L'espace
Philippe-H. Bovy / Anne-Catherine Jornod / Jean-Claude Landry
Anne-Marie Piuz / Richard Quincerot / Catherine Santschi
Jean de Senarclens / Jacques Vicari
Avec la collaboration d'Eric Balland, secrétaire adjoint au Département cantonal de justice et police.
L'urbanisme
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L'Urbanisme, une démarche toujours recommencée
Partons de trois éléments simples: une population, une étendue de sol et du temps. Premier constat, deux personnes ne peuvent pas se trouver simultanément au même endroit. Second constat, sans règles de répartition, ce sera la foire d'empoigne, autrement dit l'insécurité et la loi du plus fort ou du plus riche qui règneront. Dans ces conditions, l'inconvénient de se réunir sur un espace restreint de sol sera tel que les avantages du rassemblement disparaîtront et la ville ne se fera plus. Nous connaissons tous le récit de cet échec: la Tour de Babel inachevée faute de consensus, d'une entente entre ses bâtisseurs.
L'urbanisme, c'est la recherche toujours recommencée de règles acceptables pour que la ville continue dans un interêt général bien compris, qui implique la retenue volontaire ou imposée des intérêts particuliers. L'urbanisme inscrit sur le sol les clauses d'un contrat social. Il est par essence républicain, car c'est la cause publique qui l'anime. La République et canton de Genève a-t-elle su se doter de règles suffisantes pour gérer la mutation urbaine qui caractérise notre époque? Cette mutation inverse le rapport millénaire établi entre la ville et sa campagne. Si autrefois, il fallait que vingt hommes des champs travaillent la terre pour nourrir un homme de la ville, en sus d'eux-mêmes, bientôt un seul homme pourvoira à la nourriture de vingt citadins. En cette fin de siècle, sur Terre, le rapport global est de un pour un. Deux milliards et demi d'agriculteurs et autant d'habitants de villes et bidonvilles.
La donnée agricole
A Genève, quelque quatre mille personnes travaillent encore la terre du canton, alors que nous sommes près de quatre cent mille à l'habiter. Nous importons, il est vrai, notre nourriture de partout, il n'en demeure pas moins que cette donnée agricole est la donnée de base de l'urbanisation: la ville est le lieu où des hommes sont nourris par d'autres. A supposer que la nourriture vienne à manquer, la ville meurt. C'est pourquoi la terre arable de Suisse, et celle de Genève en particulier, doit être disponible dans l'éventualité d'un blocus (loi de 1950 inspirée du Plan Wahlen). La croissance urbaine ne peut se faire alors qu'à l'intérieur d'un périmètre limite, défini comme constructible. [p. 67]
Cette gestion parcimonieuse du sol est bien connue des Genevois, qui ont toujours préféré ajouter des étages à leurs bâtiments plutôt qu'élargir l'enceinte de leurs fortifications. Mais un jour, à force d'empiler, la limite des possibilités est atteinte, il faut changer la règle, sinon l'ensemble de la ville est en péril. Ce qui ne va pas sans conflits, ceux précisément qui ont marqué la période précédant la démolition des remparts au siècle dernier et ceux qui émergent en cette fin de siècle, quand des voix de plus en plus nombreuses remettent en question l'enceinte virtuelle des terres arables: la zone agricole. Mais les raisons sont bien différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient naguère.
La mutation urbaine
Pour comprendre cela, il nous faut revenir à la mutation urbaine, conséquence d'une autre mutation, celle de l'espèce humaine, dont la longévité a été fortement accrue. Dès lors, le canton doit supporter simultanément trois générations au lieu de deux sur son sol. Dans les campagnes, le laboureur vieillissant s'attachait à sa terre et ses enfants, en attendant l'héritage, devaient aller en ville ou quitter le pays. Genève devait donc abriter les exilés des campagnes et les nouveaux vieillards urbains. Les murs de la ville n'ont pas résisté longtemps à cette double poussée. Ce mouvement se poursuit encore de nos jours: une quatrième génération s'installe progressivement, tandis que les familles, prenant conscience du phénomène, limitent les naissances, ce qui diminue la taille des ménages. Entre 1860 et 1990, un logement, dont la surface est restée étonnamment stable, a vu le nombre de ses occupants passer de cinq à deux. Durant la même période la population quintuplait, si bien que l'espace nécessaire au logement a dû être multiplié par douze.
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L'urbanisme genevois
Les grandes règles de l'urbanisme genevois ont été établies de façon très pragmatique pour gérer cette double mutation, à partir de la donnée agricole de base. Ainsi, une règle fixe la hauteur des bâtiments en fonction à la fois de leur éloignement du centre et de la largeur des rues. Elle est complétée d'une disposition sur la hauteur minimun des étages pour éviter que, pour une hauteur donnée de bâtiment, quelqu'un ne s'avise d'en dédoubler les niveaux. Enfin des maxima de hauteur des bâtiments ont été définis, dans le cas où la rue serait un large boulevard. Au cours des décennies, la règle a évolué vers des bâtiments toujours plus élevés et des étages toujours plus bas. La largeur des bâtiments, non réglementée, s'est accrue parallèlement jusqu'à ce que le seuil d'habitabilité soit atteint et qu'il faille s'en préoccuper.
Ce ne sont pas seulement les ménages qui consomment de l'espace, mais aussi les entreprises. Elles sont entrées rapidement en concurrence avec les ménages et, comme elles ont un pouvoir d'achat sensiblement plus élevé que ces derniers, elles n'ont pas de difficultés à s'établir où bon leur semble. Les ménages ne peuvent pas suivre l'enchère, cela d'autant plus que les ménages genevois, plus encore que dans le reste de la Suisse, sont en forte majorité des ménages de locataires (voyez à ce sujet le tome III de cette Encyclopédie, pages 154 à 160).
Les ménages genevois ne peuvent donc pas, dans leur ensemble, se soustraire à la hausse des loyers qui traduit la hausse du prix du sol. Or, cette hausse n'est que le reflet des enchères entre des partenaires qui s'arrachent le peu de sol disponible.
Organiser la concurrence
Quelques règles ont tempéré cette compétition inégale, quand il a été évident qu'à laisser faire, laisser passer, la diversité de la ville n'y résisterait pas. Les entreprises les plus puissantes se sont installées progressivement au lieu géométrique des points d'où elles sont accessibles par le plus grand nombre et d'où symétriquement elles pourront joindre le plus grand nombre de points en un minimum de temps. Ce lieu ne peut être qu'un centre, pas nécessairement historique, mais caractérisé par sa facilité d'accès.
A Genève, ce centre se trouve à l'intérieur d'un triangle dont les pointes sont Cornavin, Bel-Air et Rive. C'est là que les enchères sont les plus hautes, puis elles vont décroissant, [p. 71] bien au-delà des frontières cantonales, jusqu'à la limite des vingt-quatre heures: le temps que chacun doit prendre en dehors de ses temps de travail et de repos pour passer de l'un à l'autre.
Ce temps dépend de la performance du moyen de transport utilisé. Avant l'emploi généralisé de l'automobile, seuls quelques ménages habitaient en dehors du Canton et travaillaient à Genève. En 1950, ils étaient mille, en 1980 quarante mille, en 1990 plus de cinquante mille, dispersés entre Neuchâtel et Megève, Bellegarde et Monthey. Ce qui signifie que dans ces villes, la compétition s'exerce entre un nombre plus grand de ménages, ce qui a pour effet d'y faire monter le prix des loyers.
Pour aider les ménages les moins compétitifs, une nouvelle règle prévoit que certains sols ne devraient être affectés qu'à la construction de logements pour locataires à revenu modeste et fixe un prix de terrain à ne pas dépasser. Parallèlement, en faveur des entreprises industrielles concurrencées par les entreprises de services, la République n'a pas lésiné: elle a acheté de grandes parcelles qu'elle a louées à bas prix pour que les industries puissent s'y établir.
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Une règle en entraîne une autre
Mais rien n'est plus difficile que de prévoir les effets de ces règles, leurs interactions et, surtout, leurs modifications. Ainsi, pour les règles de hauteur, lorsqu'il devint évident qu'à la place d'un immeuble de cinq étages avec des pièces hautes de plus de trois mètres, il devenait possible de bâtir un immeuble de huit étages, la raison marchande voulait que le "vieil" immeuble soit démoli. C'est pourquoi les quartiers du siècle dernier furent décimés et que celui des Grottes a failli disparaître. Il fut sauvé, comme le solde des autres quartiers, par la prise de conscience d'une double perte, celle de logements vétustes, certes, mais bon marché, et celle d'édifices chargés d'ans, il est vrai, mais aussi de sens.
Dès lors, l'intérêt général d'un maintien de ce patrimoine l'emportait sur les intérêts immédiats et particuliers. Une part non négligeable du parc immobilier était ainsi soustraite à la démolition, comme l'avaient été antérieurement les centres historiques de Genève et Carouge. Dans la foulée, furent également protégés les bâtiments marquants des villages de la campagne genevoise. Ainsi, une règle en entraîne une autre qui en corrige les effets pervers ou inattendus. Pour les règles définissant les affectations, les séquelles sont tout aussi importantes. Les investisseurs s'intéressèrent, en priorité, aux grands domaines peu bâtis de la périphérie urbaine plutôt qu'aux quartiers de villas entourant la ville, zones choisies pour le développement des logements. C'est ainsi qu'en un instant surgirent des banlieues, baptisées cités nouvelles. Mais elles n'accueillirent pas seulement les enfants d'une deuxième génération lente à émigrer dans l'au-delà et des migrants de toute l'Europe. Elles accentuèrent même le mal auquel elles devaient porter remède: près de dix mille ménages quittèrent les quartiers centraux de la ville. Leurs logements devinrent autant de bureaux pour les nombreuses entreprises en quête de surface et prêtes à surenchérir. De 1955 à 1980, dans la seule commune de Genève, trente-six mille emplois de plus ont été recensés. Si les autorités municipales de la Ville s'en félicitaient, celles des communes de banlieue s'en inquiétaient. En effet, en vertu de la loi fiscale genevoise, l'impôt taxant les salaires, les tantièmes, jetons de présence et autres avantages liés à une fonction d'administrateur est crédité à la commune où se trouve le siège social de l'entreprise et non à la commune de domicile. Bien qu'il existe un système de péréquation, l'avantage reste aux communes riches en emplois. Aussi faudra-t-il attendre que les effets destructurants de la perte de population deviennent graves pour que la Ville consente à corriger très modestement la tendance. [p. 74] Depuis peu, le gain de surface, en cas de démolitions et transformations, est affecté partiellement au logement. La rivalité fiscale qui existe entre commune de travail et commune de domicile montre que, s'il est dejà difficile de défendre la cause publique face aux intérêts particuliers, il est tout aussi ardu d'arbitrer des intérêts publics couvrant des dimensions territoriales croissantes et qui nous conduisent, aujourd'hui, à prendre en compte l'avenir même de la planète. Mais revenons au bout du lac.
Images directrices
Les quartiers de villas qui entourent la ville se révélèrent beaucoup plus difficiles à investir que ne le pensait au depart le législateur. En 1956, il était encore profitable pour le propriétaire de villa de vendre son bien, même à prix conventionné, et d'en acquérir un autre à la campagne. Une décennie plus tard, l'augmentation des prix du sol et de la construction rendait déjà l'opération hasardeuse, malgré une réévaluation du prix fixe. Pour tourner la difficulté, des parcelles non bâties prévues pour l'habitat individuel sont agrégées progressivement, dans tout le Canton, aux périmètres affectés au logement collectif.
Pour inciter les Genevois à agir, les édiles cantonaux et communaux ont imaginé divers stratagèmes, notamment les images directrices, sortes de "scenarii" montrant le devenir envisageable d'un lieu. Au fil du temps, ces documents sont devenus les instruments indispensables pour la construction, tout d'abord du consensus, puis des bâtiments. La gestion des transformations urbaines et suburbaines s'opère ainsi en validant, au gré du bon vouloir des particuliers, des fragments d'images directrices. L'Etat veille à ce que localement une juste pesée se fasse entre les intérêts publics et privés, notamment ceux dejà mentionnés: qualité des logements et de leurs abords, maintien du patrimoine bâti et naturel; de plus, ces démarches dispersées dans le temps et sur le territoire doivent rester cohérentes, ce qui tient de la gageure. Nous touchons là aux limites de l'urbanisme: la loi de l'Etat fixe la forme et le contenu, celle du marché, le lieu et le moment. Progressivement, depuis le début des années quatre-vingt, la ville, tout de même, se repeuple. D'une part, les personnes décédées sont remplacées par des couples jeunes avec enfants, d'autre part, on gagne des surfaces en exhaussant les bâtiments. Cela ne va pas sans créer de sérieuses difficultés. Il faut trouver de la place pour les écoles, dans les crèches. Souvent les écoles anciennes, faute d'élèves, ont reçu de [p. 75] nouvelles affectations. La démarche des images directrices a été étendue aux quartiers anciens pour tenter d'en cerner l'évolution. Tant que les immeubles étaient surélevés de ci de là, l'aspect de la Ville souffrait certes de ces excroissances, mais lorsqu'un pâté de maisons ou une manufacture importante disparaît pour renaître plus haute et plus profonde qu'avant, les problèmes changent de nature. Le tout est plus que la somme des parties: les rues ne peuvent être élargies et pourtant elles devront accueillir un trafic accru.
Le mot concentration, avec tout ce qu'il évoque, traduit bien ces phénomènes. Ils se voient multipliés par les effets secondaires de l'aide foncière de l'Etat aux entreprises industrielles. Qui pouvait penser, au départ, que cette aide coïnciderait avec le grand chambardement industriel? Restructurations, concentrations, achats d'entreprises qui, en fin de compte, ont passé des mains des fabricants dans celles des financiers. Du jour au lendemain, un directeur général apprenait que son usine avait été vendue, que le secteur le plus compétitif allait être transféré sur les terrains loués, voire revendus par l'Etat — maintien de l'emploi oblige — dès que les nouveaux locaux seraient construits. Quant aux locaux actuels, ils allaient être démolis et remplacés par des surfaces d'affectations variées, le plus souvent des bureaux.
Les nouveaux propriétaires tiraient ainsi trois fois avantage de l'opération. Echanger un terrain recherché contre des terrains à prix avantageux, moderniser leur outil de production et revendre au prix fort les surfaces anciennes. Ce type de mutation ne va pas sans un sérieux coup de pouce de la République. Souvent le terrain d'origine était légalement réservé à l'activité industrielle pour être soustrait aux enchères des entreprises de service. On se retrouve devant la pesée délicate des intérêts particuliers et de l'intérêt général. Faut-il favoriser ou enrayer ce type de mutation? Jusqu'à présent les débats se sont conclus en faveur du changement d'affectation en introduisant une part importante de surfaces de logement en sus des surfaces d'activité. Aussi pour en permettre la réalisation faut-il encore déroger aux limites quantitatives qui sont garantes d'une certaine qualité. La recherche du consensus devient de plus en plus complexe et longue.
L'impact de l'automobile
L'automobile n'a été évoquée qu'épisodiquement, en tant que moyen de transport individuel et en terme de trafic. A son apparition, personne ne se soucia vraiment de son impact sur la ville. Ce n'était qu'un gros objet privé. Mais [p. 77] bientôt les édiles s'aperçurent que les rues ne s'en accomodaient pas comme elles l'avaient fait pour les égouts, le gaz, l'électricité, les tramways. Au nom de l'intérêt général, il fallut une fois de plus introduire des limites, au stationnement d'abord, pour permettre une plus grande accessibilité, puis, quand deux personnes sur trois en âge de conduire utilisèrent leur véhicule pour se déplacer, même sur de courtes distances, à son tour la circulation fut restreinte.
A plus forte raison qu'à la densification du trafic s'ajoutait sa modification structurelle. L'éloignement progressif des ménages vers les banlieues, puis aux quatre coins du bassin lémanique, alors que les entreprises restaient groupées au centre, a conduit à l'encombrement alterné matin et soir, sur des plages horaires toujours plus longues, des voies d'accès à la ville.
A ces inconvénients coûteux et pénibles s'ajoutent les nuisances du bruit et la pollution de l'air dus à ce même trafic. L'intérêt général du maintien de la santé publique est apparu finalement assez évident pour que deux règles soient formulées par l'autorité fédérale. L'une s'applique à ramener le niveau de bruit et l'autre le degré de pollution de l'air aux valeurs relevées au milieu des années cinquante. Sur le plan cantonal, ces dispositions arrivent à point nommé pour conforter la volonté politique encore timide de restriction du trafic individuel au profit des moyens de transport collectif.
Mais cette politique ne peut être que palliative. Elle ne peut s'en prendre à la cause qui est la dispersion tous azimuts des logements née de la faiblesse économique intrinsèque des ménages face à la puissance des entreprises. De plus, cette politique est contradictoire; car, pour obtenir le consensus sur le transport collectif, il a fallu promettre une avancée en faveur de l'automobile: un pont en plus sur le Lac, que les uns voudraient le plus intégré possible au réseau local et les autres relié à la grande croisée européenne des autoroutes. La première formule s'inscrit dans la continuité du développement limité de la République, la seconde voudrait que Genève réalise pleinement ses potentialités de carrefour.
Limiter la zone agricole?
Par la même occasion, pourquoi ne pas se libérer du carcan de la zone agricole? A d'autant plus forte raison que, maintenant, les inconvénients semblent l'emporter sur les avantages. Construire la ville en ville, slogan des années quatre-vingt, a conduit à la concentration de population et d'emploi sur une surface constante. Le chômage se répand, [p. 78] personne n'ose envisager la croissance zéro, slogan des années soixante-dix. Au moment où émerge le slogan des années quatre-vingt-dix: le développement soutenable, n'est-ce pas régresser que de vouloir agrandir le périmètre urbain, sacrifier ce qui fait la qualité même de Genève, sa dimension?
Il y a cinquante ans encore, la grande ville pouvait présenter une image attrayante par sa diversité, son animation, sa convivialité. En cette fin de siècle, les règles de plus en plus complexes que nous nous sommes données n'ont pas pu empêcher que l'encombrement, l'insécurité et la ségrégation soient le lot quotidien des habitants des agglomérations. Nous commençons seulement à comprendre que ces règles n'apparaissent trop souvent qu'à posteriori, quand les dysfonctions sont à ce point étendues et graves, qu'une majorité se dégage enfin pour opérer la correction nécessaire. Trop tard.
Peut-être, au siècle prochain saurons-nous prévoir? Il faudra du temps pour inventer une régulation moins fruste. Par chance, comme le dit Claude Raffestin, Genève a une "poche" de temps qui lui permet de voir et d'attendre: sa zone agricole.
J. V.
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Architecture et Art de vivre: "La retenue"
Les fondements du goût genevois
Genève déroute les habitués des villes européennes. Les premiers contacts sont prometteurs: abordant les rues denses, les quais splendides, les parcs opulents, l'amateur de ville espère un "centre" majuscule, à coup sûr digne d'admiration. Il lui faut marcher longtemps pour se convaincre qu'un tel "centre" n'existe pas: ici, pas de château, pas de place royale, pas de palais sompteux où culmineraient les arts de vivre en société. Et la visite dégénère en errance, comme si la ville refusait de se livrer.
La vérité est que Genève n'est pas une ville comme les autres. L'absence de haut lieu touristique n'est pas un défaut accidentel, mais le secret d'une qualité rare: ici, par exception insigne, on ne trouve pas de hiérarchie de l'opulence, car un seul art de vivre régit uniformément l'ensemble de la ville. Il n'y a (presque) rien d'autre à voir à Genève que Genève: un paysage urbain paisible, soigné, propre, dense, où se côtoient sans heurts les riches et les pauvres, les puissants et les dominés, les étrangers et les autochtones. L'intégration est d'autant plus remarquable que les écarts sont très considérables entre les fortunes, les pouvoirs et les origines. Les boutiques de grand luxe cohabitent avec les magasins bon marché, les hôtels cinq étoiles côtoient les immeubles populaires, les Rolls Royce se mélangent aux voitures modestes, et cela n'étonne personne.
Cette coexistence pacifique témoigne d'un art de neutraliser les tensions sociales poussé à un rare degré. C'est l'une des bases de la renommée mondiale de la ville, comme en témoigne une récente étude de marketing touristique, affirmant que Genève est un point de passage obligé pour les nouvelles élites mondiales. A un moment ou à un autre, les chefs d'Etat ou d'industrie récemment portés au pouvoir viennent ici confirmer, pour eux et pour les autres, leur changement de classe sociale: aucune autre ville au monde ne sait aussi bien les mettre à l'aise, en leur offrant le cadre rassurant d'inégalités acceptées, intégrées, et par là-même innocentées, légitimées.
"Produit" touristique, la tranquillité genevoise est d'abord une exigence que la société s'impose à elle-même. Une longue tradition de la "retenue" régit les domaines du goût: l'art de vivre proprement "genevois" ne consiste pas à dépenser ostensiblement en proportion de son pouvoir ou de sa fortune, mais au contraire à gommer les différences en cultivant une normalité discrète, modeste, accessible à tous. L'architecture et l'urbanisme n'échappent pas à la règle.
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La "retenue" en architecture: tradition et modernité
"Pâle, terne, monotone, ennuyeuse", l'architecture genevoise a souvent été critiquée par les voyageurs pour son peu de relief. De fait, on ne trouve, à Genève, que des versions émoussées des modèles inventés ailleurs avec plus de brillant. Ce "manque de créativité" serait inexplicable s'il ne reflétait une intention délibérée, une volonté de bienséance prohibant toute affirmation ostentatoire.
Donnons quelques exemples. Les plus belles demeures patriciennes de la vieille ville sont visibles de loin, du pied de la colline; mais elles se refusent au piéton qui emprunte la très prestigieuse et très discrète rue des Granges. Avant de s'orner de parcs hérités d'anciens domaines, Genève n'a pas cultivé l'art sophistiqué des jardins d'apparat. Le plus grand espace urbain de Genève n'est pas une place, un mail ou une esplanade, mais une plaine de Plainpalais d'allure négligée, sorte de terrain vague en pleine ville maintenu en état de disponibilité pour des activités secondaires (cirque, marché aux puces...). Les façades néo-classiques du XIXe siècle sont plates, régulières, standardisées: elles n'ont pas d'intérêt prises isolément, mais répétées dans des "ensembles" formant un fond de paysage urbain. L'exubérance de l'architecture 1900 n'a laissé à Genève que de très rares exemples, d'ailleurs fort sages. Seul le quai du Mont-Blanc s'enorgueillit de fiers hôtels et d'appartements de luxe: son architecture échappe à la règle parce qu'elle n'est pas genevoise, mais internationale, construite à l'intention des étrangers fortunés des XIXe et XXe siècles, venus jouir de la prestigieuse vue sur les Alpes.
On pourrait continuer: à toutes les époques de l'histoire, l'affirmation architecturale brille pas sa discrétion. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en désole, le fait mérite qu'on s'y arrête: il témoigne de règles de modération qui semblent traverser l'histoire des mentalités. Dans la France de l'Ancien Régime, comme tous les arts de paraître, l'architecture était soumise aux règles de "l'étiquette" imposant à chacun de dépenser selon son rang: ainsi le surintendant Fouquet perdit la liberté et la vie pour avoir construit Vaux-le-Vicomte, qui dépassait en splendeur la demeure du Roi. A Genève, visiblement, le principe de l'art de vivre est plutôt à chercher du côté des ordonnances somptuaires de Calvin (1558), qui interdisait toute dépense ostentatoire: une société qui limita sévèrement les parures des femmes, prohiba les fêtes et punit les spectacles, ne pouvait tolérer l'insolente compétition publique des ruineuses architectures d'apparat. [p. 82-83]
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De même, la Genève du XIXe siècle ne se livre pas à la course aux façades orgueilleuses, par quoi les firmes rivalisent de puissance dans toutes les capitales européennes. Tout se passe comme si la police des apparences mise en place au XVIe siècle s'était implantée durablement, prolongée bien au-delà de la période calviniste sous forme d'une morale laïque faisant à chacun obligation de réfréner des désirs d'affirmation sociale. Ainsi beaucoup plus récemment, le succès de l'architecture moderne à Genève tient peut-être à ce qu'elle répond à de très anciens idéaux. Ce "langage" architectural à prétention universelle, déclassant "les styles" au profit de "standards" applicables aux riches comme aux pauvres, cultivant la simplicité, le dépouillement et l'économie, réalise point par point le programme calviniste de l'égalisation des apparences. Formellement, les logements sociaux des "cités nouvelles" des années soixante (Meyrin, Onex, Lignon, etc.) sont pareils aux immeubles chics des quartiers de Champel ou de Budé, modernes et luxueux, véritables curiosités pour les étrangers habitués à identifier ailleurs modernité et médiocrité. Tout aussi originale est la notion genevoise de "l'attique", dernier étage non visible de la rue, où le luxe peut s'étendre parce qu'il n'offense que le ciel: sous l'espèce corbuséenne de "toits-jardins" comme à Budé (architectes Georges Ador, Julliard, Bolliger et Honegger, 1961-1964), ou de logements duplex comme la belle surélévation "high-tech" d'un immeuble de Champel (architecte Michel Ducrest, 1991).
Minutie du contrôle et logique de la transgression
Visible dans le paysage urbain, l'obligation de "réserve" imposée à l'architecture se retrouve dans la minutie des contrôles dont elle fait l'objet. Le champ des constructions soumises à autorisation est inhabituellement étendu. Il faut déposer une demande officielle pour construire un immeuble neuf, bien sûr, mais aussi pour transformer, rénover ou surélever un immeuble existant, mais encore pour vendre un appartement, déplacer une cloison intérieure, changer l'affectation d'une pièce, poser une antenne parabolique, etc. La loi préconise une surveillance attentive de la couleur des façades, de leur harmonie et de leur intégration. Jusqu'à très récemment, elle régissait même les ornements architecturaux: avec une minutie d'horloger, un "règlement fixant le tarif des empiètements sur ou sous le domaine public" taxait ces [p. 85: image / p. 86] signes extérieurs de richesse sur la base d'une étonnante liste de prix unitaires (la cariatide 50 francs, la colonne 10 francs, le mètre linéaire de corniche 40 francs, etc.). Ce règlement n'a été modifié qu'en 1991.
On pourrait relire, sous le même angle, l'actuelle politique de protection des immeubles existants. Répondant à diverses motivations, le maintien d'une construction satisfait, en outre, un goût de l'épargne et de la retenue, qui s'offense facilement de l'insolence d'une construction neuve ou de la démonstration de puissance d'une grande opération immobilière: le meilleur moyen de "ne pas s'affirmer" est de ne rien construire du tout. C'est ainsi que Genève a récemment renoué avec la tradition des surélévations d'immeubles existants, naguère imposées par l'étroitesse des murailles, aujourd'hui volontaires et devenues un secteur d'activité à part entière. L'un de ses meilleurs représentants est l'architecte Pierre-Alain Renaud, passé maître dans l'art de concilier le passé et le présent en ajoutant à un immeuble un ou deux étages supplémentaires. Sa transformation de la rue Argand (1966) supprime un ancien fronton, mais au profit de deux nouveaux étages inspirés de la tradition genevoise des "cabinotiers". Plus exposée puisqu'appartenant au paysage de la rade, sa surélévation de la maison Marin (1991) confère une dignité nouvelle à une façade hier uniforme, aujourd'hui structurée par un corps central encadré de deux ailes.
Enfin, qui dit "règle" et "contrôle" dit aussi "possibilités de transgression". Les édifices genevois qui ne respectent pas l'impératif de sobriété mériteraient un inventaire systématique. Les réalisations les plus faciles à repérer sont celles qui ont encouru la réprobation de l'opinion genevoise: la Caisse d'Epargne pour être une "caisse" de verre (architectes J. et P. Camoletti, L. Hermès et R. Schwertz, 1974), Uni II pour ses façades de béton et ses halls intérieurs prodigues en espace (Francesco, Paux, Vicari, 1975), l'extension du collège Calvin pour ses colonnes et sa monumentalité (architectes ASS, 1987), ou encore, des mêmes architectes, le nouveau siège de la Banque hypothécaire du Canton de Genève, dominant la rade à la proue de Pile (1991). Abritant des sociétés anonymes et des programmes publics, ces fiers bâtiments ont été autorisés à transgresser la règle de discrétion et de bienséance imposée aux particuliers. Mais ils n'ont pas échappé à la condamnation publique, exprimée souvent dans des termes d'une rare violence.
D'autres édifices non conformes sont produits par la Ville de Genève. Depuis plusieurs décennies, celle-ci conduit une politique architecturale d'innovation par des réalisations [p. 87] pilotes, qui tranchent sur la production ordinaire. Ces audaces sont peut-être le complément nécessaire de la discipline architecturale appliquée au reste de la production: en transgressant les règles, la Ville les fait évoluer. Ses réalisations attirent l'attention sur des valeurs jusqu'alors négligées, ensuite progressivement intégrées dans les procédures de contrôle. A suivre les réalisations de la Ville de Genève, on peut ainsi repérer plusieurs voies d'évolution de l'art de vivre local. La réalisation municipale la plus proéminente est l'ensemble d'habitations que la population a baptisé "maison des Schtroumpfs" (architectes Frei, Hunziker, Stefani, Barada et G. Berthoud, 1981-1992): ces immeubles denses à haut niveau de diversité sont un véritable manifeste, d'ailleurs mondialement connu, en faveur des valeurs d'appropriation par les habitants. Sur un autre registre, l'immeuble du quai du Cheval-Blanc (architectes Brodbeck et Roulet, 1988) défend des valeurs d'habitation plus conventionnelles: la souplesse fonctionnelle d'appartements traversants aux surfaces généreuses s'allie à un marquage symbolique appuyé, par des objets solennels ou amusants (des piliers au rez-de-chaussée, un papillon de G. Poussin sous la verrière de l'escalier, etc.). De son côté, le dernier immeuble sur le rond-point de la Jonction (architectes Lamunière, Van Bogaert, Maget, Micheli, 1992) consacre les valeurs d'urbanité: la courbe majuscule de la façade principale, rythmée par deux fines colonnes et couronnée par une manière de fronton, termine en langage contemporain la construction d'un espace public entamée au début du siècle.
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Malaise et civilisation
Dans Malaise dans la civilisation (1929), S. Freud montrait qu'un sentiment de culpabilité, lié à la répression des pulsions, était non seulement le corrélat inévitable des sociétés policées, mais leur fondement. La "retenue" de l'architecture genevoise peut se comprendre dans une perspective analogue: les règles exigeantes de discrétion sociale, dont les architectes genevois s'accommodent souvent avec un rare mérite, sont la contrepartie et la condition d'un paysage urbain apaisé, donnant une image sociale de cohésion et d'harmonie. Réfréner les désirs de création architecturale n'est pas une position confortable: il n'est peut-être pas d'autre voie pour un paysage urbain civilisé.
R. Q.
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Parcs et jardins
La nature en ville
On ne saurait parler de l'urbanisme sans aborder, non pas les "espaces verts", cette notion légaliste et froide qui englobe les cimetières, les squares et les promenades publiques dans un concept que chacun interprète et revendique à sa guise, mais les jardins publics et privés, où se déploie un art subtil qui tient tout à la fois de l'architecture, de l'esthétique, de l'agriculture et de la connaissance des "secrets de nature", comme disaient les vieux théoriciens des jardins pour désigner les conditions naturelles de la croissance des plantes et les possibilités techniques de les modifier ou de les aménager.
Les premières promenades publiques de Genève sont contemporaines des grands parcs français. La Treille, au sommet des remparts, face au Salève, fut acquise par la communauté des citoyens au début du XVIe siècle, puis, dès 1558, plantée d'arbres pour l'agrément des Genevois. Le Mail, à Plainpalais, donc hors les murs, apparaît comme un terrain d'exercices sportifs dès 1637. Le jardin des Bastions, gagné au début du XVIIIe siècle par comblement des fossés des fortifications, fut planté d'arbres et aménagé en promenade publique en 1726. De 1817 à 1819, à l'instigation du botaniste Augustin Pyramus de Candolle, un jardin botanique, une orangerie, un bassin pour les arrosages et deux serres y furent établis. Aujourd'hui, c'est surtout le mur des Réformateurs, réalisé à partir de 1909, qui attire les touristes dans cette promenade, oasis de verdure au milieu de la ville. Quant à la promenade Saint-Antoine, elle fut plantée d'arbres en 1805, par le maire Frédéric-Guillaume Maurice.
Comme dans les autres villes européennes, c'est la démolition des fortifications qui a permis à Genève de constituer sa ceinture verte de parcs publics, les uns construits aux frais de la Ville et entretenus par elle, les autres donnés ou légués par des mécènes. Grâce à ces donations et à un budget — encore — généreux, Genève fait bonne figure face aux capitales européennes: les "espaces verts" de la ville s'étendent en effet sur environ 300 hectares, soit le cinquième de la surface municipale.
En 1854, pour compléter le prolongement du Grand Quai en direction des Eaux-Vives et en particulier pour procurer aux hôtes du somptueux hôtel Métropole qui vient d'être construit un beau coup d'oeil sur la Rade, le Conseil administratif de la Ville de Genève entreprend l'aménagement de la Promenade du Lac, qui sera appelée plus tard le Jardin anglais. C'est sans doute la plus photographiée des promenades genevoises, à cause de la célèbre horloge fleurie, dont le mécanisme a été offert en 1955 par l'Union des fabricants d'horlogerie de Genève et Vaud, ... et un peu moins à cause du fameux Monument national, érigé en 1869.
Des différents types de parcs
A l'intérieur de cette ceinture, les plus anciens jardins correspondent encore au type du jardin à la française, dans sa version "adoucie" du XVIIIe siècle. Sur les plans cadastraux, on lit encore les alignements géométriques de plates-bandes, de topiaires et de boulingrins autour des bassins somme toute modestes — dame, [p. 90] lorsqu'on a sous les yeux un lac aussi prestigieux que le Léman, les grands bassins ne sont pas nécessaires. Tels sont les Délices, aménagés par Voltaire dès 1755, les abords des campagnes du Reposoir, du Grand Malagny, tels étaient autrefois le jardin du Saugy à Genthod et le Parc La Grange.
Mais le modèle qui l'emporte au cours du XIXe siècle est sans conteste celui du jardin anglais, où les plates-bandes fleuries, dont les alignements marquent plus de souplesse que dans le jardin à la française, forment une sorte de transition entre la maison et le parc paysagé. Là, les gazons descendent en pente douce vers le lac ou plus prosaïquement vers la route, le bord du domaine et les accidents du terrain, parfois fruit de terrassements coûteux, sont soulignés par des bosquets ou des arbres de grande taille. Des sentiers romantiques sont aménagés, conduisant jusque vers quelque monument, tels que le tombeau du donateur. Le modèle le plus achevé est le parc de l'Ariana, légué à la Ville par Gustave Revilliod, qui allait jusqu'au lac, mais qui est coupé par la voie du chemin de fer et surtout, malencontreusement, par le gigantesque Palais des Nations.
On aime à faire remonter la tradition botanique de Genève à Jean-Jacques Rousseau, mais le premier jardin botanique est de caractère savant: entre 1568 et 1570, le médecin Jean Bauhin eut un petit jardin de plantes médicinales sur la Treille, devant le logis de Saint-Aspre, jardin qui tomba en friche après le départ de son créateur. C'est seulement en 1817 qu'il eut une résurgence aux Bastions, où subsistent aujourd'hui quelques essences rares munies d'étiquettes. En 1902-1904, le jardin botanique, déjà rattaché à l'Université, fut transféré à Sécheron, au bas du parc de l'Ariana, aménagé en forme de jardin alpin avec rocailles et étangs artificiels, agrandi à deux reprises, complété de serres et d'une orangerie, tandis que les collections sont abritées d'abord dans le bâtiment de la Console (1904), puis dans le centre moderne du chemin de l'Impératrice, [p. 91] inauguré en 1977 (voir tome VI de cette Encyclopédie, pages 142-143 et 224-227). Ce jardin d'étude a du succès auprès du grand public, d'autant qu'on y organise des expositions en rapport avec la nature et l'environnement, des concerts de jazz et d'autres manifestations et qu'on y a inauguré, en 1991, un jardin des senteurs et du toucher, à l'intention principalement des mal-voyants. Il n'éclipse toutefois pas complètement les autres jardins alpins ou botaniques du Canton, celui de Meyrin, et surtout celui de Floraire, à Chêne-Bourg, créé par le botaniste Henry Correvon (1854-1939), racheté par la commune de Chêne-Bourg et réaménagé en 1989.
On ne signalera ici que, pour mémoire, les tentatives éphémères ou modestes de parcs zoologiques, tels que le jardin zoologique de Saint-Jean, qui exista dans les années trente, ou les espaces accordés à Pierre Challandes pour recueillir, non sans s'exposer à mille critiques généralement injustifiées, les animaux exotiques abandonnés par des acheteurs légers ou irresponsables.
Il faut enfin mentionner les jardins du souvenir, parmi lesquels les cimetières, principalement le cimetière de Plainpalais, où dorment, dans un parc paisible, les grands hommes de la République, occupent une place de choix. C'est du reste le seul cimetière digne de ce nom, car les règlements du XIXe siècle, prescrivant des alignements stricts et égalitaires pour éviter les problèmes confessionnels — ou plutôt pour brimer les catholiques romains — ont créé des champs sans âme et sans charme, contre lesquels la commission d'art public et le botaniste Henry Correvon tonnèrent avec succès en 1905. On peut aussi signaler le jardin des Alpes, dont la forme triangulaire, s'ouvrant sur le quai, s'explique par l'existence d'un ancien port naturel, dit "fossé vert", puis port des Pâquis, qui a été comblé en 1862. C'est sur son emplacement qu'a été élevé, en 1877, le monument du duc Charles de Brunswick, qui avait légué toute sa fortune à la ville de Genève, à charge pour elle de lui élever un monument fastueux. Mais à vrai dire, tous les parcs sont peu [p. 92] ou prou des jardins du souvenir, puisqu'on les a peuplés de monuments aux gloires de la Genève savante, humanitaire et artiste.
Les Genevois et leurs parcs
Le service des Espaces verts et de l'environnement (SEVE) de la ville de Genève, basé à la villa Plantamour, poursuit l'oeuvre raffinée des propriétaires et des créateurs de ces "campagnes". Les archives privées et les plans cadastraux anciens permettent de connaître les achats d'arbres et d'essences de toutes sortes, l'organisation architecturale du domaine, où les plates-bandes fleuries devant la maison, agrémentées de statues, de vases et de jets d'eau, sont une invite à la promenade et créent une transition avec le paysage faussement naturel, en réalité domestiqué, du jardin à l'anglaise, avant la nature sauvage qui est désormais bien loin.
Dans une ville que la promotion immobilière a rendue sans cesse plus minérale, les Genevois défendent avec acharnement leurs zones de verdure, organisent des référendums pour empêcher les édiles de les considérer comme des dépotoirs d'équipements urbains (voir la votation de 1990 sur un projet d'école dans le parc Vermont), se mobilisent pour sauver leurs vieux arbres, même condamnés par la Faculté. Cela à telle enseigne que le SEVE a dû mettre au point un système de culture très ingénieux, mais coûteux, de manière à pouvoir disposer en tout temps d'arbres de taille déjà respectable pour remplacer les vieux monuments pourris que l'on doit abattre pour des raisons de salubrité et de sécurité. Ce qui ne signifie pas que les Genevois renoncent à la moindre parcelle de leur confort pour diminuer la pression mortelle qu'exerce la civilisation urbaine sur les arbres.
Des lieux de sagesse et de beauté
Les jardins privés ne prétendent pas à tant de magnificence. Ils doivent être utiles, fournir des légumes pour la famille, des fleurs pour le salon et pour les visiteurs — et un lieu de méditation et de repos pour l'âme des citoyens stressés. On ne remontera pas ici jusqu'aux jardins des couvents et des ermitages genevois, bien que les cultures maraîchères des plantaporrêts de Plainpalais aient bénéficié des efforts des Dominicains ou de leurs convers pour discipliner l'Arve et y établir des cultures. Les nombreux jardins situés à l'intérieur des remparts, décrits par les grosses de reconnaissances féodales des XVe et XVIe siècles ont dû faire place, peu à peu, à des bâtiments, pour loger les réfugiés qui affluaient dans la ville-citadelle, enfermée dans ses fortifications dont elle ne put sortir, timidement, que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Décrivant la campagne genevoise en 1899, Guillaume Fatio se souvenait encore, directement ou par gravures interposées, du temps où la campagne commençait aux portes de la ville, bien délimitée par ses remparts ou ce qu'il en restait. Le chemin de fer, le bateau à vapeur, le tramway, le téléphone ayant aboli les distances, tous ceux qui en avaient les moyens s'établissaient dans la campagne proche, créant ainsi les premières zones de villas suburbaines. [p. 93: image / p. 94]
Dans un chapitre sur la villa idéale, G. Fatio définit le travail du jardinier-paysagiste: "Son oeuvre a déjà été ébauchée par la nature et, s'il doit planter dans un endroit, il doit aussi conserver dans un autre, éliminer ici et transformer là. La nature, livrée à elle-même, ne produira jamais l'effet que peut obtenir un travail patient, poursuivi année après année, jour après jour, pied à pied, par un artiste intelligent qui connaît le charme spécial du moindre détail, tout en ne perdant jamais de vue l'effet d'ensemble." Et de donner une série de conseils pratiques pour l'aménagement du jardin, le choix des plantes, des fleurs et des arbres, leurs rôles divers selon les saisons, en gardant toujours à l'esprit le tableau général, même au-delà du "pré-carré" que constitue une petite propriété suburbaine.
Les jardins ouvriers
Le plaisir et le profit d'un jardin à soi ne fut pas réservé aux riches bourgeois. Les philanthropes du XIXe siècle, attentifs au sort et aux besoins de la classe ouvrière, estimaient qu'il était nécessaire au bien-être des ouvriers comme à l'harmonie de la société que les travailleurs eussent un jardin à cultiver, si petit fût-il, et que leurs enfants eussent un contact vivifiant avec la nature.
L'exemple, venu de la grande banlieue parisienne, où des jardins ouvriers avaient été créés à la fin du XIXe siècle, fut suivi à Genève, dès la Première Guerre mondiale, sous l'empire des restrictions alimentaires. A partir de 1916, la Ville de Genève mit à la disposition des habitants de la commune des terrains sur la presqu'île d'Aïre et au Bachet de Pesay, puis à Châtelaine, ailleurs encore. La commune de Carouge, d'autres communes suburbaines suivirent cet exemple, et organisèrent des concours pour récompenser et encourager les agriculteurs les plus méritants. Outre la production de légumes, il y avait, sur de nombreuses parcelles, des cabanes sommairement construites où l'on élevait des lapins et de la volaille.
A la fin de la Grande Guerre, il y avait plus de 4.000 jardins familiaux sur le territoire cantonal. Mais leur nombre diminua rapidement sous la pression de la construction immobilière. Entretemps, les bénéficiaires s'étaient organisés. En 1922, les 48 groupements existants se constituèrent en une Fédération cantonale des jardins familiaux, rattachée à une Fédération suisse fondée en 1925. En 1992, il n'existe plus que 22 groupements, totalisant 1.850 locataires qui cultivent des parcelles dans 17 communes. Aux cabanes assez inesthétiques des débuts a succédé un modèle uniforme de maisonnettes de 12 mètres carrés achetées par les locataires.
Les locataires de jardins familiaux doivent cultiver le petit jardin qui leur est attribué, mais aussi participer à la vie communautaire du groupe: on doit deux demi-journées à la collectivité, pour tondre le gazon sur les parties communes, les jeux d'enfants ou la corvée des sanitaires. On doit aussi cultiver des fleurs sur une bande de 60 cm de large, le long de l'avenue touchant chaque terrain. Ainsi, les jardins familiaux concilient le profit matériel et moral que les familles tirent du jardinage avec la dimension civique liée dès le début à cette institution.
C.S.
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[p. 95]
Les transports et la circulation
Genève en articulation avec l'Europe occidentale
Genève rhodanienne et francophone, Bâle rhénane et alémanique sont les deux principales articulations de l'espace helvétique dans l'Europe occidentale. Avec l'effacement graduel des frontières nationales, ces deux agglomérations vont jouer un rôle accru dans la structuration de l'espace européen, notamment dans celui des grands réseaux de transport.
Genève et le classement des villes européennes
L'Institut de géographie de Montpellier a publié, en 1989, une étude marquante portant sur le classement des 165 agglomérations de plus de 200.000 habitants d'Europe occidentale. Seize paramètres sont pris en compte pour définir le rôle et le rayonnement européen de chaque agglomération. Londres et Paris se placent naturellement au premier rang, suivies de Milan, seule agglomération figurant au second rang. Plusieurs capitales (Rome, Bruxelles) ainsi que des grandes métropoles régionales (Barcelone, Francfort, Munich) occupent le troisième rang, devançant onze agglomérations classées en quatrième rang. Genève et Zurich sont les seules villes suisses dans ce groupe qui englobe Stuttgart, Hambourg, Berlin, Copenhague, Rotterdam et Manchester au nord, et Lyon, Turin et Athènes au sud de l'Europe.
Situées en triangle autour du Mont-Blanc, Lyon, Turin et Genève sont toutes trois considérées comme disposant d'un rayonnement européen globalement équivalent. Quelles que soient les subtilités et la dynamique d'un tel classement (avec la chute du mur, Berlin va rapidement changer de classement), il subsiste que les agglomérations constituent des points singuliers de l'espace européen dans leur fonction de noeuds principaux des grands réseaux de transports terrestres, aériens et parfois aussi maritimes.
Genève et les grands réseaux européens de transport
Genève dispose d'un aéroport international d'une remarquable attractivité eu égard à la population de sa zone d'influence franco-suisse. Cet atout international compense partiellement la faiblesse des relations terrestres, notamment ferroviaires, avec l'ouest et le sud de l'Europe. Enserrée par le Jura et l'arc alpin, Genève est en situation géographique [p. 96] de cul de sac, dont le seul accès terrestre aisé est le couloir Nord alémanique doté de deux infrastructures de transport très sollicitées: l'autoroute N1 Genève – Lausanne et la diagonale ferroviaire Genève – Berne – Zurich – Romanshorn.
Ce n'est que très récemment, avec l'ouverture de l'autoroute alpine française A4o Nantua – St-Julien, que Genève dispose d'une liaison autoroutière transjurance directe avec l'axe européen Paris – Lyon – Marseille. Les gains de temps vers Paris, Lyon et le Midi sont substantiels. Le maillage de ce réseau autoroutier sera progressivement renforcé, pour inclure deux liaisons supplémentaires: vers le sud par Cruseilles et vers le Valais par Evian et l'autoroute Sud-lémanique. A terme, le réseau autoroutier articulé sur Genève formera une étoile à cinq branches dont quatre seront françaises.
Si les options autoroutières sont quasiment arrêtées, l'avenir ferroviaire, reste, comme au début du siècle, marqué par des points d'interrogation liés à des décisions françaises. Ces interrogations sont lourdes de conséquences pour Genève et la Suisse occidentale, car le chemin de fer à grande vitesse (TGV) est un composant majeur de la nouvelle trame européenne des grands réseaux de communication. Face à l'encombrement de plus en plus fréquent des grands axes autoroutiers et à la saturation des aéroports, le transport ferroviaire à grande vitesse constitue une alternative de transport particulièrement efficace, confortable, fiable et attractive pour des distances comprises entre 200 et 800 kilomètres. Par ailleurs la desserte directe des centres-villes est un des atouts dominants du chemin de fer.
Le schéma directeur français des liaisons ferroviaires à grande vitesse, de mai 1991, inscrit deux liaisons, sujettes à accord international, avec Genève:
— le barreau Genève – Bourg-en-Bresse – Mâcon, raccordé à la ligne TGV Paris – Lyon – Méditerranée
— le barreau dit du "Sillon alpin", Genève – Chambéry, raccordé à la future liaison TGV transalpine Lyon – Turin, par le nouveau tunnel de base du Mont-Cenis.
Avec ces deux liaisons, Genève et la Haute-Savoie bénéficieraient d'une extraordinaire amélioration de leur desserte ferroviaire européenne grâce à des réductions majeures de temps de parcours:
— de 3h30 à 2h15 pour Genève – Paris
— de 2h00 à 1h00 pour Genève – Lyon
— de 10h00 à 4h30 pour Genève – Barcelone
— de 4h30 à 1h30 pour Genève – Turin
Le franchissement du Jura, à l'ouest, ou du relief haut-savoyard, au sud, pose des problèmes techniques et financiers majeurs. Ainsi, même si ces deux liaisons ferroviaires [p. 97] sont indispensables et complémentaires, elles ne pourront être réalisées conjointement.
Pour la Suisse occidentale et Genève, la liaison TGV Genève - Bourg-en-Bresse est la plus attractive, car elle opère le raccordement le plus direct avec l'axe principal TGV sud-est Paris - Lyon - Méditerranée. Le raccordement Genève - Chambéry allonge le parcours vers Paris et l'Europe du nord-ouest de 150 km, mais offre des relations privilégiées avec le Midi et avec Turin via le Mont-Cenis. C'est la solution préférée par la région Rhône-Alpes à l'exclusion de l'Ain et de la Haute-Savoie.
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Trois pôles de transports nationaux et internationaux à Genève
C'est sur le flanc sud de Genève que les interconnexions des grands réseaux seront localisées, cela aussi bien pour les autoroutes (échangeur de Bardonnex-Archamps) que pour les nouvelles liaisons ferroviaires à haute performance. Une nouvelle gare "Genève-Sud" sera implantée au pied du Salève à la convergence des lignes TGV en provenance de Mâcon ou de Chambéry (ou les deux) et d'une nouvelle liaison avec la Praille et la gare de Cornavin. Ainsi, le projet de liaison entre les gares Cornavin et Eaux-Vives serait rendu caduc avant d'avoir vu le jour, cela pour être remplacé par une interconnexion ferroviaire internationale plus à l'Ouest. La gare des Eaux-Vives et sa liaison avec Annemasse pourraient alors être intégrées au réseau des transports collectifs urbains (tramway ou métro) de la région genevoise.
Tout porte à croire que Genève s'oriente vers un système de trois gares à fonctions nationales et internationales: la gare de Genève-Cointrin, la gare centrale de Genève-Cornavin et la gare de Genève-Sud. Avec le déploiement des nouvelles lignes de tramway, du métro et des dessertes ferroviaires régionales. Ces gares façonneront profondément l'image de Genève au XXIe siècle.
Genève en articulation avec sa région
Rien ne sert de relier Genève à Paris en 2h15 s'il faut une heure à un habitant d'Anières, de Gex ou de Dardagny pour se rendre à Cornavin. Ce type de déplacement étant occasionnel, ce sont les trajets quotidiens qui sont au centre des préoccupations, non seulement des Genevois, mais aussi des habitants des territoires limitrophes en Pays de Vaud et dans l'Ain et la Haute-Savoie. Le chapitre "Genève et ses voisins" du tome VIII de cette Encyclopédie présente la problématique particulière des transports transfrontaliers en région genevoise. Seul un complément d'information chiffré est donné ici pour préciser l'ampleur du problème.
En matière de déplacement, le périmètre d'influence directe de Genève englobait, en 1990, une population de 620.000 habitants, 388.000 à Genève et 232.000 dans les territoires limitrophes vaudois et français. Une subdivision de la région genevoise en quadrants délimités par le Petit-Lac et le Rhône, d'une part, et par la ligne reliant le CERN au Petit Salève, d'autre part, donne la répartition démographique illustrée par le tableau ci-après. [p. 99]
Il est intéressant de constater que plus de 250.000 habitants, soit 65 pour cent de la population genevoise, est localisée à l'aval de la région. Cette proportion est plus qu'inversée pour la population hors de Genève, dont le 79 pour cent est localisé à l'amont de la région de part et d'autre du Petit-Lac. Globalement, les 620.000 habitants de la région se répartissent presque également entre les sous-régions amont et aval. Près de 60 pour cent de la population régionale est localisée en rive gauche, soit à l'opposé des liaisons de transport reliant Genève à la Suisse.
Ph. H. B.
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Les problèmes de circulation à Genève
Genève a la dimension d'un arrondissement de Paris et pourtant, la circulation est loin d'y être fluide. Les automobilistes se plaignent d'une circulation lente et chaotique et d'un manque endémique de places de stationnement, les transports publics ne jouissent pas d'une liberté de circulation leur permettant de respecter les horaires, les deux-roues risquent à tout moment des accidents; quant aux piétons, ils souffrent d'une concentration excessive de gaz polluants et ont de la peine à se mouvoir dans un environnement accaparé par l'automobile, en mouvement ou à l'arrêt.
Résoudre ces difficultés est l'un des défis les plus redoutables auxquels sont confrontées les autorités du Canton et de la Ville, l'un de ceux aussi qui passionne le plus la population. Le problème n'est d'ailleurs pas propre à Genève; il existe, à des degrés divers, dans tous les pays européens. L'objectif est de satisfaire un besoin essentiel des habitants, des visiteurs et des professionels: la capacité de déplacement. Or, il apparaît de plus en plus évident que cette capacité ne peut être assurée par les seuls transports individuels. Il faut donc développer un système de transports collectifs performants afin de maintenir la mobilité nécessaire dans l'agglomération, d'où investissements considérables et choix politiques délicats.
Voici quelques-unes des raisons pour lesquelles la solution de ce problème se heurte, dans une ville moyenne comme Genève, à de grandes difficultés.
Une mobilité frénétique... de préférence en voiture
Pour Pascal, tout le malheur de l'homme vient de ce qu'il ne sait pas "demeurer en repos dans une chambre". Mais depuis que l'automobile lui rend ses déplacements faciles et parfois agréables, sa soif de nouveauté ne connaît plus de bornes. Et puis, la paresse aidant, il utilise sa voiture pour les trajets les plus courts, sans penser à la gêne qu'il inflige à ses semblables et aux atteintes qu'il fait subir à l'environnement. D'après le recensement fédéral de 1980, chaque ménage genevois parcourt en moyenne 17.200 kilomètres par année en automobile, soit 47 km par jour, qu'il s'agisse de jours fériés ou de jours ouvrables. La géographie, si favorable par ailleurs à l'art de vivre, impose au trafic des contraintes redoutables: la traversée du Rhône, de l'Arve et du lac sont des obstacles qui entravent la [p. 101] circulation. Et surtout le taux de motorisation est l'un des plus élevés d'Europe: plus d'une voiture par ménage. En 1980, sur 156.000 ménages établis dans le Canton, 55.000 (35%) n'avaient pas de voitures, 75.000 (48%) en avaient une, 22.500 (14%) deux et 3.000 (2%) trois ou plus. Depuis lors, le nombre de voitures de tourisme a augmenté de 50.000 unités entre 1980 et 1990 (+33%) et chaque année 20.000 voitures neuves sont mises en circulation. De plus, Genève occupe environ 30.000 frontaliers et plus de 10.000 travailleurs qui habitent en Suisse, la plupart dans le canton de Vaud; une partie importante de ces travailleurs non résidents se rend à son travail en voiture. Rien d'étonnant si l'on considère, comme le fait J.-P. Baumgartner dans une étude intitulée "Impacts des nouvelles technologies sur l'efficacité et la sécurité", qu'en 1990, le coût annuel d'une automobile de 1.500 cm3 de cylindrée, roulant 15.000 km par an, est trois fois moins élevé qu'en 1960.
De leur côté, les Transports Publics Genevois (TPG), bien qu'ayant enregistré une augmentation de près de 75% du nombre de voyageurs transportés, qui sont passés de 59 à 103 millions au cours de ces dix années, n'absorbent que 19% du trafic.
La concentration des emplois au Centre-Ville et la dispersion de l'habitat dans la périphérie, et surtout hors du Canton, sont une autre source de difficultés.
Ainsi, selon Philippe Bovy, on trouve à Genève "les flux de trafic automobile les plus intenses recensés dans les agglomérations suisses".
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La procédure est longue jusqu'à la décision
Enfin, il faut reconnaître que dans le domaine du transport, comme d'autres domaines touchant à l'urbanisme, les décisions tardent. Il s'est écoulé une génération (32 ans) entre l'installation du premier chemin de fer en France et l'établissement de la liaison ferroviaire de Genève avec Lyon et le reste de la Suisse. Le projet de la Faucille ne verra jamais le jour et la liaison entre les gares de Cornavin et des Eaux-Vives qui lui était liée, prévue dans la Convention de rachat de 1912 de la ligne Genève-La Plaine, n'est toujours pas réalisée. L'autoroute de contournement a nécessité 20 ans d'études et de négociations. L'aménagement des Rues Basses a été mis en chantier en 1984 et n'est toujours pas terminé en 1992. Et la traversée de la rade est à l'ordre du jour depuis 1950.
Ces délais s'expliquent avant tout par des limites budgétaires: les décisions en matière de transports et de circulation coûtent des sommes astronomiques qui ne peuvent être dégagées que par étapes: un milliard de francs pour l'autoroute de contournement, ce sont cent millions par an pendant dix ans. D'autre part, le Conseil d'Etat veille, non seulement à la capacité de déplacement de la population, mais à l'emploi et à la situation économique des entreprises. En étageant les travaux dans le temps, il prolonge la durée d'engagement de la main-d'oeuvre et évite que les entreprises ne se suréquipent.
Les délais s'expliquent aussi par les recours lancés régulièrement contre les projets tant soit peu audacieux en matière de circulation et de parcs de stationnement, aboutissant parfois à des référendums: parking de l'Observatoire, du Pré l'Evêque, de Saint-Antoine, extension de l'aérogare, etc...
Les études se succèdent
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement se préoccupe de faire redémarrer l'économie genevoise affaiblie par six années de crise et six années de guerre. Sous la présidence de Louis Casaï, conseiller d'Etat chargé du Département des travaux publics, un premier plan directeur est publié en 1948. Il s'agit du rapport de la Commission d'étude pour le développement de Genève. Très tôt, le réseau des voies de communication fait apparaître des risques de saturation en raison de l'accroissement rapide du parc automobile. L'ingénieur Biermann, après un travail de bénédictin, propose un redimensionnement et une réorganisation de la voirie dans un rapport daté de 1959. C'est [p. 103] l'époque du "tout automobile", qui voit le démantèlement des voies de tram au profit des trolleybus et des autobus.
Au début des années soixante, M. François Peyrot, conseiller d'Etat chargé du Département des travaux publics, réactive la Commission d'urbanisme. Constatant qu'entre 1955 et 1965, la population du Canton a augmenté de 7.000 habitants en moyenne par année, celle-ci prend comme hypothèse de travail une population de 800.000 habitants à l'horizon 2015. Hypothèse abandonnée par la suite, mais pas si éloignée de la réalité si l'on considère que la région franco-valdo-genevoise compte aujourd'hui déjà plus de 600.000 habitants. Cette Commission publie, en 1966, un nouveau plan directeur, dit "plan alvéolaire", fondé sur le principe de la densification des zones urbaines et sur la liaison avec le réseau suisse des autoroutes, inauguré en 1964 sur le tronçon Lausanne — Genève. Ce plan prévoit de relier le nord et le sud de la ville en franchissant la rade; six projets de traversée voient le jour, commandés par la Commission d'urbanisme, qui sont exposés publiquement durant le mois de mars 1964, à la salle du Faubourg. [p. 104]
Ce plan se heurte à de vives critiques. Il est suivi d'une période de flottement et ce n'est qu'en 1972, sous l'impulsion de MM. François Picot, puis Jaques Vernet, conseillers d'Etat en charge du Département des travaux publics, qu'une Commission interdépartementale entreprend l'étude d'un nouveau plan directeur des transports, soumis, le 2 août 1982, au Grand Conseil. Ce plan est fondé sur une vision globale des différents modes de transport; son objectif est de stabiliser la répartition entre transports publics et transports privés.
Entretemps, le Grand Conseil, s'est prononcé, en janvier 1980, en faveur du raccordement du réseau autoroutier suisse au réseau français par la réalisation d'une autoroute de contournement de préférence à une traversée de la rade, et ce choix a été confirmé en votation populaire le 15 juin 1980.
Les études se poursuivent, les rapports du Conseil d'Etat se multiplient, assortis parfois de projets de lois, le peuple intervient par la voie de l'initiative... et tout ce remue-ménage n'a guère d'effet sur la circulation.
Un réveil salutaire...
Depuis les années soixante-dix et plus encore quatre-vingt, on constate à Genève, dans tous les milieux, une prise de conscience de la gravité des problèmes de circulation et de la nécessité de leur trouver des solutions hardies. Les manifestations de ce regain d'intérêt ne manquent pas.
C'est tout d'abord l'initiative déposée le 25 août 1971 par l'Institut de la Vie, visant à la réorganisation et au développement des transports publics et, le 6 décembre 1983, le dépôt de l'initiative "Pour des transports publics efficaces", origine de la loi du 12 juin 1988 sur le réseau des transports publics, de même que l'initiative populaire lancée en septembre 1985 pour une traversée de la rade, approuvée massivement le 12 juin 1988.
C'est la transformation de la Compagnie genevoise des tramways électriques (CGTE), société anonyme de droit privé, en un établissement de droit public, la régie autonome des Transports Publics Genevois (TPG), le 7 janvier 1976.
Encore fallait-il une pression extérieure pour contraindre les autorités genevoises à prendre le problème à bras le corps et engager une politique systématique de régulation du trafic et d'organisation des transports: cet effet stimulant, on le doit à la loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l'environnement, entrée en vigueur le 1er janvier 1985, qui impose aux cantons l'obligation de ramener la pollution de l'air et le bruit de la circulation à certains taux maxima.
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... après un sommeil agité
Le mémorial des séances du Grand Conseil témoigne de l'attention portée par le gouvernement et par les députés aux problèmes de la circulation. Les rapports du Conseil d'Etat sont nombreux et circonstanciés, les débats animés. Les rapports d'experts se succèdent, les chiffres s'accumulent, toujours plus détaillés, les crédits d'étude atteignent des sommets et, à force d'approfondir chaque hypothèse, les analyses font perdre de vue les raisonnements de bon sens et masquent la vue d'ensemble, indispensable dans un domaine où toute mesure prise dans un domaine déterminé a des répercussions sur les autres domaines.
Ce fut le mérite de M. Guy-Olivier Segond, alors conseiller administratif de la ville de Genève, de demander une expertise au professeur Philippe Bovy, directeur de l'Institut des transports et de planification de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne qui, avec un sens aigu des réalités et grâce à l'expérience acquise dans d'autres villes et d'autres pays, a présenté, en août 1989, un tableau général de la gestion des espaces publics et des transports urbains à Genève sous un éclairage nouveau, comportant une vision synthétique des problèmes. En effet, tout se tient, on ne peut améliorer la circulation à Genève sans intervenir à la fois sur les transports publics, la voirie, les parcs de stationnement et la modération du trafic automobile, à l'échelle de la Ville, du Canton et de la France voisine. [p. 106]
C'est le groupe Etat-Ville qui, avec la collaboration du professeur Bovy, conduit dorénavant les études, en particulier concernant la traversée de la rade. Il recommande une traversée péri-urbaine implantée selon l'axe GATT - Genève Plage en pont haubanné prolongée par un tunnel de raccordement au carrefour Frontenex - Gradelle et rejoignant le secteur Malagnou - Moyenne ceinture.
Le plan de mesures
Un pas important a été franchi le 27 mars 1991, jour où le Conseil d'Etat a adopté le Plan de mesures du Canton de Genève, destiné à lutter contre la pollution de l'air conformément à la loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l'environnement et aux ordonnances subséquentes. Ce plan explore les divers facteurs de pollution atmosphérique et propose un ensemble de mesures d'assainissement formant un tout indissociable, car intimement liées et réagissant les unes sur les autres.
Dans le domaine des transports, il traite des mesures à prendre pour satisfaire d'ici 1994 aux exigences de l'ordonnance fédérale sur la protection de l'air et pour affronter, d'ici 2002, une augmentation des déplacements sans porter atteinte à l'environnement:
— le développement des transports publics
— l'établissement de nouveaux schémas de circulation
— l'exploitation des voies de circulation existantes
— l'amélioration des possibilités de stationnement
— certaines mesures sectorielles en faveur des transporteurs professionnels, des taxis, des deux-roues et des véhicules électriques.
"Au total, dit le rapport TC 2000-2005, c'est environ 1 milliard de francs qu'il s'agit d'investir sur une période de 10 à 15 ans (non comprises les installations annexes comme dépôts et ateliers), ce qui correspond à des investissements de l'ordre de 70 à 100 millions par année."
Le développement des transports publics
Dans son livre publié en 1962 à l'occasion du centième anniversaire des transports en commun dans le canton de Genève, Pierre Bertrand fait remonter au 13 septembre 1833 l'établissement d'une liaison régulière, par omnibus, entre la place Neuve et le rondeau de Carouge. Toutefois, c'est bien en 1862, le 19 juin, qu'a été ouverte, sur ce même trajet, la [p. 107] première ligne genevoise de chemin de fer à traction par chevaux. Le concessionnaire est Charles Burn & Cie. L'année suivante, une nouvelle compagnie obtient la concession pour assurer la liaison entre Genève et Moillesulaz, et un an plus tard, les deux compagnies fusionnent sous la raison sociale Société anonyme des tramways de Genève. 1878 marque le début de la traction à vapeur et 1894 de la traction électrique, sur la ligne Champel — Petit-Saconnex. La Compagnie genevoise des tramways électriques (CGTE), société anonyme privée, est née; elle rachète en 1900 et 1901 les autres sociétés. C'est, jusqu'en 1914, l'âge d'or des tramways genevois, nombreux et performants pour l'époque. Mais à partir de la Première Guerre mondiale les crises se succèdent, les Genevois affirment haut et fort leur préférence pour les transports individuels; tout cède à l'automobile; l'Etat intervient de plus en plus et devient l'actionnaire principal jusqu'à la création, en vertu de la loi du 7 janvier 1976, de la régie autonome des Transports Publics Genevois. L'organisation du réseau avait été profondément modifiée par la loi du 6 mars 1948 qui distingue les lignes de tram, de trolleybus et d'autobus, et par le statut adopté en 1955 par la CGTE, qui prévoit la suppression progressive de toutes les lignes de tram — encore une victoire de l'automobile — à l'exception du tram 12, qui a pu être sauvé de justesse. [p. 108]
L'entrée en vigueur du nouveau statut des TPG, en 1977, et surtout l'adoption de la loi du 12 juin 1988 marquent le départ d'une nouvelle étape. L'importance des transports collectifs est reconnue, on équipe les lignes de nouveaux véhicules performants, installe des lignes de tram en site propre et des couloirs pour les bus, et décide, le 31 janvier 1990, dans le cadre du plan directeur 1990-1994, la construction du tram 13 qui assurera la liaison entre le Bachet de Pesay et la gare Cornavin, avec prolongation jusqu'aux Acacias d'une part et Sécheron d'autre part.
Le rapport du 13 avril 1992 sur l'étude du réseau des transports publics à l'horizon 2000-2005 précise les options prises par le Conseil d'Etat pour le développement des transports collectifs et des parkings d'échange au cours des prochaines années. Le plan reproduit à la page ci-après en donne une idée.
En 1990, les TPG ont encaissé 124,6 millions de francs de recettes et ont eu à supporter 169 millions de francs de charges. L'Etat de Genève leur a versé 43,3 millions de francs. Ainsi, le taux de couverture des charges s'élève à 73,7 pour cent.
Tram ou métro
Les polémiques entre les tenants du tram et ceux du métro prennent fin, on reconnaît que les deux systèmes sont complémentaires et que la construction d'un métro automatique léger de Meyrin à Rive, avec prolongation possible, à l'horizon 2015, jusqu'à Saint-Genis d'un côté et Annemasse de l'autre, est une nécessité inscrite dans le plan directeur du réseau des transports publics 2000-2005. Enfin, on envisage de revitaliser la ligne Genève — La Plaine qui sera équipée de véhicules légers du type de ceux qui circulent entre le centre de Lausanne, les Hautes Ecoles (Université de Lausanne et Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne) et la gare CFF de Renens, et la création d'une boucle CFF Nyon – Cointrin – Cornavin permettant d'assurer le passage des trains "Intercity", afin de libérer la ligne du bord du lac pour le transport des pendulaires de Nyon à Genève.
Ainsi peut-on espérer pour le XXIe siècle, un réseau de transports collectifs combinant tram, métro et chemin de fer et assurant la liaison, d'une part en chemin de fer entre la ligne du TGV Mâcon — Genève — Evian et celle des CFF Genève — Zurich, d'autre part, en métro automatique léger, entre Saint-Genis et Annemasse et en véhicules légers entre Cornavin et La Plaine, en troisième lieu par le tram entre [p. 109] Saint-Julien et Annemasse, d'une part, et entre Saint-Julien et Sécheron, d'autre part, enfin en trolleybus et autobus entre la périphérie et le centre de Genève et entre les moyens lourds et les différents points du Canton. Quant à la liaison entre La Praille et la gare des Eaux-Vives, elle serait abandonnée au profit d'une ligne de tram ou de métro reliée au réseau principal et assurant la liaison avec Annemasse. Il n'est pas question, dans ce schéma, d'un Réseau express régional (RER), mais il s'agit là d'un mot dont il est toujours possible d'affubler l'une des liaisons programmées.
Mais comment expliquer qu'à l'heure où chacun ne songe qu'à la construction d'une Europe unie et d'une politique régionale digne de ce nom (voir le tome VIII de cette Encyclopédie, pages 230 à 249), les autorités genevoises arrêtent à la frontière leurs projets de développement des transports publics pour les dix à quinze prochaines années?
[p. 110]
Plan du réseau de base des transports publics à l'horizon 2000-2005 (infrastructures lourdes)
(Extrait du rapport du Conseil d'Etat du 13 avril 1992 sur l'étude du réseau des transports publics à l'horizon 2000-2005)
Nouveaux schémas de circulation
L'autoroute de contournement, après vingt ans d'études et dix ans de construction, reliera, en 1993, l'autoroute Genève — Lausanne à l'autoroute française A40 Tunnel du Mont-Blanc — Genève — Bellegarde — Lyon et Paris; de plus, en I995 sera achevé l'évitement de Plan-les-Ouates et la liaison de l'autoroute française avec la route des Jeunes et le pont Sous-Terre. Ce seront, là, deux étapes importantes qui permettront de libérer le Centre-Ville d'une partie du trafic de transit. Elles seront d'autant plus importantes que les travaux nécessités par le développement des transports publics (construction du tram 13 et des stations de métro) rejetteront vers l'extérieur le trafic urbain.
Quant au schéma de circulation, il est modifié pour limiter l'attraction vers le centre: au lieu de voies traversantes, on établira un réseau de voies discontinues permettant de passer latéralement d'un secteur à l'autre de la moyenne ceinture et repoussant le trafic de transit vers l'extérieur (principalement sur l'autoroute de contournement et la future traversée de la rade).
Le réseau routier sera classé par ordre d'importance et comportera des rues piétonnes, des rues à circulation modérée, des routes ou artères à priorité pour les transports collectifs, etc.
Ainsi espère-t-on réduire de 30 pour cent le trafic automobile au centre-ville.
[p. 111]
Exploitation des circulations existantes
Il s'agit, d'une part, d'équiper les routes d'installations performantes et de gérer le trafic à l'aide de techniques et de matériels modernes, fortement informatisés; d'assurer la priorité des transports publics par des couloirs réservés, ainsi que des installations de commande à distance des feux de croisement, un dialogue entre le centre de régulation du trafic des TPG et celui de l'Office des transports, et d'autres mesures faisant appel aux techniques les plus modernes, afin que la vitesse moyenne des trams et des bus atteigne si possible 18 km/h. Par ailleurs, il importe de modérer le trafic motorisé en ville par des limitations de vitesse (zones 30 km/h) et des aménagements, comme aux Pâquis en 1992, et probablement aux Eaux-Vives en 1993, en vue de chasser le transit à la périphérie.
La traversée de la rade
L'autoroute de contournement assure l'évitement de l'agglomération urbaine par l'ouest, mais ne résout pas le problème du contournement par l'est, qui suppose de traverser la rade.
La première mention d'une traversée date de 1929: dans son projet de "Cité mondiale", Le Corbusier avait prévu un pont en travers du lac à la hauteur approximative de l'avenue de France et du Port Noir. Une génération plus tard, en 1950, le Ministère français de la reconstruction et de l'urbanisation suggérait à son tour une traversée qui devait faciliter l'accès au tunnel du Mont-Blanc. Depuis lors, les projets se sont multipliés.
On distingue la "petite traversée" qui vise à doubler en tunnel le pont du Mont-Blanc entre la rue des Alpes et la rue de la Scie, à percer un tunnel pour le métro automatique léger et à créer deux très grands parkings sous-lacustres, un sur chaque rive (dans son rapport présenté au Grand Conseil le 19 décembre 1985, le Conseil d'Etat se déclare en faveur de cette solution); la "moyenne traversée", en pont ou en tunnel, qui a pour objet de créer l'amorce d'une moyenne ceinture sur la rive gauche; elle est située entre la jetée des Pâquis et le chemin de l'Impératrice sur la rive droite et entre la jetée des Eaux-Vives et le chemin du Righi sur la rive gauche; enfin la "grande traversée" serait destinée, dans un avenir relativement éloigné, à compléter l'autoroute de contournement à l'est à la hauteur de la bretelle du Vengeron. [p. 112]
Le groupe de travail Etat-Ville, qui a déjà participé à l'étude de la petite traversée, a été réactivé à la suite du vote du 12 juin 1988 et du crédit d'étude voté par le Conseil municipal en septembre 1988. Il se réunit dès le début de l'année 1989, avec pour mission de trier les nombreux projets de moyenne traversée, d'en comparer les avantages et les inconvénients avec ceux de la petite traversée, et de désigner l'emplacement le plus avantageux pour passer d'une rive à l'autre du lac. Dans son rapport présenté au Grand Conseil le 14 septembre 1989, le Conseil d'Etat déclare à propos des projets de moyenne traversée: "le mandant a en mains 49 projets et 23 idées provenant de divers ingénieurs, architectes, entrepreneurs, groupements, associations, citoyens, etc. Après une première analyse... 19 cas ont été retenus... En classant ces 19 propositions par familles et en ne retenant que la variante la plus significative, il a été choisi 7 variantes dites initiales":
- Zschokke (1957): digue et pont grand gabarit
- Solfor (1963): pont haut haubanné grand gabarit
- Ellenberger (1974-1975): digue et tunnel grand gabarit
- Zschokke (1974-1975): tunnel petit gabarit
- Lasram et consorts (1975): tunnel grand gabarit
- Brunisholz (1988): digue et pont grand gabarit
- Waltenspuhl (1988): digue et pont ou tunnel grand gabarit
Un crédit d'étude de 22 millions
Le groupe de travail Etat-Ville de Genève a écarté le projet de petite traversée qui ne donnerait pas accès à la moyenne ceinture. Il a examiné une moyenne traversée en tunnel, entre l'avenue de France et le Port-Noir (coût 400-500 millions de francs) et une traversée périurbaine en pont, reliant la rue de Lausanne en amont de la place Albert-Thomas et le quai de Cologny en amont de Genève-Plage (coût 200-225 millions de francs). Ces deux dernières solutions pourraient être réalisées à l'aide de fonds privés, moyennant la perception d'un péage. Le groupe a tranché en faveur d'une traversée péri-urbaine, soit une traversée du lac en dehors de la rade proprement dite, en pont haubanné permettant la circulation des voitures, des deux-roues et des piétons, et surtout donnant accès sans trop de difficultés à la moyenne ceinture (Plateau de Frontenex — Malagnou). Le Conseil d'Etat a soumis, le 3 juin 1991, au Grand Conseil le projet de loi 6.690, comportant un crédit de 22.200.000 francs et un délai de six ans pour l'étude d'une traversée du Petit-Lac reliant la rue de Lausanne au quai de Cologny, avec un prolongement en [p. 113: image / p. 114] tunnel jusqu'au plateau de Frontenex. Depuis lors, le Grand Conseil a adopté le 15 mai 1992, une loi ramenant ce crédit d'étude à 8 millions, couverts par un relèvement de 6% pendant 3 ans de l'impôt sur les véhicules à moteur, et la durée de l'étude à 3 ans. Le délai référendaire échoit le 1er juillet 1992. Le scénario prévu est celui du contre-projet indirect, selon lequel on appelle le peuple à voter sur l'avant-projet de tunnel, étant précisé qu'en cas de refus ce serait l'avant-projet de pont qui serait adopté.
Une traversée de la rade est indispensable, tout comme l'autoroute de contournement, pour faire de la place en ville pour les transports publics et les déplacements professionnels et touristiques, autrement dit pour absorber le trafic de transit. Encore faudra-t-il des travaux considérables pour améliorer la liaison avec les principales voies de desserte.
Le stationnement
Les experts sont formels: il existe à Genève un nombre très important de places de stationnement, mais elles ne sont pas occupées par ceux qui en auraient le plus grand besoin. Ce [p. 115] sont les "pendulaires fixes", qui se rendent en ville le matin et en repartent le soir, qui accaparent ces places, obligeant les visiteurs à garer leur voiture en dehors des stationnements licites. Le plan de mesures prévoit la création de 10.000 places dans des parkings d'échange (P+R) pour libérer les places occupées par les pendulaires fixes, d'introduire des horodateurs, d'autoriser la construction de parkings pour les habitants, à raison d'une place par logement, de construire des parkings en sous-sol. L'Office des transports et de la circulation et la Fondation des parkings publient, le 31 octobre 1991, un rapport de synthèse sur les parkings d'échange, dû au bureau d'ingénieurs Roland Ribi & Associés SA, qui énumère 15 parkings d'échange sur la rive gauche, 9 sur la rive droite, tout en accordant la priorité à 5 parkings sur la rive gauche (Moillesulaz, Malagnou, Thônex, Florissant, Sierne) et 4 sur la rive droite (Meyrin, Châtelaine, Renfile, Aïre).
Autres mesures
Les transporteurs professionnels bénéficieront d'une structure de concertation avec l'Office des transports et de la circulation. On s'efforcera en particulier de mieux organiser la distribution des marchandises en ville, de faciliter le stationnement des voitures de livraison, etc... Les taxis se verront attribuer de nouveaux lieux de stationnement. En vue d'améliorer leurs performances et leur sécurité, ils vont s'équiper d'une centrale ultra-moderne de télécommunication. Ils jouent un rôle particulièrement important tôt le matin et tard le soir, en combinaison avec les trains des CFF. Les pistes et bandes cyclables seront multipliées. Les recherches concernant le développement des véhicules électriques seront encouragés.
Le problème du financement
Les mesures nécessaires pour établir la fluidité du trafic entraînent, on l'a vu, des investissements considérables que le budget de l'Etat est bien incapable d'assumer, qu'il s'agisse du budget d'investissement ou du budget de fonctionnement. On peut envisager différentes solutions. En ce qui concerne la traversée de la rade, que l'on recoure à un financement privé ou que ce soit l'Etat, avec la participation de la Confédération et de la Ville, qui prenne en charge le coût de la construction, la perception d'un [p. 116] péage résoudrait avantageusement et équitablement le problème de l'amortissement des montants investis et de la couverture des frais d'exploitation. Comme le déclare le professeur Philippe Bovy, "le péage, notamment le péage automatique indispensable en milieu urbain, apparaît comme le système le plus équitable, puisque seuls les usagers bénéficiant de la nouvelle liaison assurent son financement".
Quant au plan de mesures, qui nécessitera un investissement de 70 à 100 millions de francs par an, le Conseil d'Etat envisage de le financer à concurrence de 30 millions de francs par le budget de l'Etat et de faire appel pour le surplus à la Confédération et aux usagers, en particulier sous forme d'un "versement transport", soit une contribution de 0,25 à 2% payée sur la masse salariale.
Enfin, la construction de parkings d'échange serait facilitée si les automobilistes acceptaient une augmentation de l'impôt sur les véhicules à moteur, qui est à Genève l'un des plus faibles de Suisse.
Pas de résultats sans volonté politique
A consulter la multitude de plans, de rapports, d'études et d'articles consacrés depuis une trentaine d'année au problème de la circulation, on ne peut s'empêcher de penser qu'à force de paroles, de calculs et d'écrits, on risque de perdre de vue l'essentiel et d'accumuler les obstacles. Les options sont délicates et des études approfondies sont nécessaires avant de passer à l'action, mais à un certain moment il faut faire taire les oppositions partisanes et témoigner d'une volonté politique claire et affirmée pour faire aboutir les études, réaliser leurs objectifs et faire de la Genève de l'an 2000 une ville où il fait bon vivre, circuler et se promener.
J. de S.
haut
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Au XVIIIe siècle, problèmes de circulation et de stationnement
En août 1780, le Procureur général propose au Conseil un projet de limitation de la vitesse de circulation des voitures en ville, dans l'intérêt des "gens de pied (...) qui ne pourront bientôt plus se montrer dans les rues".
Il s'agit, en fait, du renouvellement d'une publication. Depuis plus de 10 ans, la vie genevoise est empoisonnée par des problèmes de circulation et d'encombrement des rues: trop de voitures et qui roulent trop vite! Le nombre des voitures "roulantes" de tous genres et de chevaux, soit de trait, soit de selle, "augmente tous les jours, sans que les rues s'élargissent". La population a passé, en quelques décennies, de 20.000 à près de 28.000 habitants; l'expansion des affaires et la prospérité ont poussé à l'augmentation des chevaux et des moyens de transport. Carrosses et fiacres s'ajoutant aux chaises à porteur, aux charrettes à chevaux, à boeufs et à bras, provoquent des encombrements dans les petites rues étroites qui bordent les places commerçantes.
Aux jours de marché (mercredi et samedi), le désordre et les embarras sont insupportables sur les places de marché (Molard, Longemalle, Fusterie, Bel-Air, Saint-Gervais) et dans les petites rues adjacentes. Le stationnement des charrettes des marchands et des paysans rend la circulation impossible entre les bancs des revendeurs et revendeuses. Ainsi, on se plaint que la rue de la Poissonnerie, près des Halles, et celle de Coutance, s'obstruent tous les jours davantage parce que les revendeuses et les fromagères agrandissent leurs bancs par des tables et des planches mobiles. Aux heures de pointe, la confusion est à son comble: "sur ce qui a été rapporté que la place de Bel-Air est tellement remplie de chariots les jours de marché que, sur le midi, le passage est entièrement obstrué"; il serait opportun d'y créer des places où on "déterminera des espaces fixes dans lesquels les chariots devront se ranger à mesure qu'ils arrivent".
Les registres publics sont encombrés de plaintes et aussi de propositions en vue de réglementer la vitesse des moyens de transport. Mais les recommandations des autorités sont si fréquentes que leur efficacité peut être mise en doute: "qu'on donne les ordres nécessaires pour que les voitures aillent au pas ordinaire des chevaux en ville"; "qu'on renouvelle les ordres à la garde pour empêcher que les voitures n'aillent d'un pas trop précipité dans la ville"; qu'on interdise de "conduire les chevaux plus vite que le pas", etc. (1776, 1777, 1780). Il faut augmenter le nombre des gardes et frapper d'amendes les contrevenants. Seulement, les mesures de police destinées à prévenir et à sanctionner les contraventions doivent être fondées sur un règlement. On apprend ainsi que "le petit trot, qui est l'allure ordinaire des chevaux de carrosse et la plus sûre pour eux sur le pavé et dans les rues en pente, est compris sous le nom de pas ordinaire".
En principe, la circulation en carrosse, de nuit, par la ville, est interdite dès la fermeture des portes (à 20 heures ou 21 heures, [p. 119] suivant la saison). Ces défenses sont mal observées et certaines voitures ne sont même pas pourvues de lanterne. Tant d'abus doivent être sévèrement punis, sauf s'il s'agit des voitures "des Princes et Princesses qui demeurent dans nos environs, (de) celles de Mrs les Résidents de France et de Sardaigne, et (de) celles des voyageurs arrivant de lieux éloignés".
Pour rendre le trafic plus fluide, on se demande s'il ne faut pas aplanir ici, percer là, élargir certains passages trop étroits, "adoucir la pente du pavé près du Bourg-de-Four, sans quoi le passage des voitures en cet endroit sera dangereux". Certains envisagent de rendre les ponts du Rhône à sens unique: "qu'on oblige les voitures qui viennent de Saint-Gervais à passer sur l'autre pont" (1787). Il est question, à plusieurs reprises, de créer une rue piétonne: "qu'on défende de passer à cheval dans la rue sous la Treille et la Corraterie qui sont destinées aux gens de pied" (1786).
Car les accidents augmentent. Les voitures sont de plus en plus nombreuses et puissantes. La mode est d'atteler les grands carrosses de trois chevaux de front; il est souvent question d'interdire ce type d'attelage "à cause des accidents qui peuvent en arriver". Voyez ce qui est arrivé au maître-horloger Jean-Antoine Capt, 57 ans. Il a été renversé près du Pont d'Arve, par un carrosse à trois chevaux de front, un vrai bolide. Il vient devant le Premier Syndic, "non pour porter plainte, quoique il ait été meurtri, mais pour que le Conseil prenne en considération le péril où les voitures attelées ainsi exposent les passants".
A.-M. P.
haut
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La première automobile à Genève
Causerie prononcée en 1912, devant la Section de Genève de l'ACS, par M. René Thury, directeur de la Compagnie de l'Industrie électrique, ancêtre des Ateliers de Sécheron.
M. Thury commence par donner le titre de sa causerie: Histoire de deux apprentis et de la première automobile à Genève. "C'était en 1877, deux apprentis de la Société Genevoise d'Instruments de Physique décidèrent de faire quelque chose de nouveau, quelque chose de sensationnel et après avoir bien étudié tous deux plusieurs projets, nos deux apprentis se décidèrent à faire une voiture qui serait actionnée par une machine à vapeur. Ces deux apprentis étaient votre serviteur (M. Thury) et son ami M. Nussberg. Malheureusement, nous ne possédions pas un sou vaillant et c'est le père d'un de nos amis communs qui s'intéressa à nous et qui nous donna 50 francs, qui nous permirent de mettre notre projet à exécution.
Alors commença la période de construction et nous fabriquâmes nous-mêmes notre chaudière, qui était tubulaire (50 tubes). J'avais pris comme tâche le travail du tour et Nussberg celui de la fonderie, car tout était à faire: il y avait bien quelques outils que nous prêtait M. Nussberg père, qui était contremaître à l'Usine à Gaz et nous avait autorisés à faire nos essais à l'Usine.
Après bien des peines, en prenant par ci par là un bout de cuivre, en construisant notre four à fondre nous-mêmes, avec deux tuyaux garnis de terre réfractaire que nous trouvions à l'Usine à Gaz même, nous réussîmes à monter notre chaudière et je puis vous assurer que nous en étions fiers et qu'elle avait bonne façon. Notre machine était à deux cylindres 70-85 et était munie d'un système de détente avec renversement de la vapeur... Nous conduisions notre auto à la manière des gamins qui descendent les rampes en tenant le guidon relevé contre le char; tout allait à merveille, mais nous n'osions pas nous aventurer au dehors. C'est alors que le père de notre ami nous donna encore 30 francs et que nous pûmes faire faire deux cercles en fer forgé chez M. Wanner père: ces deux cercles étaient nos roues. Elles avaient 1m40 de diamètre. Une petite roue pour conduire devant et voilà notre auto montée. Alors fiers de nous-mêmes, nous décidons de faire un premier essai sur la route. Entretemps j'étais devenu préparateur de Raoul Pictet et comme notre projet lui souriait, nous l'invitâmes et il nous accompagna dans notre premier voyage, dont voici l'itinéraire: Genève — Vernier — Meyrin — Cointrin — Genève. C'était une route tout appropriée à notre premier essai...
Raoul Pictet était si enthousiasmé de notre machine qu'il nous fit cadeau de 500 francs, ce qui nous permit de faire une deuxième chaudière bien perfectionnée celle-là et une fois terminée et essayée, nous décidâmes de faire une grande course: c'est à Morges que nous allâmes avec Raoul Pictet, pour voir son bateau planeur, le Ricochet.
Tout allait à merveille, nous fîmes ainsi plusieurs sorties dans tous les environs; dans une de ces sorties à Morges, en revenant, voilà tout d'un coup que nous nous apercevons que nous manquons de charbon et nous sommes obligés de dégarnir une vigne [p. 121] voisine de ses échalas pour pouvoir rentrer. Comme il était déjà très tard, je vous assure que ce fut un spectacle curieux, car de la cheminée sortait une gerbe d'étincelles rouges, qui se détachait sur le ciel noir.
Le plus loin que nous ayons été, ce fut Préverenges, soit aller et retour 100 km. Une fois nous décidâmes d'atteler une remorque et d'aller au Mont-de-Sion. Nous voilà partis. Dans la remorque, il y avait des dames et sur notre auto nous étions quatre, dont: le conducteur, le chauffeur et deux passagers; six personnes étaient dans la remorque et il faut que je vous dise que notre auto développant 12 HP, au moins, tout allait très bien malgré les rampes, très dures, de l'ancienne route du Mont-de-Sion, mais au retour grand émoi dans la remorque, les dames avaient leurs vêtements criblés de petits trous faits par les escarbilles: les robes étaient devenues de vraies passoires...
Une autre fois, en allant à Meyrin par Vernier avec R. Pictet, nous fîmes le premier vrai panache. R. Pictet avait désiré conduire, mon ami Nussberg n'osa refuser et au sortir de Meyrin, nous lui confions la direction. Pour commencer tout alla bien. mais arrivé à un empierrement, au lieu de le passer carrément, R. Pictet voulut le contourner et donna un coup de volant trop brusque, ce qui nous fit aller contre la haie; voulant redresser, il donna un autre coup de volant brusque qui nous ramena de l'autre côté de la route, nous menaçant de la haie également; un autre coup de volant plus brusque encore, cette fois, nous fit faire un panache complet, le saut périlleux entier, et nous nous retrouvâmes au milieu d'un pré, notre auto sur ses roues, moi assis sur le siège arrière, R. Pictet à 5 mètres d'un côté et mon ami Nussberg à 5 mètres de l'autre côté. Raoul Pictet nous disait: "Je suis mort, je suis mort!" J'avais beau lui assurer qu'il était bien vivant, il ne voulait pas le croire... il nous dit ne rien y comprendre, car d'après son calcul, il était impossible à sa tête de résister à un poids de 800 kilos, poids de notre auto...
Notre chaudière avait 2m70 de surface de chauffe, la Machine était à 2 cylindres alésage 70 m/m pour 85 m/m de course, force 12 HP. Chronométrés par des amis dignes de confiance, nous avons fait du 50 à l'heure. Notre réservoir à eau contenait 80 litres et se remplissait au moyen du vide. Pour cela nous avions un éjecteur et une fois vide d'air, nous le remplissions au moyen d'un tube de caoutchouc muni d'un filtre. Nous avions également un différentiel pareil à ceux actuels, ainsi qu'un frein à ruban actionné par pédale. Nous nous étions parfaitement rendu compte qu'il était impossible de diriger sans différentiel. A l'arrière comme à l'avant, nos essieux étaient montés sur ressorts à boudin. Les deux places arrière étaient assez confortables, celles d'avant souffraient parfois du bloquage des spires dans les mauvais passages. Tout cela nous occupa pendant les années 1878 à 1882. Plus tard, je fis des essais au pétrole, mais qui ne me donnèrent aucune satisfaction, le pétrole étant inférieur à la houille, la meilleure houille que nous ayons eue était celle appelée "Cardiff", permettant d'enlever les rampes avec rapidité."
Tiré de La Suisse sportive, n° 568, p. 2678 à 2680.
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L'automobile, une vieille passion genevoise
Genève, ville ouverte sur le monde, a facilement succombé aux charmes de l'automobile, symbole de liberté et de progrès. En 1903 déjà, elle détient le record de Suisse avec 185 automobiles recensées dans le canton.
La première moitié de ce siècle sera marquée par le développement rapide de ce mode de transport, accompagné de nombreuses innovations pour maîtriser la gestion du flot croissant de véhicules automobiles. Mais l'emprise de la voiture sur la vie quotidienne ne se déroule pas sans heurts. D'aucuns lui reprochent d'être à l'origine de maladies pulmonaires ou oculaires, à cause des nuages de poussière soulevés au passage de ces véhicules sur les chemins encore en terre battue. Les accidents entre automobilistes et autres usagers de la route se multiplient et déclenchent un mouvement d'opposition qui réclame l'intervention des autorités.
L'Etat de Genève avait été un précurseur en délivrant, en février 1900, le premier permis de conduire de Suisse, simple "certificat d'aptitudes" autorisant son titulaire à piloter uniquement la machine décrite sur ledit document. Il poursuit sur cette voie en édictant, en mars de la même année, un premier "Règlement concernant la sûreté et la circulation sur la voie publique", qui interdit aux amateurs de vitesse de "dépasser la vitesse de huit kilomètres à l'heure, soit celle d'un cheval au trot" dans la traversée des villes, villages ou hameaux et limite à 30 km/h les escapades en rase campagne. Jusqu'en 1921, la réglementation en matière de circulation [p. 123] est uniquement du ressort des cantons, qui adoptent des concordats intercantonaux pour en harmoniser les règles. Malgré l'adoption en 1921 d'une disposition constitutionnelle accordant à la Confédération le droit de légiférer en matière de circulation, ce régime des concordats intercantonaux durera jusqu'en 1933, date de l'entrée en vigueur de la première Loi fédérale sur la circulation des véhicules automobiles et des cycles. Durant cette période, l'Etat genevois réglemente progressivement la circulation en installant des bornes kilométriques et des panneaux de localité pour les automobilistes empruntant l'axe Saint-Maurice — Lausanne — Genève, dès 1909, et en introduisant de nouveaux codes pour la signalisation routière dès 1929, recommandés par l'Union des Villes Suisses: les panneaux de signalisation avec des motifs sur fond rouge signalent une interdiction et sur fond bleu une indication ou une mise en garde. Il formule l'obligation de stopper pour les conducteurs lorsque les agents leur font signe au moyen d'un bâton blanc, dès 1913. Il inaugure un premier sens unique en instituant la circulation giratoire dans les Rues Basses et la rue du Rhône, en 1922.
Depuis l'organisation à Genève de la première Exposition nationale suisse de l'automobile et du cycle en 1905 — devenue "internationale" dès 1924 —, les Genevois n'ont cessé de montrer leur attachement au véhicule à moteur. Le nombre de véhicules en circulation est multiplié par 24 entre 1910 et 1935 — de 375 véhicules en circulation en 1910 à 12.843 en 1935. La gestion de la circulation se complique et réclame de nouveaux moyens. Dans les années trente, on introduit un système de guidage des véhicules aux carrefours, à l'aide de clous. Un accident mortel, en 1935, au carrefour du Boulevard Georges-Favon et de la rue du Stand, entraînera l'installation de l'ancêtre du feu de signalisation, surnommé la lanterne japonaise: un système de panneaux colorés avec des flèches indique aux automobilistes à quel moment s'engager dans le carrefour. L'expérience s'avérant concluante et la technique se développant, on installe le premier feu de signalisation au carrefour du pont du Mont-Blanc, en 1949, où les ampoules remplacent les panneaux colorés.
La signalisation routière connaît elle aussi un boom, suite à l'entrée en vigueur de la première loi fédérale sur la circulation routière, en 1933. On recense déjà 3.700 panneaux routiers dans le canton en 1939 et ce chiffre ne cessera de croître jusqu'à atteindre les 28.000 signaux comptabilisés aujourd'hui.
A.-C. J.
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La protection de l'environnement
L'environnement est une notion relativement nouvelle. Certes, on s'est intéressé à la nature dès le XVIIIe siècle, mais plutôt comme cadre que comme source de vie; on se plaignait de l'odeur incommodante du ruisseau et du crottin des chevaux, mais non comme d'une menace existentielle. Les archives de l'Institut d'hygiène fourmillent d'exemples, telle cette plainte de 1883 concernant "une mare recevant les eaux de lisier de trois fumiers, ainsi que de latrines" à la rue des Bains. C'est l'explosion technique consécutive à la Deuxième Guerre mondiale, dans les pays industrialisés, et l'explosion démographique dans le Tiers Monde, spécialement dans les villes, qui ont fait de la protection de l'environnement un objet d'étude scientifique, un programme politique et une nécessité vitale pour l'humanité, une condition de survie.
Il s'agit, comme l'exprime la loi française du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, de protéger les espaces naturels et les paysages, de préserver les espèces animales et végétales, de maintenir les équilibres biologiques auxquels ils participent et de protéger les ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent.
La protection de la nature
A l'aube du XXe siècle, on décèle en Suisse un intérêt accru pour la protection de la nature. "C'est le moment, écrit François Walter dans Les Suisses et l'environnement, où l'on passe d'une attitude contemplative à une volonté active, non pas encore à une gestion rationnelle des ressources, mais à une protection ponctuelle et partielle des éléments du territoire perçus comme particulièrement menacés".
La Constitution fédérale de 1874 avait borné son ambition, dans son article 24, à la surveillance des forêts. En 1881, une ordonnance zurichoise décrète des mesures de protection des eaux; en 1883 paraît un rapport de Casimir Niehans-Meinau sur la pollution du Rhin. C'est la santé des habitants — les découvertes de Pasteur sont toutes récentes — et l'intérêt des pêcheurs qui sont en cause.
C'est aussi le triomphe du pittoresque, du folklore, qui trouve son expression au Village Suisse de l'Exposition nationale de 1896, à Genève, source de création artistique centrée sur le culte des Alpes et de la Patrie. La Ligue suisse pour la conservation de la Suisse pittoresque (Heimatschutz) naît en 1905, la Ligue suisse pour la protection de la nature (Naturschutz) en 1909. Leur but est à la fois esthétique et patriotique, pas réellement écologique. Elles trouvent un solide [p. 125] appui dans le Code civil suisse, adopté en 1907, qui dispose, à l'article 702, sous la rubrique "Restrictions de droit public" à la propriété foncière: "Est réservé le droit de la Confédération, des cantons et des communes d'apporter dans l'intérêt public d'autres restrictions à la propriété foncière, notamment en ce qui concerne... les mesures destinées à la conservation des antiquités et des curiosités naturelles ou à la protection des sites et des sources d'eaux minérales."
La protection de l'environnement
L'écologie (du grec oikos, demeure, et logos, science), qui consiste à étudier les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent, est née à la fin du XIXe siècle, mais c'est entre les deux guerres qu'elle a connu un développement scientifique et après la Deuxième Guerre mondiale qu'elle s'est imposée à la conscience universelle et au législateur suisse. Comme l'écrit F. Walter, "avec un cadre législatif de plus en plus étoffé, l'environnement de plus en plus malade est mis sous perfusion en attendant les soins intensifs".
Au plan fédéral, ce sont les forêts, on l'a vu, qui bénéficient de la sollicitude du pouvoir (art. 24 de la Constitution et loi de 1902 sur la police des forêts). En 1908, les compétences de la Confédération sont étendues à l'utilisation des forces hydrauliques. Il faut attendre 1953 pour que la [p. 126] Confédération soit autorisée à intervenir en matière de protection des eaux contre la pollution (art. 24quater de la Constitution, suivi des lois du 16 mars 1955, du 8 octobre 1971 et du 17 mai 1992). L'article 24sexies de la Constitution, adopté en 1962, et la loi de 1966 sont consacrés à la protection de la nature et du paysage.
Enfin, le 6 juin 1971, le peuple et les cantons, à la quasi-unanimité, approuvent l'article 24septies de la Constitution qui donne à la Confédération pouvoir de légiférer en matière de protection de l'environnement. Le texte de cet article fondamental est le suivant: "La Confédération légifère sur la protection de l'homme et de son milieu naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes qui leur sont portées. En particulier, elle combat la pollution de l'air et le bruit". Ce n'est que le 7 octobre 1983 qu'est édictée la loi fédérale qui en découle sur la protection de l'environnement. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 1985; elle a été suivie d'une ordonnance fédérale sur la protection de l'air et d'une ordonnance fédérale contre le bruit qui imposent un ensemble de mesures destinées à lutter contre la dégradation de notre cadre et de nos conditions de vie, fondées sur le principe du "pollueur-payeur".
Au plan cantonal, un Office cantonal de l'environnement assume une fonction de coordination entre tous les services, au nombre de quatorze dépendant de cinq départements, qui sont concernés, à un titre ou à un autre, par la protection de l'environnement. Parmi eux, le Service de l'écotoxicologue cantonal (ECOTOX) intervient en tant que laboratoire d'expertise et d'analyse, sans autorité administrative.
J. de S.
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Le service de l'écotoxicologue
La définition que donne de l'écotoxicologie l'Encyclopedia Universalis est "l'étude des conséquences écologiques de la pollution de l'environnement par les substances toxiques". Ces substances agissent à plusieurs niveaux: sur l'individu, elles contaminent l'organisme et provoquent des perturbations fonctionnelles, c'est le niveau écophysiologique; elles agissent aussi sur les populations, portant atteinte au développement du système de reproduction, occasionnant une mutation dans les cellules germinales et provoquant ainsi une diminution de populations animales ou végétales, c'est le niveau "démo-écologique"; elles occasionnent enfin des [p. 127: image / p. 128] perturbations des écosystèmes, des ruptures d'équilibres biologiques affectant la biosphère tout entière, il s'agit alors du niveau synécologique.
La tâche de l'écotoxicologue est délicate car, ainsi que l'exprime fort bien Paracelse, sola dosis fecit venenum, autrement dit "tout est dans la mesure". Une substance utile ou même nécessaire devient toxique à dose excessive.
Comme tout scientifique, l'écotoxicologue formule des thèses et des hypothèses qu'il vérifie par l'observation et l'expérimentation: il observe la nature et les individus, analyse les substances pour identifier et doser les poisons, mesure les phénomènes et effectue des tests sur des protozoaires, des bactéries, des algues, des insectes, etc., pour mesurer les effets sur l'environnement des émissions nocives; enfin, il effectue des analyses biochimiques pour déterminer comment les toxiques et les toxines perturbent les systèmes enzymatiques.
La pollution atmosphérique à Genève
Depuis 1973, et pour le dioxyde de soufre dès 1969, ECOTOX mesure la pollution atmosphérique. Un réseau de mesures a été développé au cours des ans: les stations de mesure en continu de Ste-Clotilde, Anières, Meyrin, Jussy, Pile, Wilson, Foron et Passeiry répondent chaque jour à l'appel et fournissent les résultats de leurs mesures: dioxyde de soufre, monoxyde d'azote, dioxyde d'azote, monoxyde de carbone, méthane, autres hydrocarbures, ozone, conditions météorologiques, ensoleillement, vitesse et direction des vents. Une station mobile permet de faire de la mesure exploratoire.
Jusqu'en 1986, ECOTOX a mesuré, évalué et fait connaître les résultats: la pollution par les oxydes d'azote, liée au trafic automobile, allait en augmentant, celle de l'ozone croissait aussi, tout en étant plus sujette aux conditions météorologiques. Seule la pollution soufrée, due au dioxyde de soufre et provenant surtout du chauffage des immeubles et de la production d'énergie thermique, régressait.
Le plan de mesures
A la fin de 1986, il ne faisait plus aucun doute que les immissions de dioxyde d'azote et d'ozone, c'est-à-dire les concentrations de ces gaz dans l'air que nous respirons, étaient excessives et que le Canton devait mettre sur pied un [p. 129] plan de mesures au sens de l'article 31 de l'ordonnance fédérale sur la protection de l'air, entrée en vigueur le 1er mars 1986. Ce plan, qui porte la date du 27 mars 1991, concerne essentiellement le dioxyde d'azote. Il détermine les sources responsables des immissions excessives et la part de la charge polluante totale dont elles sont la cause. Il définit également les mesures propres à prévenir ou à éliminer ces immissions en indiquant l'efficacité de chaque mesure.
Ces mesures sont de deux types, soit la réduction des émissions ou la réduction de l'usage de la chose polluante. Par exemple, les automobiles étant équipées de catalyseurs et les immissions restant excessives, on en restreindra l'utilisation; les installations de chauffage étant correctement réglées, on abaissera la température des locaux et celle de l'eau chaude; les usines émettant dans les normes devront réduire leurs activités.
Effectuer le constat fut aisé. Par contre, attribuer à chaque source d'émission une caractéristique technique le fut moins. Recenser les installations de chauffage, le trafic automobile, le trafic aérien, les émetteurs ponctuels, repose sur des données statistiques qui conduisent à un résultat d'autant plus précis que les sources d'information sont précises. Il s'agit là d'un travail de longue haleine qu'il faut sans cesse remettre sur le métier. Quant à savoir qui pollue le plus gravement, c'est beaucoup plus délicat; la réponse relève de la chimie, de la photo-chimie, de la météorologie, de la statistique et demande beaucoup de patience. On a pu montrer qu'au sol, [p. 130] là où l'on se déplace et où l'on mesure, les émissions du trafic automobile avaient 4,8 fois plus d'importance que celles du chauffage. L'effort principal devait donc être porté sur le trafic automobile.
Tous les services compétents de l'Etat ont examiné les mesures d'assainissement qui pouvaient être prises, dans leur domaine respectif. Les mesures les plus importantes concernent les transports, puis le domaine du chauffage et des économies d'énergie, le domaine industriel et en particulier l'usine des Cheneviers, l'émetteur industriel le plus important du Canton.
Les mesures d'assainissement préconisées pour limiter les émissions d'oxydes d'azote n'ont pu être évaluées que globalement au niveau des immissions: la chimie de l'atmosphère est encore beaucoup trop compliquée et les modèles insuffisamment performants pour qu'il soit possible de procéder à l'évaluation de détail. Toujours est-il que le pronostic de réussite est favorable, à une condition, de taille il est vrai, celle que les pronostics de la Confédération en matière de pollution de fond par le dioxyde d'azote soient corrects. Actuellement est en cours d'élaboration un plan de mesures qui vise les composés organiques volatils, composés qui, avec le dioxyde d'azote et un ensoleillement estival, conduisent à des immissions d'ozone excessives.
Un bilan à titre d'exemple
On tentera, à titre de second exemple, de dresser un bilan de la qualité des eaux superficielles du bassin genevois.
Cent-quatre-vingt-un cours d'eau ont été recensés dans le Canton par le service du lac et des cours d'eau, dans les années soixante, dont 15 seulement ont une longueur supérieure à un kilomètre. ECOTOX en analyse 46, d'une longueur totale de 152 kilomètres, répartis dans les 14 bassins versants principaux du Canton, en 89 stations différentes.
La qualité chimique des eaux genevoises
Les facteurs de pollution sont, d'une part des apports excessifs de phosphore soluble des eaux usées et des engrais agricoles, qui ne présentent de réel inconvénient que pour le lac, d'autre part des concentrations en azote ammoniacal supérieures au seuil admissible, dues aux rejets d'eaux épurées et aux rejets d'origine animale, enfin des matières organiques diverses, éliminées en partie dans les systèmes [p. 131] d'épuration et d'assainissement. On constate que sur les 152 kilomètres de cours d'eau analysés, 56 pour cent souffrent d'un excès de phosphore soluble, 50 pour cent contiennent trop de composés des matières organiques dégradables.
Parmi les cours d'eau exempts de pollution chimique par le phosphore, l'ammoniaque et les matières organiques, on peut citer les Eaux-Chaudes, le Missezon, les Prâlies, l'Allemogne, le Bief de la Plaine, le Nant de Pry, le canal des Cheneviers, les Palatières et surtout le Rhône entre le lac et Aïre. En revanche, sont gravement touchés l'Aire, le Nant d'Aisy, l'Eaumorte-Nant des Crues, le Gobé-Vengeron, le Lion, l'Hermance, la Drize, l'Allondon, l'Arande, le ruisseau d'Archamps.
Les micropolluants jouent également un rôle dans le bilan de santé des eaux genevoises. Ils sont en concentrations très faibles dans les eaux et il est difficile de les identifier. Leur présence est révélée souvent par l'analyse des sédiments déposés ou des organismes comme les plantes, les poissons, etc., qui concentrent en eux les substances polluantes.
La qualité biologique des eaux genevoises
L'étude systématique de la macrofaune peuplant le fond des cours d'eau a été introduit en 1981, au service d'hydrobiologie. Cette faune benthique (larves d'insectes, vers crustacés, etc.) passe la plus grande partie de sa vie, sinon toute, dans l'eau et, de ce fait, intègre tous les impacts polluants auxquels est soumis un cours d'eau, comme elle intègre également [p. 132] les conditions physiques, vitesse du courant, étiages, température, structure et morphologie du lit, nature du bassin versant, etc.
L'étude de la diversité et de la proportion des différents groupes de ces organismes permet de calculer un indice de qualité biologique (IQBG) compris entre 1 et 20, en fonction de la qualité croissante de l'eau. En dessous de 12, la situation est critique et en dessous de 8, elle devient franchement mauvaise.
Les analyses biologiques ont porté sur quelque 800 échantillons prélevés en une centaine de stations:
La qualité biologique moyenne du réseau hydrographique genevois n'est donc pas très bonne. 55 pour cent des secteurs analysés sont peuplés d'une faune benthique caractéristique d'une situation de pollution chronique importante à très forte. Les petites rivières sont les plus touchées à cause des débits d'étiage faibles ou nuls. On constate par exemple une détérioration importante de la Drize, de l'Hermance, très grave de l'Aire et du Vengeron, tandis que la Versoix ne révèle qu'une faible détérioration. Et même certains secteurs des rivières plus importantes, comme l'Allondon à Fabry, le Rhône en amont de Verbois, sont gravement perturbés.
Espoir d'amélioration?
La qualité biologique d'une rivière peut s'améliorer et bénéficier d'une faune diversifiée si la qualité chimique des eaux s'améliore et si cette rivière possède des affluents ou des cours d'eau proches biologiquement sains, car elle peut être recolonisée par des vols d'insectes adultes. Une rivière comme l'Aire, même soulagée de ses pollutions ponctuelles et diffuses, chroniques et aiguës, ne trouverait que très lentement un état biologique satisfaisant, car aucun de ses rares affluents n'abrite une faune variée. L'Allondon, en revanche, peut encore compter sur les réserves de faune que constituent des affluents comme l'Allemogne.
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Autres atteintes à l'environnement
D'après les constatations du Service cantonal des forêts, de la faune et de la protection de la nature, la forêt genevoise est saine. Il n'en reste pas moins que, dans toute l'Europe occidentale, le problème des pluies acides est très grave: l'anhydride sulfureux produit par la combustion des produits pétroliers riches en soufre provoque une acidification alarmante des eaux de pluie, contribuant au dépérissement des forêts.
La lutte contre le bruit est l'un des objectifs de l'article 24septies de la Constitution fédérale et fait l'objet d'une ordonnance fédérale entrée en vigueur le 1er mars 1986, comme celle relative à la protection de l'air. Mais, là non plus, les frontières ne sont pas étanches: de même que certains [p. 134] véhicules français circulent sans catalyseur, d'autres ont un pot d'échappement défectueux et la Communauté économique européenne a refusé de s'aligner sur les normes suisses en matière de bruit.
Etat biologique des rivières genevoises en 1991
Conclusion
Le temps qui ne se renouvelle pas, l'entropie qui augmente et dont nous ne pouvons que gérer la vitesse de croissance, l'absence d'états d'équilibre qui en découle méritent une réflexion globale.
L'homme est anthropocentriste. Il est temps pour lui de ménager son environnement, d'avoir des égards pour le monde qui l'entoure, de changer d'attitude. Non seulement il produit des déchets en quantités telles qu'il ne sait plus comment les gérer et que la nature n'arrive plus à les digérer, mais encore il crée des substances dites xénobiotiques, parce qu'étrangères à la vie, substances synthétiques n'entrant pas dans des cycles de biodégradabilité, substances contaminantes pouvant induire des perturbations aux niveaux démo-écologique et synécologique.
Il détruit en quelques dizaines d'années les hydrocarbures que la nature a mis des centaines de millions d'années à former et à stocker. Il s'affole quand il apprend que des produits en apparence inoffensifs, comme les fluorocarbones, perturbent gravement les mécanismes de régulation et de protection de la planète.
Il doit apprendre, ici comme ailleurs, comment gérer sa planète, comment prendre en compte l'autre, son prochain. Il doit lui permettre de vivre mieux et décemment, de développer ses activités, de s'épanouir. Il lui en coûtera, certainement: il devra réduire les flux d'entropie, donc de désordre, qu'il engendre.
J.-C. L.
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