurs d'une même branche, la convention collective établie par la voie de la négociation ou de l'arbitrage. Cette loi, dite "loi Duboule", fut jugée contraire au droit fédéral. Elle ouvrit cependant la voie aux Chambres qui, vingt ans plus tard, le 28 septembre 1956, adoptaient un texte visant le même but.

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Le développement des conventions collectives

Les conventions collectives de travail renferment toutes, implicitement ou explicitement, une clause de paix. Durant la validité de l'accord, les parties ne peuvent recourir aux moyens de combat (grève, lock-out, boycottage) pour en obtenir la modification sur les points qu'il règle (obligation de paix relative). Ainsi, par exemple, si la convention prévoit quatre semaines de vacances, le syndicat ne saurait déclencher un combat, avant l'échéance contractuelle, pour arracher une cinquième semaine. En général, cependant, les conventions renferment une obligation de paix plus étendue: les parties doivent s'abstenir de toute lutte, que celle-ci concerne ou non un point réglé dans la convention (obligation de paix absolue). Pour reprendre l'exemple précédent, le syndicat ne saurait provoquer une grève pour obtenir une semaine supplémentaire de vacances même si la convention ne comporte aucune réglementation en la matière.
C'est dire que, par nature, les conventions collectives sont des instruments de paix sociale. Leur développement dans les diverses branches de l'économie a certainement contribué à la quasi-absence de grèves en Suisse depuis quarante ans.
Un grand tournant fut marqué, à cet égard, peu avant la Seconde Guerre mondiale. Jusqu'à cette époque, les conventions collectives s'étaient répandues en Suisse, dans l'artisanat essentiellement; dans les grandes industries (horlogerie, machines), les employeurs refusaient de reconnaître les syndicats comme interlocuteurs. Ils entendaient demeurer libres de tous liens. Faisant valoir, en particulier, que la vente de leurs produits, destinés à l'exportation, dépendait avant tout des marchés étrangers, ils ne voulaient pas accroître leurs coûts en prenant des engagements rigides dans le cadre de conventions collectives. Par exemple, en 1929, l'organisation patronale suisse de l'industrie des machines (ASM) répondait à la Fédération des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH, aujourd'hui FTMH), qui proposait la conclusion d'une convention collective assortie d'une obligation de paix absolue: "Notre comité estime qu'une réglementation collective des conditions de travail n'est pas un moyen approprié pour développer la paix du travail".
La situation changea en 1937. Sous la pression du Conseil fédéral (qui avait ordonné en 1936, lors de la dévaluation du franc suisse, l'arbitrage obligatoire des conflits touchant la fixation des salaires), le patronat industriel dut renoncer à sa politique hostile aux conventions collectives. A l'occasion d'une importante grève qui menaçait de paralyser l'industrie horlogère, un accord fut conclu dans cette branche le 15 mai 1937 [p. 183], qui instituait l'arbitrage des conflits relatifs aux salaires et à la durée des congés payés; en échange de cet accord, le syndicat renonçait aux mesures de combat. Deux mois plus tard, dans l'industrie des machines, un accord semblable fut signé. L'instigateur principal de ces textes était Konrad président de la FOMH, qui avait obtenu l'appui des deux chefs successifs du département fédéral de l'économie publique, les conseillers fédéraux Schulthess et Obrecht. La convention de paix dans l'horlogerie fut rédigée par ce dernier.
A la fin de la guerre, le dernier bastion important de la résistance aux conventions collectives tombait à Bâle. Après avoir affirmé, en 1942, que "pour une raison de principe, elle ne pouvait entrer en matière sur une revendication du personnel touchant la conclusion d'une convention collective", l'organisation patronale de l'industrie chimique bâloise dut accepter en 1945, sous la menace d'un conflit, une convention qui allait plus loin que les accords susmentionnés de l'horlogerie et des machines: tandis que ceux-ci se bornaient à instituer une procédure d'arbitrage, accompagnée d'une obligation de paix, celle-là comportait une réglementation détaillée des conditions de travail. Par la suite, les accords conclus dans l'horlogerie et dans les machines furent, du reste, complétés par des avenants fixant, eux aussi, les conditions de travail et se transformèrent en conventions détaillées dans les années soixante-dix.
La percée des syndicats dans la grande industrie facilita la conclusion de conventions collectives. Si, en 1938, on en recensait 417 dans toute la Suisse, leur nombre, en 1946, dépassait mille; en 1955, il atteignait mille cinq cents. 

L'avènement de la paix sociale

La signature des accords d'arbitrage et de paix dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines, en 1937, n'entraîna pas, en elle-même, la fin des conflits sociaux. Pour obtenir la conclusion de conventions dans d'autres branches, les syndicats durent souvent recourir à la force. Les années 1946 et 1947 furent marquées (notamment à Genève) par des grèves particulièrement vigoureuses. Ce n'est qu'à partir de 1950 que les hostilités cessèrent (sous réserves de notables exceptions, en particulier durant les années soixante-dix).
La paix du travail ne date donc pas de 1937, contrairement à ce qu'on a trop prétendu lors du cinquantenaire des accords d'arbitrage et de paix dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines. Elle ne s'est instaurée qu'au début des années cinquante. [p. 184]
La quasi-absence de grèves n'est pas, en Suisse, une donnée de la nature. Comme le montrent des recherches récentes, au siècle dernier et au début de ce siècle, les ouvriers, afin d'améliorer leur sort, se sont autant battus en Suisse qu'à l'étranger. Pour comprendre les causes de la paix sociale depuis 1950, il faut considérer le facteur le plus important, qui est de nature politique.
Dès les années trente, le parti socialiste est devenu une composante notable des exécutifs cantonaux. En 1943, le parlement élisait un conseiller fédéral parmi les membres de ce parti. Depuis 1959, après un intermède inattendu, deux socialistes siègent au gouvernement fédéral. C'est un exemple unique en Europe de coalition continue des forces de droite et de gauche dans la gestion des affaires publiques. En outre, l'association de tous les mouvements politiques importants à l'élaboration des lois s'impose d'autant plus que les organisations professionnelles peuvent recourir à l'initiative et au référendum pour essayer de faire triompher leurs propositions ou leurs oppositions.
Le régime de coalition se retrouve dans les cantons, y compris Genève. Il implique la prise en compte des intérêts défendus par les syndicats, dans le cadre de la préparation des lois comme dans celui de leur application.
Bien que les socialistes soient minoritaires, la participation de la gauche à l'exercice du pouvoir paraît entraîner, comme corollaire, la paix sociale. On ne comprendrait pas que la droite, où les milieux patronaux jouissent d'une influence certaine, partage ses responsabilités avec une gauche qui lui ferait la guerre dans les entreprises. Inversement, la gauche ne renoncerait pas aux luttes sur les lieux de travail si elle n'avait la conviction qu'elle peut retirer davantage de la négociation et de la coopération que de la confrontation. A Genève comme dans le reste de la Suisse, la paix du travail dépend de cet équilibre: elle n'a rien d'un acquis définitif. 

Les syndicats

Le taux de syndicalisation, faute de statistique précise, est difficile à évaluer. On admet communément que, sur le plan suisse, il se monte à quelque trente pour cent. Il ne semble pas qu'il soit différent à Genève, en dépit de fortes variations selon les branches. Par exemple, très élevé dans le gros oeuvre (bâtiment) où il atteint quatre-vingt-dix pour cent, il reste extrêmement faible dans le tertiaire.
Ce taux moyen de trente pour cent n'est pas médiocre: semblable à celui de la République fédérale d'Allemagne, il [p. 185] constitue probablement le double (voire, selon les estimations les plus récentes, le triple) de celui qu'on rencontre en France. Les syndicats suisses représentent une force importante, même si, moins enclins à la lutte ouverte que les organisations correspondantes à l'étranger, ils n'attirent pas tous les jours l'attention de l'opinion publique.
Le mouvement syndical, à Genève comme dans le reste de la Suisse, se caractérise par sa diversité. Traditionnellement, les organisations de travailleurs se distinguaient les unes des autres de deux points de vue.
D'abord, selon l'idéologie. Il existe en effet deux grands courants inspirés l'un par la doctrine socialiste, l'autre par la doctrine chrétienne.
Le premier, proche du parti socialiste, regroupe ses forces au sein de l'Union syndicale suisse (environ 440.000 membres). On y trouve notamment la FOBB (Syndicat du bois et du bâtiment), la FTMH (que nous avons déjà rencontrée à propos des accords de 1937), la FCTA (Fédération suisse des travailleurs du commerce, des transports et de l'alimentation), la FTCP (Fédération du personnel du textile, de la chimie et du papier), le SSP-VPOD (Syndicat suisse des services publics), le SLP (Syndicat du livre et du papier).
Les syndicats affiliés à l'Union syndicale suisse forment, à Genève, un cartel (chargé d'un rôle de coordination relativement lâche), l'Union des syndicats du Canton de Genève (USCG), qui rassemble 25.000 salariés cotisants. Selon le rapport annuel 1987-1988 de l'USCG, les deux organisations les plus nombreuses en son sein ont toujours été la FOBB (7.500 membres) et la FTMH (6.800 membres), suivies notamment de la VPOD et de la FCTA (2.000 membres chacune), des diverses organisations d'employés des PTT (1.900 membres en tout), du SLP (1.200 membres) et de la FTCP (900 membres). Les sections genevoises de la FOBB et de la FTMH sont les plus importantes de Suisse dans leurs fédérations; leurs effectifs continuent de croître.
Le deuxième courant, proche du parti démocrate-chrétien, est numériquement moins important (environ 105.000 membres). Il se rassemble sous l'égide de la Confédération des syndicats chrétiens de la Suisse (CSC). Les fédérations les plus importantes sont parallèles à celles de l'Union syndicale: signalons, par exemple, la Fédération chrétienne des ouvriers sur métaux (FCOM), la Fédération chrétienne des travailleurs de la construction (FCTC), La Fédération chrétienne des ouvriers de la chimie, du textile, de l'habillement et du papier (FCOTH), etc. En 1982, l'Association suisse des salariés évangéliques (de tendance protestante) s'est affiliée à la Confédération des syndicats chrétiens de la Suisse. [p. 184]
A Genève, le courant chrétien a été largement absorbé dans les années soixante-dix par le Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT), qui compte quelque 8.000 membres.
Outre ces courants socialiste et chrétien, il existe une branche proche du parti radical, l'Union des syndicats autonomes (quelque 22.000 membres sur le plan suisse; une fraction peu nombreuse se trouve recrutée à Genève).
Du point de vue professionnel, on distingue les organisations d'employés de celles d'ouvriers. Les syndicats socialistes ou chrétiens, à l'origine, se composaient essentiellement de cols bleus. Formant une catégorie à part, les cols blancs avaient leurs propres associations, coiffées par la Fédération des sociétés suisses d'employés (environ 147.000 membres). Bien qu'elle n'y ait pas adhéré, cette fédération est proche de l'Union syndicale suisse.
Sur le plan genevois, l'Association des commis de Genève (8.000 membres) et la Société suisse des employés de commerce (5.000 membres) forment avec l'Union des syndicats du canton de Genève, mentionnée plus haut, la Communauté genevoise d'action syndicale (plus de 40.000 membres). Le SIT, les syndicats chrétiens et l'organisation d'employés proche du parti radical en demeurent écartés.
Souvent, ces diverses organisations s'ignorent ou se combattent. Elles ne craignent pas d'entraver mutuellement leur recrutement. Il y a quelques années, lors du cortège du 1er mai, les organisations majoritaires affiliées à l'Union syndicale avaient fait "cortège à part", pour manifester leur hostilité envers les syndicats minoritaires. Toutefois, en dépit des querelles et des rivalités, les lignes de démarcation entre les diverses tendances vont s'estompant.
D'abord, du point de vue idéologique, le clivage entre syndicats chrétiens (orientés au centre gauche) et syndicats socialistes (orientés davantage à gauche) perd de son importance. Parfois, la référence à l'Eglise catholique le cède devant l'influence de penseurs marxistes. Se détachant des fédérations chrétiennes sur le plan cantonal, mais demeurant lié à leur Confédération sur le plan suisse, le SIT pratique une politique qui se situe autant (sinon plus) à gauche que celle de certains syndicats socialistes.
En outre, au sein même des syndicats affiliés à l'Union syndicale surgissent des divergences très nettes. La FOBB critique la politique de paix du travail de la FTMH, à qui elle reproche une attitude trop conciliante envers le patronat. Supplantant la FTMH, elle est devenue numériquement le syndicat le plus important de Suisse. Elle a déclenché en 1987, comme en contrepoint des célébrations marquant le [p. 187] cinquantenaire des accords de 1937, une courte grève destinée notamment à faire connaître ses réserves envers la paix du travail. La FOBB combat l'influence de la FTMH dans le cartel genevois de l'Union syndicale. Sans doute les conceptions idéologiques jouent-elles un rôle dans cet affrontement.
Il faut relever toutefois que les vues de la FTMH et de la FOBB reflètent en partie la différence entre les conquêtes des deux syndicats. Le premier a obtenu, en 1937, l'arbitrage des conflits touchant la fixation des salaires dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines: si un litige éclate à ce sujet pendant la durée de la convention, ce sont des arbitres qui déterminent les montants des salaires; dans l'industrie des machines, la même procédure sert aussi à fixer les indemnités versées aux travailleurs frappés par des licenciements économiques. Sans être d'application fréquente, elle a permis d'éviter de nombreux conflits, surtout dans les années soixante-dix. La FOBB, pour sa part, n'est pas parvenue à faire inscrire un tel arbitrage dans ses conventions: elle reste liée par les taux fixés dans les textes jusqu'à l'échéance de ces derniers, sans pouvoir solliciter leur modification par un tribunal arbitral. Une telle position de faiblesse explique son attitude ambiguë envers les clauses de paix absolue auxquelles elle continue de souscrire dans les conventions collectives. Du point de vue professionnel également, les traits caractérisant les diverses tendances du mouvement syndical tendent à s'effacer. Tandis que, à l'origine, les fédérations de [p. 188] l'Union syndicale et de la Confédération des syndicats chrétiens regroupaient essentiellement des ouvriers, elles cherchent aujourd'hui à se constituer en syndicats d'industrie, englobant non seulement les cols bleus, mais aussi les cols blancs (ce qui produit évidemment des rivalités avec les associations d'employés). Cette distinction entre ouvriers et employés était particulièrement visible, par exemple, dans l'industrie des machines, régie jusqu'à récemment par deux conventions distinctes, l'une applicable aux premiers, l'autre aux seconds. Depuis 1988, il n'existe plus qu'une seule convention dans la branche, liant, sous le même toit, toutes les organisations de salariés.
En outre, quittant le cadre spécialisé de telle ou telle branche (structure verticale), certaines organisations visent à regrouper en leur sein des salariés de toutes les branches (structure horizontale): c'est le cas du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT). 


Les organisations patronales

Dans le camp patronal, on n'observe pas les mêmes divisions. Le travail est réparti entre deux types d'organisations, qui ont chacune leur propre champ d'action, mais qui collaborent sans heurts. Il s'agit, d'une part, des organisations qui se préoccupent de politique économique et défendent, en particulier, le libéralisme contre les interventions de l'Etat. Ce sont, sur le plan fédéral, l'Union suisse du commerce et de l'industrie (Vorort) et, sur le plan cantonal, la Chambre de commerce et d'industrie. Il s'agit, d'autre part, des associations qui conduisent la politique patronale, défendant les intérêts des employeurs vis-à-vis des syndicats et gérant, souvent, d'opulentes caisses de compensation (assurance-vieillesse et survivants, allocations familiales, vacances, prévoyance professionnelle).
Ces associations sont relativement nombreuses. Leur histoire n'est pas exempte de rivalités suscitées notamment par la concurrence que se livrent leurs caisses de compensation, dont l'importance contribue fortement au prestige et à l'aisance des organisations patronales.
Les organisations d'employeurs se trouvent pour la plupart réunies dans le cadre de l'Union des associations patronales genevoises, qui, à l'instar de la Communauté genevoise d'action syndicale, joue un rôle de coordination souple.
Les associations patronales dans les branches régies par les conventions collectives les plus importantes ont chacune pignon sur rue. Ainsi, par exemple, dans l'industrie des [p. 189] machines, l'Union des industriels en métallurgie (en relation étroite avec l'Association patronale suisse des constructeurs de machines et industriels en métallurgie); dans l'horlogerie, l'Union des fabricants d'horlogerie de Genève, Vaud et Valais, affiliée à la Convention patronale de l'industrie horlogère; dans le bâtiment, la Fédération des métiers du bâtiment; dans la chimie, l'Association des industries chimiques genevoises.
Parmi les associations parties aux conventions mineures, plusieurs sont regroupées au sein de la Fédération des syndicats patronaux. Sauf exception (en particulier les grandes entreprises de la chimie), cette fédération ne réunit pas les organisations patronales des branches industrielles les plus considérables. Elle rassemble en général des employeurs de l'artisanat, du commerce, des services et des professions libérales (par exemple: agents d'assurance, médecins-dentistes, architectes, banquiers privés, entrepreneurs en chauffage, fourreurs, carrossiers).
Le cas du bâtiment illustre la complexité des rapports professionnels au sein d'une branche. La Fédération des métiers du bâtiment rassemble la section genevoise de la Société suisse des entrepreneurs et plus d'une dizaine d'associations dans le second oeuvre (certaines de ces organisations sont affiliées à la Fédération des syndicats patronaux). Parallèlement existent d'autres associations patronales minoritaires (la Fédération patronale de la construction). 

Les conventions collectives 

La diversité des organisations syndicales et patronales explique la complexité du réseau des conventions collectives applicables à Genève. On y recense quelque cent vingt accords; le champ d'application d'une trentaine d'entre eux est national; celui de soixante autres est cantonal; enfin, quelque trente conventions sont conclues au niveau des entreprises. De la sorte, environ la moitié des salariés du secteur privé se trouvent au service d'employeurs liés (soit personnellement, soit en tant que membres d'une association patronale) par une convention collective. Comme on le voit, cinquante pour cent des travailleurs ne bénéficient pas d'une telle protection. Il s'agit en particulier des employés de vastes secteurs du tertiaire.
Le contrôle de la bonne application des conventions collectives est l'affaire des partenaires sociaux. Ces derniers ont institué plus de quatre-vingts commissions paritaires, qui ont pour fonction de surveiller la mise en oeuvre des accords. [p. 190]
En cas de conflit collectif, les intéressés peuvent saisir l'Office cantonal de conciliation, formé de deux membres employeurs et deux membres salariés, siégeant sous la présidence d'un magistrat de carrière. Cet office intervient avec célérité. Sauf si les parties lui demandent de trancher le litige en qualité de tribunal arbitral, il ne peut pas prendre une décision liant les employeurs et les travailleurs concernés. Il se borne à formuler des recommandations, qui bénéficient d'une grande autorité. L'Office genevois de conciliation est certainement de ceux qui fonctionnent le mieux en Suisse. 

Facteurs de cohésion 

La description qui précède fait apparaître une mosaïque, dont le lecteur risque de ne retenir que l'apparence disparate. On ne saurait ignorer, toutefois que, malgré la multiplicité des organisations professionnelles et des conventions collectives, il règne à Genève, dans le monde du travail, une remarquable cohésion d'ensemble.
On a relevé, plus haut, l'importance de la coalition de toutes les forces politiques classiques dans la gestion des affaires publiques. Animé par une telle coalition, l'Etat encourage efficacement la collaboration des partenaires sociaux; il promeut l'application des conventions collectives, même par les employeurs qui se tiennent à l'écart des organisations patronales.
Ainsi, toutes les entreprises qui souhaitent obtenir des commandes de l'Etat doivent respecter la convention collective de leur branche. Lorsqu'elles n'appartiennent pas à l'organisation patronale liée par cette dernière, elles déposent, auprès de l'administration, un engagement aux termes duquel elles promettent d'appliquer à leurs salariés, sous le contrôle de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail, les normes convenues entre les partenaires sociaux.
De même, seuls les employeurs qui respectent les conditions de travail fixées par les conventions collectives sont autorisés à occuper des salariés étrangers non établis. Dans la procédure d'examen des requêtes, l'intervention d'une Commission de préavis tripartite, composée de représentants de l'administration, des organisations patronales et des syndicats, permet de priver de toute nouvelle unité de main-d'oeuvre étrangère les employeurs qui violent les usages consacrés par les conventions collectives. Un tel pouvoir de codécision des partenaires sociaux joue évidemment un rôle crucial dans le cadre d'un marché du travail asséché. [p. 191]
De plus, en cas de conflits individuels, les parties au contrat de travail sont soumises à la juridiction des prud'hommes, compétente quelle que soit la valeur litigieuse. Cette juridiction est composée, en première instance (Tribunal), de cinq juges, dont deux sont choisis parmi les employeurs et deux parmi les travailleurs de la branche (le président est alternativement un employeur ou un travailleur); en seconde instance, la Chambre d'appel est formée de deux juges employeurs et de deux juges salariés, sous la présidence d'un juge à la Cour de justice. De la sorte, employeurs et travailleurs appliquent ensemble, quotidiennement, le droit du travail. Apprenant à se connaître, ils surmontent leurs antagonismes et créent des liens qui contribuent à détendre le climat social. Appelés, en fait, à désigner les juges laïcs, les partenaires sociaux attachent une grande importance à cette juridiction, qui traite les dossiers selon une procédure en principe gratuite, plus simple et plus rapide que celle des tribunaux ordinaires.
Employeurs et travailleurs coopèrent encore dans d'autres organes étatiques. Citons seulement, dans le domaine de l'apprentissage, où les partenaires sociaux jouent un rôle considérable: les commissions d'apprentissage, le conseil central interprofessionnel, le conseil du fonds constitué en faveur de la formation et du perfectionnement professionnels.
Le Canton étant exigu, on retrouve sans surprise les mêmes délégués siégeant dans ces divers organes officiels. Les personnalités patronales ou syndicales marquantes sont peut-être une cinquantaine en tout. Ce petit nombre des acteurs principaux, collaborant fréquemment sur plusieurs plans, constitue, lui aussi, un facteur notable de cohésion. 

G. A.
haut
[p. 192]

Architecture industrielle et forme urbaine


Introduction

Cette étude fait appel à deux types de rapports historiques. D'une part, les relations qu'entretiennent le territoire, la Ville de Genève et l'architecture industrielle, d'autre part le phénomène de permanence et de changement des activités industrielles et de leurs dérivés.
Ne préjugeant d'aucune division arbitraire entre l'aménagement du territoire, l'urbanisme et l'architecture, nous essayons de discerner une série de rapports dialectiques entre les formes telles qu'elles sont réparties, composées et utilisées dans le territoire et dans la ville. La forme urbaine ne peut se matérialiser que par l'architecture. La forme architecturale porte et concrétise les fonctions urbaines. La règle architecturale exprime et stimule la loi urbaine. Toute forme architecturale et urbaine est une aventure à travers le temps; elle acquiert son autonomie et son identité à travers l'histoire. Son évolution repose sur une ambivalence: la conjonction d'une permanence continue et de changements successifs; il n'y a pas d'histoire dont l'étendue soit égale à celle du vécu.
Le corpus considéré est l'ensemble (non-exhaustif) des bâtiments pré-industriels et industriels genevois encore existants, construits du dernier quart du dix huitième siècle au premier quart du vingtième siècle. [p. 193]

L'axe hydraulique du Rhône, 1890 (Lithographie de S. Duc)


La période choisie est définie par trois moments historiques. L'un correspond à la trace bâtie industrielle la plus ancienne: les cabinets d'horlogers et de bijoutiers dans les combles d'immeubles du quartier de Saint-Gervais. Le deuxième est l'adoption des lois cantonales du 9 mars 1929, sur les routes et les constructions, instaurant la création de la première zone industrielle genevoise. La troisième est la loi cantonale du 18 mai 1930, concernant la fusion administrative des trois communes suburbaines des Eaux-Vives, de Plainpalais et du Petit-Saconnex, qui définissent ainsi le territoire communal actuel de la Ville de Genève.
Les facteurs suivants ont été pris en considération: la position géographique et l'implantation des constructions industrielles sur le territoire de la ville de Genève, le type de programme qu'elles accueillent, la variété des composantes de leur architecture.
Les problématiques suivantes ont été abordées:

  • Le contexte urbain: comment le territoire, la ville et l'architecture s'impliquent-ils réciproquement par la présence d'activités industrielles?
  • Les types d'organisation spatiale des bâtiments: quelles pratiques sociales en découlent?
  • Les modes et systèmes de construction: quel rôle ont joué les nouvelles techniques dans la typologie des édifices?
  • L'image architecturale de l'industrie: existe-t-il une rhétorique architecturale exprimant l'activité industrielle?
  • Les options nouvelles relatives à l'implantation, à la forme et à l'utilisation des bâtiments industriels infléchissent-elles l'évolution future de l'agglomération?

Le contexte urbain 

Les plus anciens bâtiments industriels genevois que l'on connaisse remontent au dernier quart du dix-huitième siècle. Installés essentiellement sur la rive droite, dans les faubourgs de Saint-Gervais et de Chantepoulet, il s'agit principalement d'ateliers de fabrication et de montage de montres et d'ateliers de bijouterie. Production artisanale de luxe, ces fabriques exigent peu d'espace de travail et de stockage. Comme ils ne sont pas ou peu mécanisés, leurs besoins énergétiques sont restreints et leur souplesse d'implantation et d'adaptation très grande. (Atelier 9, rue Rousseau, XVIIe siècle, ill. 1; Manufacture 25, rue Chantepoulet, 1798, ill. 2). En revanche, la nécessité d'une main-d'oeuvre nombreuse et qualifiée, comme le caractère international de leur production, les [p. 194] poussent à s'installer dans les quartiers populaires, à proximité des portes de la ville et des grandes voies de communication.
Situées sur un parcellaire et un tissu moyenâgeux (parcelles longues et étroites, cf. plan Billon, 1726) les formes et les organisations de ces ateliers dépendent de la fonction première de ce tissu: l'immeuble de logement que les ateliers coiffent en attique.
Puis, la production industrielle se mécanisant, les fabriques s'implantent le long des voies d'eau et à proximité des bâtiments produisant l'énergie, telles la première usine élévatoire à vapeur, 1880 (ill. 3), l'usine hydraulique du Pont de la Machine (1843-1872) (ill. 4), l'usine des Forces motrices (1885-1892) (voir page 30), installées le long du Rhône, suivies par les minoteries et moulins, les Minoteries de Plainpalais (1898-1899) (ill. 5), du Clos de la Fonderie (1899) (ill. 6), grandes consommatrices d'eau et d'énergie hydraulique sur l'Arve. Le parcellaire qui leur est destiné est alors plus large, leur permettant d'appliquer les normes déjà "tayloristes" des modes de production et, par conséquent, une typologie manufacturière bientôt mécanisée. Certains ateliers, parce qu'ils fabriquent des objets de luxe, nécessitent peu d'espace et se maintiennent en ville ou dans les zones d'extension urbaine (Patek Philippe, 1891-1892; usine Simba, 1899).
Enfin, l'industrie d'objets semi-finis et l'industrie lourde requièrent de grandes surfaces et s'installent résolument en périphérie, sur de grandes parcelles agricoles (Kugler 1898-1899) (ill. 7) et le long des voies ferrées (Sécheron, 1892; Charmilles, 1899). La ligne Genève-Lyon a été ouverte en 1857 et celle de Genève-Lausanne en 1858. L'influence du chemin de fer est moins directe que celle des ports-francs, qui s'implantent à Montbrillant, dès 1888, près de la gare de Cornavin.
Le développement du tramway contribue aussi à l'implantation industrielle hors de la ville: il facilite les mouvements pendulaires entre les lieux d'habitation et de travail (tramway à voie étroite, à vapeur en 1868-1890; tramway Genève-Veyrier, 1887; tramways électriques dès 1884). Le mode de production de l'entreprise, et par conséquent son plan type, s'impose alors au parcellaire et le détermine.
Ainsi deux conceptions d'occupation de l'espace industriel se mettent en place: l'une urbaine ou semi-urbaine s'organise en coupe, à la verticale sur un tissu encore relativement étroit, l'autre radicalement suburbaine, s'organise horizontalement sur de plus larges espaces.
D'une part, les constructions s'établissent sur des parcelles de petites dimensions régies par l'ordre contigu des zones [p. 195: images / p. 196] d'expansion urbaine dessinées sur l'emplacement des anciennes fortifications (le "Ring"). Dans ce cas, l'espace industriel accepte les règles urbaines de construction, mais ne se mélange pas à une autre activité, comme le logement ou le commerce, et occupe toute la parcelle verticalement. (Patek Philippe, 91, rue du Rhône, arch. J. E. Goss, 1891-1892 (voir p. 201); Manufacture, 37, rue de la Coulouvrenière, 1900; Gay Frères, 12, rue des Glacis-de-Rive, arch. Camoletti, 1900; Usine de dégrossissage d'or, rue de la Coulouvrenière, 1908, (voir ci-contre). D'autre part, les usines s'installent sur des parcelles de grandes dimensions régies par l'ordre non contigu. Clos de murs, halles, ateliers, annexes et adjonctions s'y développent librement selon les besoins spécifiques de la production. Le monde industriel se détache de la cité et s'en écarte. Il façonne d'autres lieux autonomes ceints de remparts (Minoteries de Plainpalais, quai Charles-Page, 1898-1899; Robinetterie Kugler, 19, av. de la Jonction, 1898-1899). Cette volonté et cette nécessité de créer une limite entre la ville et l'usine afin de contrôler et de préserver les machines et les biens qu'elle produit, se lit dans l'étymologie de certains noms industriels tels que le "Clos" de la Fonderie. 


Naissance des zones industrielles 

La tendance à la spécialisation va provoquer le groupement des constructions industrielles dans des secteurs particuliers. Ainsi naît la notion de zones industrielles. Cette conception, que la Charte d'Athènes (Congrès des CIAM, 1933) va entériner, procède autour des réseaux énergétiques et de communications planifiés (notamment ferroviaires et utopiquement fluviaux) et l'hygiénisme qui considère l'industrie comme une source de nuisance et de pollution. Reconnaissant néanmoins l'acquis et la fonction traditionnelle de certains lieux, les industries s'installent aussi autour des noyaux existants. La Coulouvrenière et la Jonction seront les premières zones industrielles genevoises, zones qui seront englobées, suite à l'extension de la ville, dans le périmètre urbain (2e zone).
La politique de l'Etat, en matière de développement urbain, se préoccupe de l'industrie: la première "zone industrielle" est instituée par les lois cantonales genevoises sur les routes et les constructions du 9 mars 1929. Les zones industrielles doivent devenir les structures d'accueil techniques, économiques et foncières (mise en droit de superficie par l'Etat) de l'industrie. En fait, ces "zones industrielles" accueilleront [p. 197] aussi et souvent de manière abusive des surfaces de stockage et des bâtiments d'administration. Ces procédures se répètent et créent continuellement de nouveaux secteurs périphériques industriels. Naturellement, des bâtiments industriels s'implantent encore en dehors de ces zones, profitant, selon leurs nécessités propres, de l'aménagement de nouveaux quartiers suburbains (Les Falaises, Chêne).
Ainsi, la mécanisation grandissante accentue la division du travail. Changeant les mentalités et les habitudes, la révolution industrielle dessine une image découpée de la ville qui, devenue agglomération, se présente comme une fragmentation d'ensembles spécifiques n'accueillant qu'une seule fonction (commerce, bureaux, logement, industrie).

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Les types d'organisation spatiale des bâtiments

Un classement typologique de bâtiments peut s'effectuer à partir des activités particulières auxquels ils sont destinés. Ainsi toute construction peut se définir, et sans tomber dans un fonctionnalisme étroit, par les activités et usages qu'elle est susceptible d'accueillir et de suggérer. Par quels modèles d'organisations spatiales les constructions industrielles genevoises se matérialisent-elles?
Nous relevons plusieurs catégories d'activités, principales et secondaires, pouvant influencer les types de constructions industrielles: d'une part l'activité industrielle (atelier, fabrique, usine), comme l'activité administrative (bureaux) relevant directement de la production; d'autre part, des activités indépendantes des précédentes, mais souvent étroitement liées, comme le commerce et les logements. La répartition et le mixage de ces activités, étudiées en plan et en coupe, permettent de déceler huit types d'organisation spatiale.

  • Le type 1. Ce type ne comporte qu'une seule activité. Il s'agit des bâtiments destinés à la production énergétique ou de petits bâtiments industriels. Construits sur un ou deux étages, ce sont de grandes halles dont le plan s'ordonne selon une série de travées barlongues permettant de recevoir des machines de grandes tailles (ill. 1 et 2).
  • Les types 2 et 3. Ces types ordonnent l'activité productrice et administrative de l'établissement industriel. Ils s'organisent, soit horizontalement avec l'administration en tête (ill. 3), et les halles de production et de stockage à l'arrière, soit verticalement (cas le plus fréquent), où la production et la gestion sont réunies dans le même système distributif, constructif et stylistique. Dans ce cas, il s'agit d'industries légères comme l'horlogerie, le dégrossissage d'or, la fabrication de bracelets, la bijouterie, etc. (ill. 1).
  • Le type 4, plus urbain, superpose les ateliers de production dans les étages et les magasins et commerces, dépendant ou non de l'activité productrice, au rez-de-chaussée (ill. 4).
  • Le types 5 est unique et dérivé des précédents. Il organise indifféremment bureaux et ateliers sur un socle de boutique (la façade n'exprimant aucune reconnaissance de l'un ou l'autre usage) (ill. 5).
  • Le type 6 est souvent lié à des ensembles plus vastes, comportant des constructions disposant de deux, voire trois étages de logements sur deux étages d'ateliers (ill. 6).
  • Les types 7 et 8 combinent logements, fabriques, ateliers et boutiques (ces dernières toujours en contact avec la rue), de deux manières: l'une avec atelier aux étages et logements en [p. 199: images / p. 200] attique (ill. 7); l'autre, inverse (ce sont les plus anciens), avec des logements dans les étages et, souvent en adjonction ultérieure, les ateliers en attique (ill. 8).


La pluralité des organisations spatiales, telle que nous l'avons brièvement décrite, et la capacité de reconnaître chaque situation urbaine particulière, permettent d'assurer conjointement la permanence et l'évolution potentielle des constructions industrielles genevoises. Cette potentialité d'accueil a garanti leur maintien jusqu'à nos jours. Elle se manifeste de plusieurs manières. Là où les activités initiales subsistent, le bâtiment, par ses qualités distributives, dimensionnelles et constructives, s'est adapté à l'évolution et à la modernisation du secteur industriel auquel il était destiné.
A chaque usage correspond une construction spécifiquement dessinée pour elle. On agit alors par extensions, adjonctions et remaniements internes à chaque partie selon les nécessités du moment. Dans les constructions où l'activité industrielle et sa gestion procèdent d'espaces identiques, une activité peut se modifier ou s'agrandir par rapport à l'autre, par autoréglage inhérent à l'entreprise qui l'occupe (types 3 et 5). Dans d'autres cas, la construction est occupée par une activité industrielle autre que celle pour laquelle il fut réalisé: obsolète pour l'une, il répond parfaitement aux besoins d'une autre. Par glissement, l'affectation du bâtiment évolue: soit on lui donne une destination nouvelle, non prévue (Ecole des métiers), (type 3), soit (dans les cas de typologies "urbaines" mixant plusieurs usages) l'une d'entre elles, le commerce généralement, envahit le bâti; soit encore une activité en évince une autre, tout en cohabitant avec celles déjà en place (types 4, 7, 8).
De nombreux facteurs concourent au maintien et à la capacité d'accueil des bâtiments industriels. Ils sont liés à la situation urbaine, à l'identité du lieu, à la situation privilégiée (l'angle de vue, le quai, l'artère), à la proximité des voies de communication, comme à la qualité distributive et constructive, voire à l'expression stylistique de la façade, image et support publicitaire. En proposant un excédent d'espace et d'expression (issu d'un mode de pensée pré-fonctionnaliste), tout en répondant à un programme donné à un moment précis, ces édifices industriels genevois évoluent et se perpétuent plus aisément. Ils participent à la dynamique de la cité par le changement possible des activités qu'ils accueillent et conservent, en même temps, une image et une certaine idée de la ville du travail par la permanence et l'évolution lente et contrôlée de leurs formes. Ils renforcent (architecture et urbanisme étant indissolublement liés) la cohésion et la cohérence urbaines.

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Modes et systèmes de construction

Les systèmes constructifs suivent et devancent à la fois les différentes catégories d'activités que les bâtiments accueillent. Des petites fabriques et des petits ateliers aux regroupements manufacturiers, ils sont chronologiquement la réponse systématique aux contenus industriels, comme ils peuvent en présager l'évolution. Les édifices industriels genevois, construits entre 1790 et 1920, reflètent en partie les tendances constructives de leur temps.
Confrontés à de nouveaux programmes, sans précédent, leurs bâtisseurs expérimentent de nouveaux matériaux (fonte, fer et béton), comme de nouvelles techniques de mise en oeuvre (rationalisation, normalisation, préfabrication d'éléments, semi-industrialisation, etc).
Les constructeurs répondent avant tout à des besoins nouveaux en édifiant des bâtiments plus utilitaires que de prestige, quoiqu'un souci de représentativité ne soit pas absent. Leurs édifices ont en commun deux objectifs: obtenir un éclairage naturel optimum pour travailler, créer des espaces aussi vastes que possible, sans cloisonnements, afin d'y installer ouvriers et machines, et faciliter, par l'espace libre offert, la liaison entre les différentes opérations de production et de montage. En corollaire, une notion constructive en émerge: la distinction entre une structure primaire porteuse et un système secondaire non porteur (cloisons et fermetures). De cette dualité naît le plan modulé, constitué du plus petit nombre possible d'éléments distincts, favorisant combinaisons et modifications nécessaires aux programmes industriels.
Le choix de ces modules n'est qu'en partie perceptible à travers le rythme des ouvertures de façade. La mise en oeuvre de ces constructions, d'entrepreneurs plus que d'architectes, nécessairement économiques, répond largement aux nécessités du moment, par des solutions constructives plus empiriques que rationnelles.
Six systèmes constructifs se dégagent. Le plus ancien apparaît au XVIIIe siècle. Il est en bois, avec des porteurs ponctuels, réalisé sur un socle en pierre ou en maçonnerie, souvent en surélévation des constructions existantes (syst. 1): colombages dont la démolition, dans les années cinquante, attesteront la présence insoupçonnée d'une grande quantité de poussière d'or incrustée dans les bois de charpente. Espaces à maille large, sous toiture, ils reposent sur une structure à la trame plus fine, accueillant commerces et logements (types 6 et 8).
Un second système, en pierre et maçonnerie, constitué de murs porteurs en façade, avec poutres et piliers internes, [p. 203] libère l'espace afin d'amener la lumière et recevoir la production industrielle. La mise en oeuvre est rationalisée par l'emploi d'éléments constructifs répétés tels que des arcs, linteaux, piliers, poutres, pied-droits (syst. 2). Il est contemporain du premier et existera jusqu'au début du XXe siècle. Il accueille les organisations spatiales suivantes: commerces au rez-de-chaussée et manufactures aux étages (type 4), commerces au rez-de-chaussée, manufactures aux étages et logements en attique (type 7) ou encore commerces, logements aux étages et ateliers en attique (type 8).
Les deux systèmes constructifs suivants font apparaître un matériau nouveau dans la construction: le métal (fer et fonte); les façades (maçonnerie, pierre artificielle) sont porteuses, mais l'introduction de planchers métalliques et de hourdis en terre cuite augmente la liberté de l'espace disponible (syst.^3). Ce type de construction apparaît vers 1850 et se poursuivra jusqu'aux environs de 1910. Ce système reçoit les catégories d'activités suivantes: une seule activité industrielle ou productrice d'énergie sur un ou deux niveaux (type 5) ou un mixage de bureaux et d'industries, horizontal (type 2) ou vertical (type 3).
Puis dans un second temps, tout en conservant la façade porteuse, on adopte des piles en métal. Ces piles permettent un accroissement de l'espace libre et tendent vers une modulation du plan, suivant les modèles anglo-saxons pionniers d'une architecture industrielle "internationale" (syst. 4). L'expérimentation de ce matériau nouveau, sa solidité, vont jusqu'à créer d'autres combinaisons spatiales: grands espaces inférieurs et espaces cloisonnés supérieurs (type 6). Ce système apparaît à Genève entre 1890 et 1900.
Vers 1900, un autre système constructif se met en place. Avec lui commence l'emploi du béton armé, utilisé principalement en façade. Le plan est réglé par une structure ponctuelle de piles et de poutres en fer et en fonte. La façade est traitée en béton comme un cadre dont le remplissage est non-porteur. Dans son dessin, le béton rappelle la structure portante métallique interne (syst. 5). Ce système correspond à une organisation spatiale accueillant soit des ateliers et des bureaux (type 3), soit du commerce au rez et des manufactures aux étages supérieurs.
Entre 1900 et 1920, se substituant aux matériaux ferreux, le béton envahit tout le champ de la structure primaire, modulant plans et élévations. Ce sixième système est toutefois envahi de doutes et d'hésitations (syst. 6). On y lit des relents stylistiques composés d'autres matériaux.
Le béton imite l'appareillage de la pierre, des décors de pierre et de maçonnerie le masquent et expriment les parties [p. 204: image / p. 205] "nobles" du bâtiment. L'expressivité propre du béton se dégage lentement. Dès ce moment, un seul type d'organisation spatiale subsiste: ateliers et manufactures combinés verticalement avec des bureaux. En cent cinquante ans émerge la notion de plan libre au travers des recherches de structures ponctuelles passant du bois au métal, puis au béton.
Néanmoins, ces expérimentations ne véhiculent que partiellement les tendances stylistiques et les courants architecturaux de leur époque. Un décalage se lit entre l'apparition de techniques et matériaux nouveaux et les langages architecturaux en présence.
Le "Mouvement académique", néo-classique ou éclectique, rivalise avec le Mouvement moderne naissant. 

L'image architecturale de l'industrie

Si l'espace construit définit des espaces et accueille des activités industrielles, la façade exprime l'identité de l'entreprise par rapport au domaine public. Elle est le reflet de l'idéologie industrielle. L'élévation montre ce que le plan et la coupe démontrent. Processus rhétorique, la façade se veut l'image du type industriel tel qu'il est défini par la pratique nouvelle du travail collectif.
Cette image est destinée à être enregistrée dans la mémoire non seulement des travailleurs et des clients, mais dans la mémoire collective urbaine et régionale. Le décalage entre l'expression d'un système constructif et son application stylistique doit aussi être examiné sous cet angle et non seulement du point de vue d'une "histoire des styles".
De 1780 à 1930, la façade tend progressivement vers une simplification et un dépouillement de ses éléments ornementaux pour signifier avant tout la fonction générale de l'objet: en quelque sorte sa symbolique. Au début, les constructions sont d'inspiration classique: le corps central est flanqué de deux ailes, le socle est traité en appareillage grossier comme les pilastres et les chaînages monumentaux (37, rue de la Coulouvrenière, 1900, ill. du haut — Clos de la Fonderie, 1899, ill. du milieu). Des systèmes de proportions règlent le rythme et les dimensions des percements. La composition générale repose sur le principe tripartite socle-étage-couronnement.
L'accès se fait dans l'axe de symétrie de la façade (Patek Philippe, 1891-1892, p. 201). Peu à peu, la façade se dessine sous la forme d'une série de cadres. Le meilleur exemple en est l'usine Simba, 1899 (ill. du bas); la composition reste tripartite, mais les cadres en pierre représentent le rythme de la [p. 206] structure métallique intérieure. L'expression des cadres porteurs s'affirme sur toute la hauteur de la façade. Les accès sont disposés symétriquement.

A partir de 1900-1905, la structure portante primaire se lit systématiquement sur la façade, reléguant au second plan les accès, les partitions verticales et horizontales, les axialités et la symétrie. Cependant l'axialité du bâtiment ou l'entrée sont définies par un module particulier et un épaississement du cadre (Dégrossissage d'or, 1908, ill. p.196). 
A partir de 1910, la symétrie disparaît (à part le cas de l'usine Spiraux Réunis, 1910, ill. ci-contre, haut), l'élévation n'est plus qu'une suite de porteurs également disposés selon un système modulaire. Le ou les accès s'insèrent selon les besoins internes (Manufacture Beyeler, 1910, ill. ci-contre, bas). L'usine Bosch (ill. 3, p. 199), construite en 1920, clôt notre série et la tendance "préfonctionnaliste". L'ossature s'exprime en façade et encadre de larges baies, les entrées s'insèrent selon les besoins du programme, la toiture est plate. Cependant, il subsiste encore les reliquats d'un langage classicisant (corniches et pilastres).
Le mouvement moderne s'affirme et se met en place. Il apparaît d'abord dans les bâtiments industriels. Leurs programmes fonctionnels sont les plus proches de son idéologie et les plus représentatifs d'un "monde nouveau" et de cette "esthétique de l'ingénieur", dont parle Le Corbusier, dans Vers une architecture, paru en 1923.
Au-delà de 1920, l'image industrielle porte moins sur le sens que sur la fonction. Le caractère représentatif disparaît. Quittant la ville, le construit laisse place à l'iconographie, au message écrit et à d'autres médias. L'ornement cède la place au message publicitaire.


Les options nouvelles

Sous l'influence de la haute technologie (au niveau de l'informatique, des télécommunications, de la robotique, etc.), les espaces de recherche et de production se rapprochent et se soudent physiquement. Leurs modes de financement, de fonctionnement et de gestion sont différents des précédents. Ils accélèrent encore les processus examinés jusqu'ici: les capitaux sont investis principalement et avec davantage de risques dans le secteur de la recherche et dans celui du marketing. Les capitaux investis dans les constructions, dans les terrains qu'elles occupent et dans les appareils de production doivent être réduits. La plus grande mobilité doit être assurée à tout moment. Les dimensions mêmes de [p. 207] ces nouvelles unités de production sont souvent modestes. Les réseaux techniques sur lesquels ces activités post-industrielles s'implantent ne sont pas les mêmes que ceux le long desquels on groupait les anciennes activités industrielles.
Les horaires de travail seront plus souples et par conséquent, l'utilisation des réseaux de communication sera plus diluée. Les nouveaux emplois ainsi créés feront émerger des besoins sociaux particuliers.
En fait, il ne s'agira plus de considérer des "productions" comme appartenant exclusivement au secteur secondaire. Elles seront désormais à cheval entre les secteurs tertiaire et secondaire.
Les nouvelles activités auront besoin de trois types de communication: les liaisons par satellites, un réseau télématique et ses dérivés télé-informatiques, vidéotex, etc., la proximité de centres de recherche, le voisinage de zones d'habitation adaptées aux besoins sociaux de leur personnel, le branchement sur des moyens de transport rapides qui bouleverse le jeu des relations, jusqu'ici perçues uniquement sous l'angle de la proximité et de la distance. 

B. G. et J.-M. L.
haut
[p. 208]


L'aménagement du territoire et les zones industrielles


Au début de l'industrialisation, les ateliers et les fabriques se sont implantés le long du fleuve et des cours d'eau, dont ils utilisaient la force motrice. Ce sont les premières zones industrielles, dont il reste des traces dans le paysage (voir p. 197 et le tome II de cette Encyclopédie, p. 163-165). La naissance de zones industrielles par voie législative est un tout autre phénomène. Elle s'inscrit dans un long processus de prise de conscience, tant des contraintes spatiales inhérentes au développement du Canton que de l'importance d'un secteur industriel pour Genève. Sur le plan législatif, on peut suivre, depuis plus d'un siècle, la formation d'un appareil juridique en matière d'équipement, de construction et d'urbanisme. Au siècle dernier des mesures ont été prises, par exemple, pour subordonner certaines installations industrielles à l'autorisation de construire (1884) ou pour attribuer aux pouvoirs publics une autorité exclusive concernant les équipements (1892). Cela dénote, de la part du législateur, une volonté de contrôle sur la dynamique urbaine. (Voir également le tome I de cette Encyclopédie, pages 152-158).
Toutefois, on ne disposait alors que de lois sur la voirie, contenant quelques règles d'urbanisme pratique et le système de référence aujourd'hui encore en vigueur ne s'est mis en place que durant l'Entre-deux-guerres. En 1917, l'exigence d'une autorisation de construire est étendue à tout le Canton et, en 1929, est promulguée la loi sur les constructions et installations diverses, doublée d'une loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités. Affirmant définitivement le pouvoir de l'Etat sur l'organisation du territoire, ces textes généralisent le principe des zones et créent une zone agricole. C'est cependant l'exiguïté des périmètres réservés à l'industrie qui conduira à la formation de zones industrielles planifiées. 

Formation des zones industrielles

En 1948, la Commission d'étude pour le développement de Genève définit trois zones fondées non plus, comme dans la loi, sur le gabarit des immeubles, mais sur un critère de fonction: zone résidentielle, zone mixte et zone industrielle. D'après cette idée, les industries "dont l'activité dépasse le cadre de l'habitation" sont censées rejoindre les zones dites industrielles. L'inventaire de périmètres devenus industriels au cours de l'évolution précédente comprend les quartiers des Charmilles, de Sécheron, de la Jonction, des Acacias et de la gare des Eaux-Vives, qui font partie de la ceinture urbaine constituée après le démantèlement des anciennes [p. 209: image / p. 210] fortifications. Or, il apparaît clairement, dès le début des années cinquante, que les surfaces utilisées par l'industrie en Ville de Genève sont insuffisantes, au vu de ses besoins futurs. Il s'agit dès lors de prévoir et de mettre à disposition des sites dont l'accessibilité est améliorée (notamment par le chemin de fer) et dont les nuisances peuvent être écartées des zones d'habitat. L'objectif fondamental reste le maintien, voire le développement, d'un tissu industriel dans un canton qui a compté jusqu'à 45 pour cent de main-d'oeuvre industrielle. Le rapport général de cette commission formule deux propositions, la première consistant à faire de la Praille la principale gare de marchandises, entourée d'une zone industrielle et commerciale; la seconde, à aménager pour les industries de dimension plus importante un périmètre situé entre Vernier et Peney. Bien que les sites effectivement choisis diffèrent de ceux proposés, c'est ce document qui a conditionné, en principe, l'émergence et l'extension ultérieure des zones. 

Création de la FIPA 

Les années 1960 ont été, pour Genève, des années décisives sur le plan urbanistique, en raison principalement de facteurs économiques; l'industrie suisse en général, et genevoise en particulier, est l'objet d'une forte demande extérieure, entraînant une expansion des entreprises, mais surtout un accroissement spectaculaire de la population et par conséquent un développement massif du logement. Dans ce processus d'explosion résidentielle, l'Etat devient partie prenante non seulement en vertu de la loi sur le développement de l'agglomération urbaine (1957), mais par le biais du subventionnement du logement. Il se préoccupe également d'encourager l'industrie: en vertu de lois datant de 1957 et 1961, le Conseil d'Etat octroie des prêts hypothécaires, des subventions ou des exemptions fiscales "en vue d'encourager la création de locaux artisanaux ou commerciaux à loyers modérés". En outre, la loi permet d'étendre à 4/5, au lieu de 2/3, la proportion des gages immobiliers grevant les droits de superficie.
Le 29 juin 1958 est votée la première loi sur la Fondation des terrains industriels Praille-Acacias (FIPA), fondation qui permet ainsi d'appliquer la législation cantonale en matière d'encouragement à l'économie. La FIPA est chargée d'acquérir des terrains dans les zones qui lui sont assignées par l'Etat, de les aménager, puis de les exploiter par le système du droit de superficie. La procédure d'acquisition [p. 211] repose sur un droit de préemption de l'Etat, l'achat des immeubles compris dans la zone étant déclaré d'utilité publique. Selon ce système, une entreprise devient locataire de la FIPA pour une durée de 90 ans, éventuellement prolongée de 30 ans, et s'acquitte, en échange, du paiement d'un loyer, ainsi que d'une taxe d'aménagement et d'exploitation. Elle est, en revanche, propriétaire des bâtiments qu'elle construit. La partie Praille est, bien entendu, réservée à des entreprises qui s'obligent à recevoir ou à expédier par chemin de fer la plus grande partie de leurs marchandises; la zone Acacias accueille celles qui n'utilisent pas ce mode de transport. 

Extension des zones industrielles 

La zone industrielle Praille-Acacias se subdivise en trois parties; dans la partie sud, reliée au rail, se localisent commerces et marchés de gros, matériaux de construction, métallurgie et transports. En revanche, l'artisanat et la petite mécanique occupent la partie sud, non-raccordée. Quant à la partie nord, elle regroupe de nombreuses branches attirées principalement par les conditions financières et non par le chemin de fer: on y trouve l'alimentation, le tabac, la parfumerie, l'automobile, l'horlogerie, l'électronique, l'imprimerie, les meubles et la construction. En fait, cette zone proche de la ville remplit une fonction non seulement industrielle, mais aussi commerciale; il fallait donc songer à en créer d'autres répondant mieux aux besoins en surface de l'industrie proprement dite.
Avant même que soit rempli le périmètre Praille-Acacias, est créée, en 1969, une zone analogue à Plan-les-Ouates. En 1980, on demande l'aménagement d'une partie raccordable de la zone de Meyrin-Satigny, couvrant près de 65 hectares; prévue pour l'implantation d'entreprises importantes, cette nouvelle extension permet d'offrir une surface utile de près de 55 hectares, en propriété ou en droit de superficie. A cette nouvelle zone, qui déjà se remplit, va s'ajouter une zone dite de Mouille-Galand, à Vernier, actuellement à l'enquête publique. En outre, il est prévu, dès 1989, d'étendre la zone de Plan-les-Ouates vers le sud, jusqu'à la future autoroute de contournement.
Les nouvelles zones sont placées sous mandat confié à la FIPA, laquelle est chargée des avant-projets, des plans et des règlements directeurs, soumis au Conseil d'Etat. Leur contenu s'écarte sensiblement de celui de la première, qu'il s'agisse de Meyrin-Satigny (ZIMEYSA) ou de Plan-les-Ouates, car on y trouve les industries du bois et de la pierre, [p. 212] la chimie, la métallurgie, le génie civil et les transports, de même que certaines entreprises occupées dans l'industrie de base, telles que les fabriques de machines et appareils. Il est clair que toutes ces branches ne revêtent pas la même importance du point de vue de l'économie genevoise, même si toutes remplissent une fonction nécessaire à une certaine échelle. C'est ainsi que les machines, l'horlogerie, la bijouterie, la chimie de transformation comptent parmi les fonctions motrices, en ce sens qu'elles reposent sur une demande extérieure. Or, elles représentent un tiers environ des postes de travail de l'industrie genevoise. Le second tiers comprend des activités à débouché régional ou local, mais en elles-mêmes banales, telles que la métallurgie ou l'artisanat sur métaux; sises pour deux tiers environ de leurs effectifs en ville de Genève (exception faite de la chimie), elles sont à même de bénéficier des avantages des zones industrielles. Enfin, les entreprises principalement locales, comme l'imprimerie, la construction ou la production alimentaire, jusqu'ici réparties de manière diffuse, sont des candidates toutes désignées au transfert en zone industrielle. On perçoit ainsi l'utilité différentielle du système des zones. A défaut de pouvoir favoriser l'essor de nouvelles entreprises exerçant une fonction de base, elles peuvent néanmoins répondre à l'attente d'activités entraînées ou banales qui connaissent un manque de place ou qui envisagent de venir s'implanter dans le Canton. 

Evolution récente 

L'importance des zones industrielles pour l'avenir économique de Genève s'est traduite par un renforcement de l'appareil juridique avec la loi générale du 13 décembre 1984, sur les zones de développement industriel, ainsi qu'avec un nouvel article (80A) de la Constitution genevoise, du 10 mars 1985. Ces deux textes ont pour objet la propriété du sol. La loi cantonale déclare d'utilité publique "l'acquisition de tous immeubles ou droits nécessaires à la réalisation des équipements et de l'infrastructure prévus aux plans et aux règlements directeurs ou aux plans localisés", ainsi que "de tous les immeubles compris dans la zone de développement industriel, au fur et à mesure de sa mise en valeur". Dès lors, l'Etat peut exercer son droit de préemption et imposer son prix, même s'il est inférieur à un prix offert. Le nouvel article de la Constitution prévoit d'autre part que "l'aliénation des immeubles qui sont propriété privée de l'Etat, des collectivités publiques", etc. "est soumise à l'approbation du Grand Conseil" [p. 213]. Il s'agit donc de mesures visant à renforcer un contrôle étatique du sol à vocation industrielle ou d'infrastructure.
Comme l'indique le rapport de gestion de 1987 de la FIPA, "la raréfaction progressive de surfaces à bâtir aux mains de l'Etat de Genève, dans les zones de développement industriel du canton, conduit évidemment les entreprises à se tourner de plus en plus vers les propriétaires privés de telles surfaces". On tourne aussi cette difficulté en réalisant des immeubles collectifs. Par là, on "densifie" les surfaces disponibles et on réduit ainsi la pénurie de locaux. Grâce à l'expérience acquise en un quart de siècle, la FIPA est à même d'offrir aujourd'hui des locaux mieux adaptés, mais elle doit encore répondre à une demande accrue de surfaces accessibles de plain pied, en ménageant des circulations verticales; ce qui revient à concilier les avantages de la densification en immeubles collectifs avec une correction nécessaire de ses inconvénients.
L'industrie genevoise est actuellement aux prises avec des difficultés provenant en partie du cycle du produit, qui conditionne la formation de systèmes industriels; un autre obstacle plus évident à son développement est l'excentricité géographique de Genève par rapport à l'industrie suisse et sa dépendance, de plus en plus marquée, à l'égard de la Suisse romande ou alémanique (un cinquième des emplois dépendant d'entreprises extérieures au Canton se trouve dans l'industrie), qui porte précisément sur des activités motrices. L'avenir dépend donc, en grande partie, de l'attractivité des zones, qu'une législation novatrice a su mettre en place dès 1960, mais que la concurrence et la dépendance extérieure empêchent de jouer à plein leur rôle de facteur de relance, face à la désindustrialisation commencée. 

C. H.
haut
[p. 215]