Le gouvernement et l'administration

Rémi Jequier / Bernard Lescaze / Catherine Santschi
Jean de Senarclens / Jacques Tagini / Walter Zurbuchen



Formes anciennes du gouvernement

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Le gouvernement de l'évêque

Sous la lointaine souveraineté de l'empereur, l'évêque exerce tout pouvoir dans la ville de Genève. Au XIIe siècle, où les documents écrits commencent à nous informer sur les modalités de son gouvernement, son principal collaborateur est le chancelier, qui donne forme écrite à toutes les décisions, sentences et arbitrages prononcés par l'évêque. Ce personnage, le chef des bureaux, deviendra si encombrant que l'évêque supprimera sa charge en 1178, dirigeant d'abord lui-même la chancellerie, puis nommant des fonctionnaires révocables, plus dociles.
Mais l'évêque doit aussi partager le pouvoir avec un autre de ses subordonnés, son avoué — c'est-à-dire son principal vassal, chargé de défendre la liberté de l'Eglise. Cet avoué n'est autre que le comte de Genève, dont les empiétements sur le domaine de l'évêché sont bien connus (voir ci-dessus, pages 10-12). L'avoué a un représentant, le vidomne, agent laïc chargé d'exercer une partie du pouvoir temporel du prince-évêque, en particulier l'instruction de certaines procédures et l'exécution des criminels. Charges fort importantes à cette époque qui ignore la séparation des pouvoirs et où le droit de justice haute et basse est le premier attribut de la souveraineté. Or dès le début du XIVe siècle, le vidomnat échappe définitivement à l'évêque, avec la garde du château de l'Ile, le principal point stratégique de la ville, et tout un personnel de lieutenants, greffiers et sergents.
Mais à cette époque, où les documents se font plus abondants, la forme de l'administration épiscopale se précise. La cour de l'évêque comporte plusieurs organismes, comptant un ou plusieurs fonctionnaires, dont les compétences sont bien décrites dans les ouvrages de M. Louis Binz et surtout de Henri Naef. L'un des fonctionnaires les plus importants, l'official, qui apparaît à Genève dès 1225, est le juge ordinaire de l'évêque, d'abord pour les causes qui touchent au pouvoir spirituel, mais aussi pour les causes civiles purement laïques, et entre parfois en concurrence avec le vidomne. Il est le chef des bureaux où l'on rédige les sentences matrimoniales, authentifie les actes, etc. Le vicaire général, cité dès le début du XIVe siècle, est le représentant de l'évêque et dirige en son absence toute l'administration du diocèse, aussi bien au temporel qu'au spirituel. Il a toutes les compétences de l'évêque, sauf celle de légiférer. Ces deux fonctionnaires principaux ont sous leurs ordres d'autres fonctionnaires: le secrétaire de l'évêché, qui est responsable de toutes les écritures; un receveur général, qui s'occupe des finances, sous le contrôle d'une Chambre des [p. 200] comptes, et un garde des sceaux. Il faut accorder une attention particulière au procureur fiscal, qui est à la fois le gardien des droits de l'évêque et des biens de l'Eglise, et aussi l'accusateur public. Il entre parfois en conflit avec la juridiction criminelle des syndics.
Ces fonctionnaires, réunis avec quelques dignitaires du Chapitre, parfois les syndics ou le vidomne, forment ce que l'on appelle le Conseil épiscopal, sorte de conseil des ministres qui fonctionne quelquefois aussi comme cour d'appel. Il possède donc une bonne part du pouvoir. L'évêque partage aussi le pouvoir avec le Chapitre, l'ensemble des chanoines qui assurent le service du choeur à la cathédrale. Très bien doté, possesseur de terres, de villages et de châteaux, le Chapitre est au faîte de son importance lors d'une vacance épiscopale. Certes, depuis le XVe siècle, il ne pèse plus très lourd dans le choix de l'évêque, accaparé par le duc de Savoie et par le pape, mais il assure le gouvernement spirituel et temporel de l'évêché, dont il nomme tous les fonctionnaires et officiers pour la durée de la vacance.
Les compétences que l'évêque laisse à la communauté sont moins importantes que le droit de haute et basse justice, mais leur exercice constitue la base du gouvernement et de l'administration de Genève sous l'Ancien Régime. 

Les quatre syndics et le Conseil

Depuis 1309, le Conseil général a le droit de nommer ses représentants, munis de pleins pouvoirs pour agir dans l'intérêt de la communauté. Ces quatre représentants, ou "syndics", sont chargés d'exercer au nom des citoyens les compétences que l'évêque leur a accordées: la police, la justice criminelle, la défense de la ville et les affaires militaires, la surveillance des hôpitaux et de l'école, les travaux publics et, ce qui coule de source, les finances de la communauté.
Dans leur tâche, les syndics sont aidés par plusieurs conseillers, en nombre variable au Moyen Age. Les conseillers sont élus tantôt par le Conseil général, tantôt par les syndics eux-mêmes qui, au lendemain de leur élection, procèdent à la formation de leur Conseil, qu'ils recrutent dans un petit nombre de familles — déjà!
Le Conseil se réunit régulièrement, une fois, puis deux fois par semaine, dans le cloître de la cathédrale, puis, dès 1442, à la Maison de ville. Les affaires de la commune y sont traitées à huis clos et le Conseil est tenu au secret.
Au début du XVIe siècle, le nombre de conseillers est fixé à vingt-cinq et l'ordonnance générale sur les offices de 1543 [p. 201] précise qu'ils sont élus par le Conseil des Deux Cents, sur proposition des syndics élus et du Petit Conseil sortant. Durant tout l'Ancien Régime, c'est donc ce Conseil des Vingt-Cinq, qu'on appelle généralement Conseil ordinaire ou Petit Conseil, dirigé par les quatre syndics, qui gouvernera la République, assumant toutes les responsabilités qui ont appartenu à l'évêque, dirigera l'administration et rendra la justice.
Les responsables des administrations au Moyen Age n'ont guère pensé aux historiens qui, à partir du XIXe siècle, s'efforcent de comprendre comment fonctionnait l'administration et d'après quelles règles. Ils s'acquittaient de leur tâche, accomplissaient leur besogne quotidienne selon ce qui paraissait utile, et c'est seulement depuis le XVe siècle — et encore de manière exceptionnelle — que l'on possède des règlements précisant le pourquoi et le comment d'une fonction.
Ainsi, le secrétaire de la Communauté apparaît en même temps que les premiers procès-verbaux des séances du Conseil, c'est-à-dire en 1364, mais son cahier des charges complet n'a été établi qu'en 1466 par les syndics: pour vingt-cinq florins d'or par an, il doit coucher par écrit tous les actes et instruments pour la Ville, y compris le registre du Conseil, qu'il doit présenter à la fin de l'année avant de toucher son salaire. Le règlement précise aussi quels sont les actes particuliers pour lesquels il peut obtenir des émoluments supplémentaires.
Quant au receveur de la Communauté, qui sera appelé le trésorier dès l'époque de la Réforme, il est connu par les comptes qu'il rend sur les recettes et dépenses depuis 1364, mais son cahier des charges n'est précisé par écrit que dans le cours du XVe siècle par diverses décisions du Conseil. Il rend ses comptes à quatre experts appelés les auditeurs ou les maîtres des Comptes, qui sont responsables des droits et des intérêts de la Ville. et qui apparaissent pour la première fois en 1460. Institution créée à l'imitation de la Chambre des comptes du duché de Savoie, ces auditeurs des comptes sont le principal organe de contrôle de la Communauté.

La Communauté devient Seigneurie

Au fur et à mesure que les citoyens obtiennent ou usurpent les attributions de la puissance publique, dès le traité de combourgeoisie de 1526, l'administration se développe et se structure. La charge de sautier de la Ville, c'est-à-dire [p. 202] d'huissier en chef et de concierge de la Maison de ville, apparaît en 1528. Cet officier est alors chargé de procéder à une exécution en lieu et place du procureur fiscal de l'évêque, ce qui montre bien le transfert des droits de juridiction qui s'opère alors.
Les secrétaires sont portés au nombre de deux. On nomme un contrôleur, chargé de visiter tous les édifices de la ville, pour s'assurer de leur bon état et de la sécurité des constructions. Le trésorier, avec deux cents florins d'appointement par an, a le droit d'engager un assistant. 

Les Chambres 

Le pouvoir des syndics et du Petit Conseil s'affirme avec les années. Les nécessités de la politique, comme celles du développement démographique de la cité, obligent le gouvernement à renforcer et à structurer son administration pour mieux contrôler les biens et les personnes, assurer la fiscalité et l'armée.
Cette administration est dirigée par des "chambres" ou des commissions permanentes, formées de membres du Petit Conseil et du Conseil des Deux Cents et de quelques experts, qui contrôlent et appuient l'activité de fonctionnaires qu'on appelle généralement "officiers". La première et la plus importante de ces chambres est la Chambres des comptes, qui a succédé en 1538 aux auditeurs des comptes créés par l'administration du Moyen Age. Elle est chargée de contrôler les comptes et de veiller aux droits financiers et fonciers de la République. Les Archives lui sont confiées.
La Chambre des blés, responsable de l'approvisionnement en blé de la Ville, apparaît en 1628 (voir le tome 3 de cette Encyclopédie, pages 51 à 54). La grande peste de 1629 est l'occasion de la formation d'une Chambre de la santé. La Chambre de la Réformation est établie en 1646 pour veiller à l'observation des fameuses ordonnances somptuaires, qui remontent à l'époque de Calvin. En 1681, on voit apparaître une Chambre du vin. En 1689, la Chambre du négoce, ancêtre lointain de notre département de l'Economie publique, élabore et fait promulguer un nouveau règlement sur les Halles. En 1700, une commission chargée de faire vérifier et d'améliorer le rendement fiscal des droits fonciers de la Seigneurie s'attaque à la remise en ordre des Archives. Devenue permanente sous le nom de Commission des fiefs, c'est elle qui, durant tout le XVIIIe siècle, dirigera le travail du Commissaire général, qui conserve — au propre et au figuré — les droits fonciers de l'Etat et en fait l'inventaire. [p. 203] C'est elle aussi qui dirige les travaux d'arpentage du territoire, engage les géomètres et les commissaires venus de Suisse et d'Allemagne pour faire le relevé des terres et des biens de la République.
Ce ne sont là que des exemples, et il y a de nombreuses autres chambres, qui s'occupent de la propreté des rues et des égouts, qui entretiennent les fortifications, qui gèrent l'Arsenal et le parc d'artillerie de la Ville ou qui veillent sur la moralité des citoyens. Au début de chaque année, après les élections des syndics et des conseils, les noms de tous les magistrats et experts formant ces chambres sont imprimés sur deux grands tableaux qui constituent l'annuaire officiel de ce temps. On citera seulement, pour la curiosité, deux chambres fort éphémères, constituées pour lutter contre des maux permanents: la Chambre des expédients, qui s'efforça, au milieu du XVIIe siècle, de trouver des ressources nouvelles à l'Etat, et la Chambre des brigues, chargée en 1687 de dénoncer et de réprimer les manoeuvres électorales et la corruption. 

La naissance du pouvoir exécutif

C'est la Révolution genevoise de 1792 qui a mis fin à ce système en confiant le gouvernement à deux organismes: le Comité militaire ou Comité provisoire de sûreté, et le Comité provisoire d'administration, qui expédie les affaires courantes durant toute la durée des travaux de l'Assemblée nationale chargée d'élaborer une nouvelle constitution.
Cette constitution, du 5 février 1794, a posé pour la première fois le principe de la séparation des pouvoirs en confiant le pouvoir exécutif à un Conseil administratif de treize membres, soit quatre syndics présidant le Conseil à tour de rôle et neuf administrateurs, chargés chacun d'un département administratif. Ce système sera quelque peu modifié par la révision constitutionnelle du 6 octobre 1796, avant de disparaître à la suite de l'Annexion de la République de Genève à la France.
Conformément à son nom, la Restauration du 31 décembre 1813 a rétabli les institutions de l'Ancien Régime. Déjà, la poignée de magistrats qui proclame la fin du régime français se donne le titre de "Seigneurs Syndics et Conseil provisoire de la Ville et République de Genève". La Constitution de 1814, tout en admettant le principe de la séparation des pouvoirs, ne le réalise qu'imparfaitement puisque les responsables du pouvoir exécutif, le Conseil d'Etat, siègent également au Conseil Représentatif qui les élit. Comme avant [p. 204] 1792, le Conseil d'Etat compte vingt-huit membres. Il est formé des quatre syndics, du Lieutenant de police, du trésorier, de deux secrétaires d'Etat et de vingt autres membres, pratiquement inamovibles.
Ce Conseil d'Etat dirige, comme par le passé, l'administration au moyen de chambres et de commissions permanentes en nombre variable et composées de diverses manières. La plus importante de ces chambres est de nouveau celle des comptes, chargée en particulier de l'administration de la Ville de Genève (voir ci-dessus, pages 31-32).
La Constitution de 1842, en améliorant la séparation des pouvoirs et en réduisant à treize le nombre des conseillers d'Etat, a ouvert la voie à un type de gouvernement plus démocratique. Tout en maintenant le collège des Syndics, mais sous une forme modifiée et avec des fonctions plutôt honorifiques, la Constitution donne la véritable responsabilité administrative au Conseil d'Etat. La charge de conseiller d'Etat est incompatible avec toute autre fonction salariée. Le Conseil d'Etat est élu pour quatre ans par le Grand Conseil, doit lui présenter son budget chaque année et lui rendre compte de son administration.
Quant à l'administration, le régime de 1842 n'a modifié que graduellement l'ancien système des chambres. En effet, la loi du 13 février 1846 a réparti les différentes fonctions administratives en six départements, à la tête desquels se trouvent deux conseillers d'Etat, et auxquels sont rattachés un secrétaire et plusieurs chambres ou commissions chargées de préparer les décisions ou de contrôler la bonne marche des divers secteurs.

C. S.
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Le Conseil d'Etat aujourd'hui


C'est la Constitution fazyste de 1847 qui a supprimé définitivement le titre et la charge de syndic et créé le Conseil d'Etat de sept membres tel que nous le connaissons. Désormais, les membres du pouvoir exécutif sont élus par l'ensemble des électeurs réunis en Conseil général, selon le système majoritaire. Au XIXe siècle, l'élection du Conseil d'Etat avait lieu tous les deux ans; de 1927 à 1957 tous les trois ans et depuis cette dernière date tous les quatre ans. Au début et jusqu'en 1926, comme on l'a vu dans le chapitre consacré à la séparation des pouvoirs (ci-dessus, pages 94-97), les conseillers d'Etat pouvaient être également députés et votaient par conséquent sur leurs propres actions et propositions; la charge de conseiller d'Etat, si elle était incompatible avec une quelconque fonction publique salariée, pouvait se combiner avec toutes sortes d'autres mandats. En outre, elle était rétribuée par une somme de 5.000 francs par an, ce qui était très éloigné du bénévolat (en francs 1984, ce montant représente environ 150.000 francs). Plusieurs propositions d'augmenter cette somme furent repoussées au cours de la seconde moitié du XIXe siècle à une forte majorité par le peuple, et les radicaux de cette époque furent souvent accusés à tort de s'enrichir aux dépens des contribuables.
Depuis 1926, d'autres limites ont été successivement imposées aux conseillers d'Etat. Ils se doivent désormais entièrement à leur magistrature puisqu'il leur est interdit d'exercer non seulement une autre fonction publique salariée, mais encore tout emploi rémunéré ou toute activité lucrative. En outre, si un conseiller d'Etat est propriétaire d'une entreprise ou y exerce une influence prépondérante, cette entreprise ne peut être en relation d'affaires, directe ou indirecte, avec l'Etat. Seuls les conseils des sociétés ou des fondations auxquelles la Confédération, l'Etat ou les communes sont intéressés leur sont ouverts, et ils ont même l'obligation d'y représenter les pouvoirs publics. En 1974, une modification de la Constitution a fixé des limites à la carrière fédérale des conseillers d'Etat: ils peuvent en effet être conseillers nationaux ou conseillers aux Etats, à condition qu'il n'y ait pas plus de deux conseillers d'Etat sur sept qui cumulent ces charges.
Tout cela indique bien les exigences de la magistrature, le poids croissant des tâches administratives, la technicité des problèmes, leur complexité, leurs implications nationales et internationales, l'influence de l'opinion, plus avertie qu'autrefois, et tant d'autres éléments qui alourdissent la tâche des dirigeants, qu'ils soient conseillers d'Etat, présidents ou directeurs d'une grande entreprise privée.

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Le pouvoir personnel

Le Conseil d'Etat nomme son président et son vice-président, dont les tâches sont essentiellement honorifiques, mais qui peuvent aussi être appelés à exercer le pouvoir provisionnel, c'est-à-dire à prendre certaines mesures exceptionnelles dans les situations de crise. Il ne s'agit pas là de pouvoir personnel, mais d'organisation.
Mais durant toute la seconde moitié du XIXe siècle la démocratie genevoise a connu des phases de pouvoir personnel voisines du despotisme. Disposant d'une majorité compacte aussi bien au Conseil d'Etat qu'au Grand Conseil, les plus fortes personnalités: James Fazy, Philippe Camperio, plus tard Antoine Carteret du côté radical et Gustave Ador chez les démocrates, ont été véritablement les ténors du gouvernement et ont imprimé leur marque personnelle à sa politique. Antoine Carteret, en particulier, s'est distingué par sa brutalité à l'égard des catholiques-romains.
Durant cette période assez agitée par les passions politiques, le Conseil d'Etat fut le vrai moteur de la vie genevoise. Le régime fazyste (1846-1853 et 1855-1861) a modifié profondément les institutions et même la société genevoises, mettant d'ailleurs en péril l'équilibre des finances. Ne reculant pas devant les solutions extrêmes, prêts à démissionner pour se faire plébisciter, ces hommes ont créé la Genève moderne, sortie du carcan de ses fortifications.
On peut se demander à ce sujet si le Conseil d'Etat doit jouer ce rôle de moteur des transformations économiques et sociales, ou s'il doit se limiter à exécuter les volontés du peuple, exprimées par les initiatives ou par les lois. La Constitution lui donne certes le droit d'initiative, et il l'exerce, mais ce sont les Conseils d'Etat radicaux, au XIXe siècle, qui sont intervenus pour innover et stimuler l'économie — les socialistes, durant l'éphémère régime de Léon Nicole et de ses amis, entre 1933 et 1936, auraient bien voulu en faire autant, mais ils ont été gravement handicapés par la situation économique et ont dû se contenter de lutter contre la misère et le chômage. En outre, ils devaient gouverner contre un Grand Conseil en majorité "bourgeois". De leur côté, les régimes dirigés par des démocrates ou d'autres magistrats "de droite" ont arboré une certaine sagesse: leur effort a porté le plus souvent, à l'époque de Gustave Ador, de Guillaume Pictet et de François Perréard, à rétablir l'équilibre des finances publiques, compromis par la conjoncture ou par une politique de développement que les uns jugent dynamique et les autres aventureuse, selon leurs opinions politiques. [p. 207: image / p. 208]
Quant aux Conseils d'Etat qui se sont succédé depuis la Deuxième Guerre mondiale, on ne saurait les ranger dans la "gauche" ou dans la "droite". Reflétant dans leur composition celle du Grand Conseil élu à la proportionnelle, leur tâche essentielle est de gérer la croissance économique engendrée par l'expansion démographique, l'installation des institutions internationales et le développement du commerce et des communications: on leur doit l'aéroport intercontinental de Cointrin, l'équipement du canton en écoles, en routes, en hôpitaux, etc. Dans cette course au progrès, le Conseil d'Etat est-il encore le moteur? Ou n'est-il pas plutôt chargé de contenir les excès d'une expansion sans limite? 

La composition du Conseil d'Etat

Elu directement par le peuple selon le système majoritaire, le Conseil d'Etat devrait logiquement être compact, composé uniquement d'hommes appartenant au parti, ou du moins à la tendance dominante. Mais la vision manichéenne qui prévaut en politique dans les Etats à système majoritaire (en particulier en France jusqu'en mars 1985) nous est de plus en plus étrangère. Ainsi, la représentation de l'opposition au gouvernement est entrée dans les moeurs, cela aussi bien dans les exécutifs cantonaux qu'au Conseil fédéral.
Contrairement à ce que l'opposition soutient, sans doute pour des raisons tactiques, c'est, pour elle qui est minoritaire, le meilleur moyen de faire passer ses idées. Du reste, les positions idéologiques n'étant plus aussi tranchées qu'elles l'ont été dans la première moitié du XXe siècle, il est plus facile de trouver des solutions de compromis qui satisfont et la majorité et l'opposition. De cette manière, on répond au souci principal qui paraît être celui des hommes politiques de notre époque: sauvegarder la cohésion du corps social. Personne ne doit être oublié, de telle sorte que chacun ait intérêt au maintien du système. Aussi les notions de "droite" et de "gauche" sont-elles en partie vidées de leur sens originel. 

La collégialité

On parle beaucoup du devoir de collégialité qui est celui des conseillers d'Etat. On stigmatise ceux qui prennent des initiatives personnelles qui touchent à l'intérêt général et ceux qui poursuivent une politique partisane sans égard pour leurs collègues du Conseil et pour le programme d'ensemble [p. 209] du gouvernement. Sans que le mot de collégialité soit prononcé, le règlement sur le Conseil d'Etat impose à ses membres une discipline très stricte sur ce point: les conseillers d'Etat ne peuvent se distancer publiquement d'une décision prise par la majorité de leurs collègues que si leur opposition a été inscrite dans le procès-verbal. Le règlement fixe aussi les limites de la discrétion: c'est seulement après s'être entendus au Conseil à ce sujet que les magistrats peuvent communiquer à des tiers ce qui s'est dit ou fait aux séances du gouvernement.
Cette exigence de la collégialité est sans doute plus difficile à remplir depuis que l'opposition est représentée au Conseil d'Etat. Mais il n'est pas possible aux membres de l'exécutif de se considérer simplement comme des gestionnaires de leur département, même si l'accroissement de l'administration semble devoir accaparer tout leur intérêt et même si l'importance de certains secteurs soumet les magistrats responsables à la tentation du pouvoir personnel. En effet, il ne faut pas perdre de vue que les chefs de département n'agissent que par délégation. Le Conseil d'Etat conserve le pouvoir d'évocation, c'est-à-dire qu'il peut se substituer à un chef de département et prendre lui-même la décision.
Pratiquement, la technicité des problèmes laisse aux conseillers d'Etat une large liberté d'action dans leur département. C'est pourquoi il est nécessaire que chacun des membres de l'exécutif ait un sens très élevé du bien commun pour que le Conseil d'Etat ait une action gouvernementale digne de ce nom. Si tel n'est pas le cas, si des conceptions étriquées et partisanes prévalent, chacun défend son département sans se mêler des autres de crainte de rencontrer une opposition systématique à ses propositions. 

Le discours de Saint-Pierre 

Dans les huit jours qui suivent la date de la validation de son élection, les membres du Conseil d'Etat prêtent serment devant le Grand Conseil réuni dans la cathédrale Saint-Pierre. C'est l'occasion pour le gouvernement d'exposer le programme de la législature à venir dans le fameux "discours de Saint-Pierre", qui indique les intentions du Conseil d'Etat, mais aussi les espoirs des fonctionnaires qui ont contribué à la préparation du discours. La série de ces déclarations, imprimées dans la Feuille d'avis officielle de façon que chacun puisse contrôler leur exécution, mériterait une analyse selon les méthodes modernes d'études de contenu: le vocabulaire, le choix des matières traitées, l'exposé des [p. 210-211: images / p. 212] projets concrets ou des propos philosophiques, l'usage — ou l'abus — de l'argument historique, tout cela permettrait d'observer, sur une série continue, l'esprit dans lequel la République est gouvernée et l'évolution des mentalités et de la vie politique. Déjà un simple survol révèle que depuis le XIXe siècle, le discours de Saint-Pierre, à l'origine exposé général des intentions gouvernementales, a fait place à une juxtaposition de projets, les uns techniques, les autres administratifs, dont les meilleurs et les mieux soutenus trouveront peut-être leur réalisation au cours de la législature. C'est que la gestion d'un département est devenue plus compliquée, plus technique; ses projets nécessitent des commentaires détaillés, précis, et l'on cherche parfois en vain la ligne d'ensemble qu'entend suivre le gouvernement. 

La préparation du budget

Un autre temps fort dans la vie de l'exécutif est la préparation du budget annuel de l'Etat en vue de sa présentation au Grand Conseil. Rassemblées dans les services de l'administration dès le début de l'année, les différentes demandes de crédits sont d'abord groupées dans les départements, souvent rognées une première fois, articulées en un programme cohérent qui sera présenté au Conseil d'Etat. Ce rituel, suivi avec inquiétude par les hauts fonctionnaires, est fascinant. Au début des négociations, l'addition des propositions chiffrées des différents départements est souvent sans rapport avec les possibilités. A la première séance, il est entendu que personne ne cédera d'un pouce. Ce n'est qu'après de longs et laborieux arbitrages que [p. 213] le gouvernement parvient à établir un budget présentable. Que de projets écartés, de plans étalés! La collégialité est alors mise à rude épreuve et le chef du département des Finances peut, avec un non possum sélectif, jouer à l'éminence grise. Et lorsque le Grand Conseil renvoie le budget au Conseil d'Etat en demandant de nouvelles économies, la négociation recommence et devient un véritable casse-tête.
A vrai dire, le Grand Conseil est rarement unanime lorsqu'il exige des compressions de dépenses. On peut dire à cet égard que la politique de concordance, où toutes les tendances peuvent faire valoir leur point de vue, paraît avoir atteint certaines limites. Il suffit d'observer l'accroissement du budget cantonal depuis 1950. A force de ne jamais dire non, l'Etat alourdit ses charges. Les années de vaches grasses sont particulièrement dangereuses: si les investissements, aussi considérables soient-ils, paraissent encore supportables lorsque la conjoncture est prospère, le Grand Conseil qui les accepte engage néanmoins l'avenir par des frais de fonctionnement considérables, qui sont difficiles à comprimer parce qu'ils dépendent de textes légaux. 

Solitude du conseiller d'Etat 

Membre d'un collège, le conseiller d'Etat est aussi responsable d'un département de l'administration qu'il choisit selon une alchimie compliquée où ses goûts et compétences personnels entrent pour une part, mais aussi les aspirations de son parti et le choix préalable des collègues les plus anciens. La disparition ou l'affaiblissement des affrontements idéologiques a fait que la tâche essentielle d'un conseiller d'Etat est de bien gérer son département. Cela n'est pas une sinécure, puisqu'il faut veiller à ce que l'administration soit véritablement au service des citoyens. On constate en effet toujours que l'exercice du pouvoir sans contrôle ni recours devient de plus en plus abusif à mesure que l'on descend dans la hiérarchie.
Mais dans le département dont il est le chef (à Genève, on dit le "président"), le conseiller d'Etat est l'élu du peuple, mais aussi le plus exposé. Dans sa recherche de l'intérêt général, il doit tenir compte du programme gouvernemental, de son parti, de l'opinion publique, de la presse friande de mauvaises nouvelles, des hauts fonctionnaires de l'administration... et des réalités.
Certains secteurs sont particulièrement exposés: les Contributions, parce que cette direction lève des impôts ou fait des économies — le cas de Guillaume Pictet, vigoureusement [p. 214] attaqué par les socialistes et dénigré systématiquement par le journal Le Travail de Léon Nicole, à propos du budget d'austérité de 1926, est caractéristique à cet égard; Justice et Police, accusé par les uns d'être trop laxiste, par les autres d'être trop répressif; les Travaux publics, qui dépensent beaucoup d'argent et ont la tâche ingrate de gérer un espace rare et cher. Qu'un conseiller d'Etat demeure plus de huit ans à la tête d'un de ces départements, il s'identifie à lui, et voilà qu'il devient la cible de toutes les critiques.
C'est, comme le fait remarquer Me René Helg, qui en parle par expérience puisqu'il a été conseiller d'Etat de 1957 à 1965, que la responsabilité de l'homme politique est d'une nature très spéciale. "Essentiellement causale, elle correspond à la notion de risque, car elle existe dès le moment où il y a échec, manquement, et l'existence ou l'absence d'une faute personnelle ne lui donne qu'un éclairage particulier. L'homme politique peut, dans une certaine mesure, effacer l'effet de cet échec, de ce manquement, par une réaction rapide et adéquate de telle sorte que l'événement fâcheux apparaisse comme un accident. Ce qui importe pour l'homme politique, c'est qu'il démontre qu'il continue à être habité par la chance. Cette définition, aussi outrée et dure qu'elle soit, est cependant enracinée dans la conscience populaire et non sans raison: l'homme politique auquel sont confiées les responsabilités suprêmes de l'Etat doit se distinguer par l'agilité de son esprit et son intuition, qualités qui lui permettent de faire face avec bonheur aux situations les plus difficiles de telle sorte qu'il paraisse, selon l'opinion de l'homme de la rue, être effectivement habité par la chance."

C. S.
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L'administration


Sept, le nombre d'or, s'applique encore au Conseil d'Etat, mais plus à l'administration. Organisée et réorganisée à de nombreuses reprises, l'administration cantonale genevoise fonctionne aujourd'hui selon le règlement du 23 décembre 1966, qui énumère quelque cent quarante-cinq services de dimensions variables, regroupés en offices, en directions ou en administrations, et répartis de manière assez inégale entre huit départements auxquels s'ajoute la Chancellerie d'Etat. Tout cela sans compter les institutions telles que les hôpitaux, les Services industriels ou les greffes des tribunaux, ainsi qu'une multitude de commissions, recrutées partie dans le secteur privé, partie au Grand Conseil, partie dans l'administration elle-même, commissions destinées à inspirer un souffle nouveau dans le gigantesque corps de l'administration et qui ronronnent avec elle.
Contrairement à ce que l'on aurait pu croire en 1848, le transfert de diverses compétences du Canton à la Confédération n'a réduit le pouvoir exécutif que pour très peu de temps. Le zèle législateur des Chambres fédérales, surtout à partir de la Constitution fédérale de 1874, a eu pour effet de compliquer toujours plus les tâches de l'administration et d'exiger des connaissances techniques et même scientifiques pour leur accomplissement. En outre, la Constitution et les lois fédérales se bornent généralement à fixer les principes et les limites de l'action administrative, mais l'exécution même des tâches est confiée aux administrations cantonales, qui doivent recruter les fonctionnaires et les employés en fonction des normes fixées à Berne.

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Les finances de l'Etat


Tout cela coûte de l'argent. Les finances publiques d'une collectivité sont le reflet des tâches confiées par la population à l'Etat. Elles se caractérisent de quatre façons: le budget, les impôts, le bilan et les indicateurs.
La présentation du budget et des comptes de l'Etat a subi une profonde modification en 1984 en vue de faire mieux connaître, pour chacun des centres de responsabilité, les charges et les revenus de fonctionnement ainsi que le montant des dépenses d'investissement. Cette nouvelle présentation a pour objet de donner aux citoyens et à leurs élus de meilleurs instruments de gestion et de contrôle; elle suit les recommandations de la Conférence des directeurs cantonaux des finances visant à harmoniser la présentation des comptes des collectivités publiques de Suisse.
Le compte de l'Etat de Genève (consommation avec les amortissements, mais sans les communes) atteint 4,2 milliards de francs en 1990, ce qui représente une dépense par habitant de 11.036 francs. Les revenus se situent à 4,0 milliards de francs au compte de fonctionnement qui fait ainsi apparaître un déficit de 194 millions de francs. Les investissements de 1990 se montent à 541 millions de francs et les recettes à 103 millions; l'investissement net de 438 millions de francs est autofinancé à raison de 230 millions par les amortissements. Toutefois, compte tenu du déficit cité, la couverture effective des investissements nets n'est que de 36 millions de francs. Les dépenses de personnel représentent à elles seules près des deux tiers du budget. Ce sont les charges afférentes à 15.706 postes complets pour l'Etat, sans les établissements hospitaliers et les autres organismes de droit public subventionnés.
Quant aux impôts, calculés d'après l'indice suisse global de la charge fiscale (moyenne suisse = 100), ils se situent pour Genève à 106 sur le revenu et la fortune des personnes physiques et à 105,9 sur le bénéfice et le capital des sociétés anonymes.
Le bilan de l'Etat de Genève présente un total de 5,7 milliards à fin 1990. L'actif qui comprend les éléments des patrimoines: titres, terrains, immeubles, est nettement sous-évalué. D'une estimation officieuse, il ressort que la fortune publique se monte à plus de 13 milliards de francs. Quant à la dette consolidée, elle atteint 3,4 milliards de francs et la fortune nette 735 millions de francs.
Les tableaux et graphiques reproduits dans ce volume complètent cet exposé succinct des finances publiques du Canton.

R. J. 
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[p. 218]

Organisation


Départements à vocation économique 

On comprend aisément que le département des Finances, héritier du receveur de la communauté et de la Chambre des comptes de l'Ancien Régime, qui gère cet énorme budget, soit toujours le premier département. Au XIXe siècle, il existait un département des Finances et du commerce, qui tenait les comptes, gérait la trésorerie de l'Etat, préparait le budget cantonal et surveillait en outre tout ce qui concernait les intérêts industriels et commerciaux du Canton (chemins de fer, entrepôts), ainsi que le Registre du commerce imposé par le Code suisse des obligations. C'était le département des Contributions publiques qui faisait rentrer les impôts, c'est-à-dire les droits d'enregistrement sur les successions et les droits de mutation sur les achats, ventes et donations, ainsi que les impôts directs, sur la base du recensement et du cadastre, dont les bureaux lui étaient rattachés.
En 1985 et depuis bientôt cent ans, le département des Finances et contributions coiffe pratiquement tous les services financiers de l'Etat, qu'il s'agisse du budget et des plans quadriennaux, de la comptabilité générale et de la Caisse de l'Etat, de la trésorerie, des assurances de l'Etat, du contrôle financier et du fisc (contributions directes, administration de l'enregistrement et des successions, et impôt fédéral direct, qui s'intitulait, dans les années cinquante, "administration cantonale de l'impôt et du sacrifice pour la défense nationale"). Il comprend aussi, depuis 1937, l'Office du personnel de l'Etat: créé en 1935 et rattaché d'abord à la Chancellerie d'Etat, cet organisme, formé à l'origine de quatre fonctionnaires, est aujourd'hui une vaste machine de quarante-trois employés qui veillent à la rétribution, à la formation continue et au confort physique et moral des fonctionnaires, ainsi qu'à leur classification dans la hiérarchie.
Quant au département du Commerce et de l'industrie, appelé département de l'Economie publique depuis 1975, il a été séparé du département des Finances en 1890 et s'occupe désormais de tout ce qui concerne l'économie en général, plus particulièrement du commerce, de l'industrie et du travail, des prix, ainsi que de l'énergie, des transports et du tourisme. Il comporte en particulier un service qui publie des informations intéressantes sur la population et l'économie en général, le Service cantonal de statistique. Outre l'application des lois fédérales sur le commerce, le travail et le chômage, il surveille l'aéroport et, depuis 1974, les Services industriels. 

C. S.
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[p. 219: image  / p. 220]

Cultes, culture et agriculture

Une des caractéristiques du régime fazyste est la mainmise du pouvoir exécutif sur l'instruction publique. Certes, un volume à venir de cette Encyclopédie est entièrement consacré à la science et à l'école, et doit montrer aussi tout ce que le secteur privé et les sociétés ont apporté à l'accumulation et à la transmission des connaissances. Ainsi, on se bornera à rappeler ici les remarquables réalisations de James Fazy et de ses successeurs pendant cent trente ans: la création de l'Institut national genevois par la loi du 28 avril 1852; la création de l'Université; l'organisation de l'école primaire ("l'école primaire est une institution essentiellement démocratique qui forme la base du suffrage universel et la condition première de la vie civique", écrit le radical Alexandre Gavard en 1885); et en dernier lieu, en 1962, celle du cycle d'orientation. Tout cela, ajouté à l'action sociale de l'Office de la jeunesse, fait du département de l'Instruction publique une véritable puissance, par le nombre de ses fonctionnaires et par la responsabilité qu'ils assument à l'égard des générations montantes.
En revanche, en proclamant la liberté de culte sur toute l'étendue du territoire genevois, les constituants de 1847 marquaient la volonté de rompre la liaison qui existait jusqu'alors entre l'Eglise réformée et le pouvoir. C'était une manière de valoriser et d'officialiser la formation de l'esprit donnée par l'école publique et laïque, au détriment des catéchismes. Toutefois, l'Etat continuait d'entretenir le culte de l'Eglise nationale protestante et le culte catholique dit "national" (aujourd'hui Eglise catholique chrétienne). Après deux échecs, en 1872 et en 1880, les radicaux réussirent à faire supprimer le budget des cultes, c'est-à-dire à séparer l'Eglise de l'Etat, par une loi constitutionnelle votée le 15 juin 1907.
Par là, le département de l'Intérieur et des Cultes se vit dépouiller d'une de ses attributions les plus importantes. Ce département est peut-être celui qui a subi le plus de modifications. Il est toujours chargé d'organiser les votations et les élections et de surveiller (aujourd'hui on dit "conseiller") les communes, mais il a perdu la surveillance du Bureau cantonal de l'état civil, des prisons et du Palais de justice au profit du département de Justice et Police, celle des hôpitaux au profit du département de la Prévoyance sociale. En revanche les affaires agricoles ont pris une importance telle qu'il se trouve avoir une couleur essentiellement campagnarde: pour décharger d'autres conseillers d'Etat, on lui a ajouté une série disparate de services, tels que les forêts, [p. 221] la faune et la protection de la nature, les Archives d'Etat, le service des naturalisations, le contrôle des poids et mesures, la direction du logement, le registre foncier, le cadastre, le service cantonal de géologie, l'inspection cantonale du service du feu, l'office vétérinaire cantonal et finalement les affaires régionales. Ainsi le département de l'Intérieur, de l'Agriculture et des Affaires régionales se trouve être à la fin du XXe siècle le plus "culturel" des départements, par toutes les possibilités qu'il offre de connaître la vie du Canton sous les angles les plus variés. 

Les Travaux publics

Tout au contraire, le département des Travaux publics est probablement celui où l'unité d'action et de sujet est la plus marquée. Il comprend quatre directions: la police des constructions, vieille fonction dont on trouve déjà des traces en 1387 dans les franchises d'Adhémar Fabri, et que le procureur général exerçait sous l'Ancien Régime. Dans un canton où l'activité économique est vive et l'invention des architectes féconde, la police des constructions est particulièrement exposée aux critiques des défenseurs du patrimoine architectural et plus simplement de ceux qui éprouvent une certaine angoisse en voyant leur cadre de vie changer très rapidement.
Deuxième direction, celle de l'aménagement du Canton, qui élabore, en application des lois fédérales et cantonales, les grandes lignes de l'aménagement du territoire à moyen et à long terme, et détermine les besoins présents et futurs en [p. 222] matière d'équipement: la responsabilité politique et économique qui lui incombe, dans un canton au territoire restreint et très urbanisé, est une évidence. La direction des bâtiments, héritière de l'Architecte cantonal du siècle passé, est chargée de faire construire et entretenir, par des architectes, des ingénieurs et des entreprises du secteur privé, les bâtiments de l'Etat. Parmi les chantiers les plus remarquables qu'elle a dirigés, il faut citer l'agrandissement de l'aéroport, l'Hôpital cantonal, deux écoles de commerce, une quinzaine de cycles d'orientation, l'Observatoire de Sauverny, l'Hôtel des Finances, le Centre médical universitaire, le Palexpo, etc.
Enfin la direction du Génie civil, qui a succédé à l'Ingénieur cantonal du siècle passé, comporte deux divisions: l'une dirige les travaux de construction et d'entretien des routes cantonales et des autoroutes: c'est la division dite des "Ponts et chaussées". L'autre, chargée de l'assainissement et des exploitations, s'occupe du réseau d'égouts cantonaux, des stations d'épuration, des usines de traitement des résidus ménagers, industriels et divers. Elle lutte, sur tous les fronts, contre la pollution des eaux en contrôlant les stations d'épuration privées et publiques, les installations de traitement des résidus, les raccordements privés aux collecteurs d'égouts, en révisant les citernes, etc. 

C. S.
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La sécurité


Les institutions militaires 

Les premières mentions des citoyens dans le rôle de défenseurs apparaissent au XIIIe siècle, par exemple lorsqu'en 1288 ils occupent la cathédrale devenue forteresse. Un peu plus tard, ils acquièrent le droit de faire le guet et, en outre, de s'organiser en milices, basées sur la division de la ville en quatre quartiers, à la tête de chacun desquels est placé un capitaine ayant sous ses ordres des dizeniers (chef d'une dizaine ou portion d'un quartier). Un capitaine général veille à la sûreté intérieure et extérieure de la ville. Parallèlement, les adeptes des diverses sortes de tir (archers, arbalétriers, arquebusiers) forment des sociétés dites "abbayes" où chacun doit, lors de joutes annuelles, tirer avec son arme de guerre. Il y a aussi des corps de piquiers et de hallebardiers. Une "abbaye de Saint-Pierre", plus connue ensuite sous le nom d'"Enfants de Genève", constitue l'ensemble des jeunes gens non mariés et capables de porter les armes, corps turbulent et susceptible; leur chef, l'"Abbé de la ville", en reçoit un pouvoir considérable. Il voit même parfois sa charge se cumuler avec celle de capitaine général, c'est-à-dire [p. 222: image / p. 223] de commandant en chef de toutes les troupes genevoises. Ce fut le cas notamment de Bezançon Hugues. Le comportement de ses successeurs mit à ce point en péril l'ordre et l'indépendance de Genève devenue République qu'en 1555, finalement, la charge fut supprimée et que la peine capitale fut décrétée contre quiconque parlerait de la rétablir. 

La Seigneurie

Le premier règlement militaire écrit est contenu dans les Edits de 1543. Sous le capitaine général, dont la fonction, on l'a vu, n'a été supprimée qu'en 1555, d'autres grades militaires sont créés, par exemple ceux de banderet général, de maître d'artillerie, d'enseignes. Mais quelques années plus tard, on modernise les institutions en s'inspirant de ce qui existe ailleurs. En 1574, les milices sont organisées en quatre régiments correspondant aux anciens quartiers du Bourg-de-Four, de Rive, de Neuve et de Saint-Gervais. Chaque régiment, comprenant quatre compagnies, est commandé par un colonel (un des Syndics en charge) et un lieutenant-colonel pris dans le Petit Conseil. Les capitaines commandant les compagnies sont choisis parmi les membres du Conseil des Deux Cents.
L'artillerie n'est d'abord pas organisée de façon permanente, bien que l'existence de la place forte et les nombreux canons qu'elle suppose en fassent un élément essentiel de la défense de Genève. Au début, certains hommes au sein de chaque compagnie sont spécialement affectés à la manoeuvre des pièces. C'est en 1705 seulement qu'est créé un corps spécial de canonniers et de bombardiers et, peu après, une école d'artillerie, avec cours théoriques et exercices pratiques. Quant à la cavalerie, mentionnée à diverses occasions, elle ne consiste qu'en formations tout à fait temporaires, destinées surtout à fournir des escortes ou gardes d'honneur lors de l'arrivée de hauts personnages. On cite cependant des arquebusiers à cheval en 1589. C'est à la fin du XVIIe siècle qu'un petit corps de dragons est organisé régulièrement, réservé à des citoyens aisés. Divers seigneurs étrangers, en séjour à Genève, y sont parfois admis.
A côté de ces forces de milices, mobilisées seulement pour leurs exercices périodiques ou en cas de danger, Genève entretient toujours une garnison formée de soldats de métier, volontaires, le plus souvent étrangers (dont beaucoup de Suisses). A l'époque de l'Escalade, elle doit compter environ 300 hommes. Enfin, lorsque Genève est menacée, elle peut faire appel à ses alliés de Berne et de Zurich qui lui envoient, à ses frais, des contingents destinés à renforcer la garnison. [p. 225]
Bien que l'un des syndics soit, à tour de rôle, chargé des affaires militaires, c'est à partir de 1630 environ que sera consacrée la charge de Syndic de la Garde.
L'extension considérable donnée aux fortifications dans la première moitié du XVIIIe siècle, la refonte à peu près complète de l'artillerie, ont des conséquences politiques importantes, notamment à cause des impositions nouvelles que cet effort rend inévitables. 

Une période troublée

Cette organisation, pendant plus de 200 ans, ne subira que des modifications de détail. En revanche, la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe seront marqués par une série de réformes, adoptées au gré des événements et des refontes de la Constitution: l'"Edit de pacification" de 1782 supprime toutes les anciennes institutions militaires de la République qu'il remplace par une troupe permanente de quelque 1.200 hommes à laquelle on donne le nom de "garnison". En 1789, la milice bourgeoise est rétablie et baptisée "volontaires"; le Code genevois de 1791 lui enlève son caractère facultatif et la nomme la "légion genevoise"; en 1794, la Constitution lui confère le titre, emprunté au grand pays voisin, de "garde nationale". Pendant l'Annexion, les Genevois sont tout d'abord exemptés du service militaire, mais à partir de 1803 ils sont soumis, comme les autres habitants du département du Léman, à la conscription, à laquelle n'échappent que ceux qui ont les moyens de payer un remplaçant. 

Genève canton suisse 

L'entrée de Genève dans la Confédération n'entraîne pas la disparition des troupes cantonales. Un règlement militaire général de la Confédération suisse ayant été promulgué le 20 août 1817, Genève adopte sa loi sur l'organisation de la milice, du 18 février 1818. Le Canton est divisé en quatre districts militaires; on distingue le contingent fédéral, composé du contingent fédéral proprement dit et de la réserve fédérale, et la réserve cantonale. Sont appelés au service du contingent, dès leur vingtième année révolue, les Genevois, les Suisses domiciliés depuis un an et les apatrides nés dans le Canton. Leur obligation dure sept ans. Font partie de la réserve, dès leur vingtième jusqu'à leur soixantième année, et s'ils ne sont déjà dans le contingent, tous les Genevois, les Suisses domiciliés depuis un an, et les [p. 226] étrangers y ayant leur domicile principal ou établis depuis trois ans. L'obligation de servir est assortie de très nombreuses exceptions et le militaire non gradé appelé à servir dans le contingent peut se faire remplacer.
La direction des affaires militaires est confiée à un Conseil militaire. Présidé par le Syndic de la Garde assisté de trois conseillers d'Etat dont l'un est inspecteur de la milice, le second directeur de l'artillerie et le troisième inspecteur des fortifications, il est formé en outre de divers officiers de la milice. La garnison et la gendarmerie font partie de la milice. 

Les Constitutions fédérales de 1848 et de 1874

La transformation de la Confédération en Etat fédératif, par la Constitution de 1848, suivie de la loi fédérale sur l'organisation militaire du 8 mai 1850, modifie fondamentalement le système. L'obligation générale de servir supprime la faculté du remplacement. L'armée suisse se compose désormais de l'élite fédérale (hommes de 20 à 34 ans) et de la réserve fédérale (de 35 à 40 ans), tandis que la landwehr (de 41 à 44 ans), qui reste en principe cantonale, peut cependant, en cas de besoin, être appelée aussi à un service fédéral.
La loi fédérale sur l'organisation militaire du 13 novembre 1874 consécutive à l'adoption de la nouvelle Constitution supprime la notion de contingent et le nom de réserve; l'armée fédérale ne connaît plus que deux classes, l'élite (les douze plus jeunes classes d'âge) et la landwehr. Le landsturm, enfin, est organisé en 1888 et comprend tous les hommes valides de 17 à 50 ans qui ne sont pas incorporés dans l'élite ou la landwehr. Aujourd'hui, tout citoyen suisse déclaré apte au service appartient à l'élite de 20 à 32 ans, à la landwehr de 33 à 42 ans et au landsturm de 43 à 50 ans. De plus, le service féminin de l'armée et le service de la Croix-Rouge accueillent des femmes volontaires de 18 à 35 ans. D'importantes réformes sont en préparation d'où devrait sortir une armée moins nombreuse et plus efficace.
Les tâches du canton sont d'ordre administratif et logistique. Le département militaire gère un arsenal, une caserne, diverses places d'exercices et un stand de tir cantonal. Outre les besoins des armes fédérales, Genève fournit et commande les corps de troupe cantonaux, notamment le bataillon d'aéroport 1.
La direction du département militaire échoit à un conseiller d'Etat en charge d'un autre département.

W. Z.
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[p. 227]

La protection civile

La protection civile, instituée par la loi fédérale du 23 mars 1962, a remplacé la Défense aérienne passive créée en 1934 pour assurer la défense de la population contre des attaques aériennes. Elle tend non seulement à protéger et à secourir les personnes, mais aussi à protéger les biens culturels par des mesures destinées à prévenir ou à atténuer les conséquences de conflits armés. Tout en étant un élément de la défense nationale, elle n'a pas de tâches de combat. De plus, depuis le 14 juillet 1973, elle peut également être appelée en temps de paix ou de service actif à porter secours en cas de catastrophe.
L'organisation de la protection civile est décentralisée: un Office de la protection civile a été créé au Département fédéral de justice et police, mais ce sont les cantons et, au premier chef, les communes qui sont responsables de l'exécution des prescriptions fédérales. Sont astreints à servir dans la protection civile les hommes de 20 à 60 ans qui ne sont pas astreints au service militaire ou au service complémentaire. La protection civile compte aussi des volontaires, hommes et femmes.
A Genève, la Direction de la protection civile est rattachée au département de l'Intérieur et de l'Agriculture. Le premier échelon, placé sous la responsabilité des communes, comprend un organisme de protection communale, des organismes d'abris divisés en quartiers, îlots et abris, et des organismes de protection d'établissements dans les entreprises comptant cent personnes ou plus. L'organisation de protection civile cantonale représente le deuxième échelon, qui a pour tâche de coordonner l'action des communes et qui peut mettre à leur disposition des moyens d'action supplémentaires. Quant au troisième échelon, il est fourni par l'armée, notamment par le régiment de protection aérienne. Les frais sont répartis entre la Confédération, les cantons et les communes.
Seul de tous les cantons, Genève a équipé son office cantonal d'un hélicoptère qui est exploité, d'une part au profit de la collectivité pour des tâches de police, d'autre part pour des transports de malades et de blessés, en collaboration avec la Garde aérienne suisse de sauvetage et avec le Touring-Club Suisse, et pour des travaux de chantier. 

La police genevoise

L'histoire de la gendarmerie genevoise se confond, jusqu'à la Révolution radicale, avec celle de l'armée. C'est le Conseil [p. 228] général du 9 octobre 1846 qui décide la suppression de la "garde soldée", ce qui entraîne la création d'une gendarmerie distincte de la milice.
En ce qui concerne la police, la Ville de Genève a toujours disposé de forces chargées de garder les portes et les tours, d'assurer la tranquillité de la cité et d'assister les magistrats dans l'exercice de la justice. Ces agents de police, au Moyen Age, étaient nommés les gardes, ou "guets". Ils étaient huit en 1452, douze en 1459, dix-huit en 1460.
La Réforme n'a rien changé à cette organisation qui s'est maintenue dans ses grandes lignes jusqu'à la Révolution de 1792. Pendant l'occupation française la police est organisée de la même façon que dans les autres départements français. Après la Restauration, la loi du 11 mars 1816 fait dépendre la police du Conseil d'Etat, alors que la gendarmerie est rattachée au Département militaire.
La Constitution de 1842 amène la création de deux postes de commissaires de police qui se substituent aux auditeurs et qui sont chargés de la police administrative alors que la police judiciaire est du ressort des juges de paix. Quant à la Révolution de 1846, elle provoque une réorganisation complète des services de sécurité: la loi du 18 novembre 1846 règle le statut de la gendarmerie, dont l'effectif est porté de 88 à 150 hommes et qui reste subordonnée au Département militaire. Ce n'est qu'en 1868 qu'elle passera au département de Justice et Police. La police, elle, fait l'objet de la loi du 12 avril 1848 qui fixe les attributions du directeur de la Police centrale institué par l'arrêté du Conseil d'Etat du 21 mars 1848. On reconnaît dans cette réorganisation l'influence de James Fazy, qui mesure bien les risques d'émeute pour avoir fomenté celles qui l'ont porté au pouvoir et qui, en sa qualité de président du Conseil d'Etat et de chef du département de Justice et Police, prend toutes les précautions nécessaires au maintien de la sécurité publique, et de sa propre sécurité. En 1933, Léon Nicole aussi choisira le département de Justice et Police pour asseoir son pouvoir, mais celui-ci sera de plus courte durée que celui de Fazy.
Une nouvelle réorganisation de la police intervient en 1892: la loi du 29 juin dispose qu'elle comprend un corps de sûreté de 33 sous-officiers et agents, un corps de gendarmerie de 150 officiers, sous-officiers et gendarmes, et un corps de gardes ruraux de 77 gardes. Ceux-ci seront supprimés par la loi de fusion du 19 mai 1930 et incorporés dans la police cantonale. La Ville de Genève ne conservera que la surveillance des halles et marchés et celle des parcs et promenades. Des conventions ont été conclues entre le Conseil d'Etat et les communes du Canton, y compris la Ville [p. 229] de Genève, relatives aux attributions de police des agents municipaux. Leurs compétences sont strictement définies, le port d'arme est interdit, ils reçoivent leurs instructions des départements cantonaux intéressés. Quant aux garde-pêche et garde-chasse, ils font partie du département de l'Intérieur, Inspectorat des forêts, de la faune et de la protection de la nature. 

La police genevoise aujourd'hui

L'organisation actuelle de la police résulte de la loi cantonale du 26 octobre 1957, qui se substitue à celle du 4 mai 1927 et stipule comme elle que la police est exercée dans tout le canton par un seul corps de police chargé de la police judiciaire, de la police administrative, du maintien de la tranquillité, de la sécurité et de l'ordre publics, notamment en matière de circulation, de la police rurale et de la police des étrangers.
On distingue la police de sûreté, qui comprenait, à fin 1990, 266 personnes dont 33 inspectrices, et la gendarmerie, dont l'effectif était à la même époque de 750, dont 56 agentes. Les effectifs ont constamment augmenté du fait de l'accroissement de la population et du nombre de véhicules à moteur (656 pour mille habitants à fin 1990) et d'une forte progression de la criminalité depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. A titre de comparaison, la loi de 1927 autorisait 41 agents de la sûreté et 160 gendarmes.
La police de sûreté est formée de policiers en civil qui travaillent en collaboration avec le pouvoir judiciaire; ils ont pour mission de lutter contre la criminalité. Elle comprend une brigade financière, un groupe d'investigation spéciale, une brigade criminelle, une brigade des stupéfiants, une brigade des mineurs, une brigade des moeurs, une brigade des vols et effractions, des brigades de sécurité et des brigades judiciaires.
La gendarmerie, elle, est une force organisée militairement dont les agents portent l'uniforme. Sa mission est, d'une part de faire appliquer le droit de la circulation routière, d'autre part d'assurer la sécurité et l'ordre publics en luttant contre la criminalité. Son rôle est à la fois de prévention, d'assistance et de répression. Elle comprend notamment une brigade motorisée, une brigade d'intervention, une brigade antibruit, une brigade des agents de la circulation, une brigade d'éducation routière, la police de la navigation. [p. 230]
L'année 1990 a été marquée à Genève par 13 meurtres, 11 hold-up, 302 agressions, 2.042 vols à la tire, 4.632 cambriolages, 7 viols et des saisies de stupéfiants pour 41,5 millions de francs. Et pourtant Genève passe encore, par comparaison avec les grandes capitales européennes, pour un havre de paix et de tranquillité où il fait bon vivre sous la protection d'une police efficace. Cette police, les Genevois s'en moquent volontiers, affectant d'être ennemis de toute contrainte d'apparence militaire. Mais tout au long de leur histoire et malgré les différends qui les ont opposés, les Genevois ont toujours manifesté la volonté de défendre leur indépendance et leurs libertés contre toute menace d'agression, d'où qu'elle vienne, et c'est cette volonté qui a fait leur cohésion. 

J. de S.
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L'Etat social


L'idée que l'Etat doit créer et administrer des institutions capables d'assurer le bien-être de tous, de réduire les inégalités sociales et d'apporter aux plus démunis le minimum vital, cette idée remonte aux gouvernements radicaux de la seconde moitié du XIXe siècle. Toute la législation mise en place, tant sur le plan fédéral que cantonal, depuis cette époque et jusqu'à nos jours, ne fait que réaliser des programmes formulés au siècle dernier: qu'on relise par exemple le discours de Saint-Pierre prononcé en novembre 1897 par Alexandre Gavard. 

L'assistance dans le passé

Toutefois, l'idée que l'Etat et les nantis doivent assister les pauvres remonte beaucoup plus haut. Les anciens gouvernements, surtout dans les Etats ecclésiastiques, se désignaient volontiers comme "paternels". Un père nourrit ses enfants, mais il les éduque aussi pour leur apprendre à subvenir eux-mêmes à leurs besoins.
A Genève, l'Eglise et les particuliers ont fondé au Moyen Age toute une série d'hôpitaux, c'est-à-dire d'institutions charitables qui devaient recueillir les pauvres, les malades et les pèlerins. A la Réforme, par une décision du Conseil général du 14 novembre 1535, tous les biens et revenus de ces hôpitaux furent réunis pour créer un seul établissement, l'Hôpital général, qui fut installé dans le couvent de Sainte-Claire, là où se trouve l'actuel Palais de Justice. On ajouta à ces fonds tous les biens des églises, chapelles, paroisses, monastères, couvents, confréries et autres institutions semblables qui avaient jusqu'alors été appliqués à des usages pieux. Pendant plus de trois cents ans, l'Hôpital général, soutenu par la charité privée et même par des bénévoles, prit soin des malades, des indigents et des laissés pour compte.
Lors de la Restauration et de l'agrandissement territorial de la République, en 1815, l'assistance est centralisée en mains de l'Hôpital général, auquel il incombe de secourir les déshérités et les malades accueillis dans son infirmerie. Mais les ressortissants des Communes Réunies ne reçoivent pas le droit à ces secours et doivent faire appel à des fondations privées. Il leur faudra attendre la loi constitutionnelle du 26 août 1868, créant l'Hospice général, pour obtenir l'égalité des droits à l'assistance avec les ressortissants de l'ancien territoire. Quant aux Confédérés et aux étrangers, ils doivent s'adresser, jusqu'en 1981, au Bureau central d'assistance, fondé en 1867, appelé Bureau central d'aide sociale depuis 1970.

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Un effort récent

C'est donc le XIXe siècle qui est à l'origine de l'Etat social moderne. La Constitution de 1847 a posé le principe d'un hôpital cantonal, dont le bâtiment a été achevé en 1856. Deux autres institutions ont vu le jour en 1876: une policlinique et la Maison des convalescents. La Maison de Loëx et la clinique psychiatrique de Bel-Air entrent en exploitation en 1900, une policlinique de psychiatrie en 1929, transformée en 1961 en Centre psycho-social universitaire, le tout fondu depuis 1982 dans les institutions universitaires de psychiatrie. Quant aux vieillards malades, ils disposent depuis 1966 d'un Centre de gériatrie, depuis 1971 d'un Hôpital de gériatrie, depuis 1972 de Centres de jour et depuis 1979 d'un Centre de soins continus: les Institutions universitaires de gériatrie. 

Mise en place du département de la Prévoyance sociale

Les structures actuelles sont vieilles d'une bonne cinquantaine d'années. En 1925 est créé un "département de l'Hygiène, Assistance publique et Assurances sociales", qui regroupe les services d'assistance, les hôpitaux et les commissions administratives qui les surveillent, ainsi qu'un service d'hygiène dont l'importance ira croissant, une commission de surveillance des professions médicales et auxiliaires, et les services chargés d'appliquer les lois fédérales et cantonales sur le travail et les assurances. Dénommé ensuite "département du Travail, de l'Hygiène et de l'Assistance publique", et depuis 1959 "département de la Prévoyance sociale et de la Santé publique", cet organisme s'augmente peu à peu de toutes les institutions mises en place pour la sécurité sociale. Seuls les services qui touchent au travail et au chômage n'en font plus partie, ayant été rattachés en 1976 au département de l'Economie publique.
Son budget de dépenses, y compris celui de l'Office des Allocations aux Personnes Agées, aux veuves, aux orphelins et aux invalides (OAPA), s'élève pour 1991 à 1.236 millions de francs, soit 28% du budget total du canton (charges de fonctionnement). Il vient en deuxième position derrière celui du département de l'Instruction publique (1.457 millions de francs). Son budget était de 65 millions en 1965 et de 315 millions en 1975. Le "budget social" du canton s'est donc multiplié par quatre en seize ans, par dix-neuf en vingt-six ans, en francs courants.
Financièrement, c'est donc à partir des années soixante que les tâches sociales entraînent pour l'Etat des dépenses considérables (voir le graphique ci-contre).

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Diversité des institutions sociales 

Tous les départements — sans parler de la Ville et des communes du canton — participent à la politique sociale de l'Etat: la protection de la jeunesse est assurée par le département de l'Instruction publique, celle des travailleurs et des chômeurs par le département de l'Economie publique, celle des locataires par le département de l'Intérieur, de l'Agriculture et des Affaires régionales, celle des habitants en général par le département de Justice et Police, mais c'est le département de la Prévoyance sociale et de la Santé publique qui porte le poids principal de cette politique puisqu'il a la charge des malades, des personnes âgées et des victimes de la vie et de la société.
L'Etat fait donc un effort considérable pour venir en aide aux malades, aux personnes âgées et à tous les malmenés de la société. Mais on compte aussi à Genève de nombreuses institutions privées dont le rôle est fort utile dans les secteurs les plus divers: assistance matérielle et morale aux couples, aux femmes, aux jeunes, aux malades, aux handicapés, aux personnes âgées, aux étrangers, aux chômeurs, etc. Cette activité complète celle de l'Etat, parfois la précède, et contribue à donner une image moins glaciale de l'Etat social. Elle corrige aussi la rigueur de la loi, singulièrement dans les cas exceptionnels. L'Etat accorde à ces institutions un appui financier sans lequel elles seraient paralysées dans leur action. Le montant des subsides s'est élevé en 1990 à 51 millions de francs.

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La santé publique et l'aide aux malades

La loi sur l'exercice des professions de santé, votée le 16 septembre 1983 par la Grand Conseil, définit les conditions de la pratique médicale et des professions auxiliaires de la médecine. L'organisation des établissements publics médicaux, énumérés dans la loi du 19 septembre 1980, peut être représentée schématiquement comme suit:

Ce ne sont là que les grandes divisions de l'équipement hospitalier genevois qui comporte au surplus un Centre de paraplégiques à l'Hôpital Beau-Séjour, des foyers de jour pour personnes âgées et pour malades psychiques, des ateliers thérapeutiques, un Centre d'accueil et de consultations [p. 235: image / p. 236] pour toxicomanes Drop-in, le Centre Dr Henri Revilliod pour alcooliques et d'autres services spécialisés dans le diagnostic ou le traitement des diverses affections psychiques, somatiques ou psychosomatiques.
L'une des innovations apportées par la loi du 19 septembre 1980 est le rattachement des policliniques aux établissements publics médicaux, sous le nom de subdivision de soins extra-hospitaliers. La première de celles-ci a été créée par la loi du 13 septembre 1873 en vue de donner des consultations gratuites aux malades indigents et faire visiter chez eux les patients qui ne pouvaient ou ne voulaient pas entrer à l'hôpital. En outre, elle permettait aux étudiants en médecine de se familiariser avec des cas de la pratique courante d'un médecin de ville ou de campagne. Progressivement, de nouvelles policliniques furent ouvertes; on compte aujourd'hui huit policliniques médicales et une policlinique dentaire.
Tout est mis en oeuvre pour éviter l'hospitalisation et en réduire la durée autant que faire se peut. Cet accent mis sur les soins à domicile n'est pas nouveau: sous l'Ancien Régime, où seuls les pauvres et les passants malades étaient soignés à l'hôpital, des ordonnances du Conseil de 1569 et de 1658 font obligation aux médecins de la ville de visiter gratuitement les malades pauvres du quartier qu'ils habitent "estant requis par aumosne".
Aujourd'hui, l'Etat, par le canal du Service de contentieux et d'assistance médicale, accorde une aide à tous les malades qui ne sont pas en mesure d'assumer les frais occasionnés par leur état, tout en leur garantissant le libre choix du médecin, du médecin-dentiste, du chiropraticien, du pharmacien et du personnel médical. En outre, il soutient les organisations privées qui permettent aux malades de rester chez eux. Ainsi, la Croix-Rouge genevoise entretient, avec l'aide de l'Etat, un service de soins infirmiers à domicile comprenant des équipes d'infirmières, d'aides extra-hospitalières, de physiothérapeutes, d'ergothérapeutes et de pédicures. L'Etat soutient aussi l'Association d'aides ménagères au foyer et la Fédération des services d'aides familiales, qui apportent aux personnes âgées ou malades l'aide ménagère qui leur est nécessaire pour éviter d'être hospitalisées.
Pour les handicapés, l'Etat a créé divers dispositifs; il est secondé par de nombreuses et importantes institutions privées qui leur prodiguent soins et aides diverses, qu'il s'agisse de handicaps physiques, sensoriels, mentaux ou sociaux; ces aides vont des plus simples, telles que la fourniture d'équipements spéciaux pour handicapés, aux plus sophistiquées comme les efforts de formation professionnelle et d'insertion sociale.

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La sécurité sociale et l'aide à la vieillesse

L'appareil impressionnant d'assurances contre la maladie et les accidents que nous connaissons est un héritage du XIXe siècle qui a vu, sous l'impulsion notamment de la Société genevoise d'utilité publique, la création de nombreuses "Sociétés de secours mutuels dans la maladie et la vieillesse". Par une votation populaire du 26 octobre 1890, la Confédération a été chargée d'introduire, par voie législative, l'assurance en cas d'accidents et de maladie, en tenant compte des sociétés de secours mutuels existantes. En 1886, on comptait en Suisse 949 de ces caisses, groupant quelque 170.000 membres. En 1887, à Genève, il existait 105 caisses, comptant 8.000 affiliés.
L'assurance-accidents est obligatoire en Suisse pour tous les travailleurs, qu'il s'agisse d'accidents professionnels ou non professionnels. Les travailleurs de l'industrie sont obligatoirement assurés à la Caisse nationale d'assurance en cas d'accidents, tandis que les travailleurs du secteur tertiaire privé doivent s'assurer auprès d'une compagnie privée ou d'une caisse reconnue.
Contrairement à d'autres cantons, Genève n'impose pas à tous ses habitants d'être assurés contre la maladie. Cette obligation est limitée à certaines catégories de salariés (loi de 1969) et aux écoliers, apprentis et jeunes travailleurs (loi de 1972). De plus, une loi votée le 14 septembre 1973 vise à encourager les personnes âgées à s'assurer contre la maladie. Enfin, une loi entrée en vigueur le 1er janvier 1985 accorde un subside complémentaire aux assurés de condition modeste.
Ce rôle de service public que jouent ainsi les caisses-maladie ne saurait être assumé par les seules cotisations des membres. Aussi l'Etat les subventionne-t-il très fortement. En 1990, les subsides accordés et versés à ce titre se sont élevés à quelque 78 millions de francs pour 376.200 assurés.
Quant à l'Assurance-Vieillesse et Survivants (AVS), sa naissance fut laborieuse. Après de longues hésitations, le principe en est inscrit en 1925 dans l'article 34quater de la Constitution fédérale. Mais c'est seulement à la suite de plusieurs échecs qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la loi créant l'AVS est adoptée par le peuple, le 20 décembre 1946. Elle a subi depuis lors de nombreuses révisions et une loi du 14 octobre 1965 réglemente l'attribution de rentes complémentaires lorsque les rentes AVS ne permettent pas de couvrir les besoins vitaux.
Surtout, l'ensemble du système a été entièrement repris par une modification, acceptée le 3 décembre 1972, de l'article 34quater de la Constitution fédérale, chargeant désormais la Confédération de prendre les mesures propres à promouvoir [p. 238] une prévoyance suffisante pour les cas de vieillesse, de décès et d'invalidité. Le système repose sur trois "piliers": le premier est l'AVS, le deuxième la prévoyance professionnelle, entrée en vigueur en 1985, et le troisième la prévoyance individuelle: épargne, contrats d'assurance-vie, dernier bastion de la responsabilité individuelle.
De son côté, le Canton n'est pas resté inactif: le 7 octobre 1939, le Grand Conseil adopte une loi créant l'aide à la vieilllesse, afin de substituer une aide officielle à la charité privée, jugée humiliante pour les bénéficiaires. Profondément modifiée dans sa conception et ses structures, la loi de 1939 est remplacée par celle du 25 octobre 1968 sur les prestations en faveur des personnes âgées, des veuves, des orphelins et des invalides, qui assure aux intéressés un complément de ressources supérieur à celui que prévoit la loi de 1965. Au 31 décembre 199o, le nombre de dossiers s'élevait à 13.217  dont 10.301 concernaient des vieillards et 2.695 des invalides. Le montant des prestations versées au cours de l'année a été de 89 millions de francs, qui s'ajoutent aux 118 millions de prestations fédérales, soit au total 207 millions de prestations complémentaires à l'AVS en 1990.
Quant à l'assurance-invalidité, elle a été introduite par la loi fédérale du 19 juillet 1959 et son financement est assuré, comme celui de l'AVS, par les cotisations versées par le canal des caisses de compensation. 

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L'assistance publique aujourd'hui

Le renforcement des assurances sociales n'a pas supprimé totalement l'indigence ni la nécessité pour l'Etat d'aider les "pauvres", mais un changement important est intervenu en 1975. Jusqu'alors les indigents étaient assistés par leur canton et leur commune d'origine, et un concordat intercantonal réglait le remboursement par le canton d'origine de l'aide accordée à des nécessiteux par leur canton de domicile. Le 7 décembre 1975, le peuple suisse et les cantons ont adopté une modification de la Constitution fédérale instituant l'assistance au lieu de domicile; il s'en est suivi à Genève une réorganisation complète de l'assistance publique, d'abord par une modification des articles 168 à 170 B de la Constitution cantonale, adoptée le 13 mars 1980, articles qui définissent l'assistance publique et les organismes publics ou privés qui en sont chargés, puis par la loi d'application du 19 septembre 1980, entrée en vigueur le 1er janvier 1981. Cette loi pose en principe que "la famille pourvoit à l'entretien de ses membres; à défaut, l'Etat, soit pour lui les organismes chargés de l'assistance publique, intervient de façon appropriée" (article 1).
L'action de l'Etat est donc subsidiaire à celle de la famille: lorsque les besoins matériels élémentaires d'une personne ne peuvent être satisfaits par les assurances sociales, c'est à la famille de s'occuper de celui de ses membres qui est tombé dans la misère et ce n'est qu'à défaut de cette aide familiale que l'Etat intervient.
L'assistance publique comporte deux secteurs distincts: l'assistance médicale, confiée au Service de contentieux et d'assistance médicale, et les autres formes d'assistance, confiées à l'Hospice général.
En 1990, les dépenses relatives à l'assistance médicale ont atteint 177 millions, dont 117 millions ont été remboursés sous différentes formes. Pour sa part, l'Hospice général a versé pour 52,5 millions de secours, sur lesquels 36,3 millions ont été remboursés à des titres divers. Ce sont dès lors 76,2 millions de francs qui ont été payés au titre de l'assistance publique à Genève en 1990.
L'action sociale de l'Hospice général ne se borne pas au versement de secours en espèces. Cette institution gère aussi des centres sociaux et médico-sociaux, des établissements de jeunes et de vieillards, et possède un service juridique. Elle publie, en collaboration avec la Société genevoise d'utilité publique, le guide La Clé, Genève social et pratique.
De surcroît, elle livre des repas à domicile, anime des clubs de loisirs, notamment dans des immeubles à encadrement [p. 240] médico-social réservés aux personnes âgées dont l'état physique l'exige: par là, l'Hospice général contribue puissamment à assurer une vie matérielle et morale décente à ceux qui ne peuvent, momentanément ou définitivement, faire face à leurs besoins, et s'efforce de rechercher avec eux les moyens de se réintégrer dans la société et de rétablir leur niveau de vie.
Le développement de l'Etat social et de la sécurité sociale n'ont pas supprimé la pauvreté. La création des principales institutions de prévoyance sociale, qui remonte à une période de haute conjoncture et à une phase d'expansion démographique, assure une sorte d'égalité par une redistribution des revenus. Le minimum vital, la santé, la sécurité pour "les vieux jours" ont cessé de dépendre de la grâce pour devenir un droit. Mais ce droit suppose l'adhésion à un certain ordre social. La pauvreté qui procède de marginalité n'a pas disparu. Ceux qui renoncent à s'adresser à l'Etat, souvent par méconnaissance de leurs droits légitimes, ou qui répugnent à tendre la main vers une institution privée, sont réduits à user de moyens plus ou moins honnêtes ou encore à s'endetter et à s'enfoncer encore plus dans la misère.
A ces soucis matériels viennent s'ajouter, le plus souvent chez les personnes âgées, des difficultés dues à l'isolement et à la crise du logement. Tout cela, joint à la disparition presque totale des vieilles traditions de voisinage et d'entraide, engendre des situations sociales dramatiques. Si cela n'était pas, comment connaîtrait-on ces cas de personnes décédées seules — peut-être dans la souffrance — découvertes chez elles après des jours, voire des semaines?
La diversité des institutions comme aussi l'alternative offerte par les organisations privées sont donc indispensables pour sauver au moins une partie de ces marginaux. 

J.T. et C. S.
haut
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Les fonctionnaires


Sans fonctionnaires, l'Etat ne fonctionne pas. C'est dire que dans une étude des institutions, les serviteurs de l'Etat doivent avoir leur juste place. D'innombrables écrivains, depuis deux siècles au moins, soit depuis la formation des administrations modernes, ont, dans divers pays, daubé sur la bureaucratie. Citons Balzac, Dickens, Gogol, Maupassant, Courteline, Aldous Huxley. Cela n'a jamais empêché quiconque de se précipiter pour poser sa candidature à quelque emploi officiel. Moqué, jalousé ou respecté, le fonctionnaire est l'un des piliers de l'Etat moderne. Certes, le phénomène bureaucratique est ancien, puisqu'on le rencontre aussi bien dans l'Egypte pharaonique que dans la Chine impériale, mais il a pris, à l'époque contemporaine, une ampleur particulière.
Dans une démocratie, deux bornes font obstacle au pouvoir sans frein de l'administration: la primauté de la loi et le budget. En effet, le contrôle démocratique est d'abord un contrôle budgétaire. L'impossibilité pour les représentants élus de modifier fondamentalement les grandes masses du budget de fonctionnement renforce le pouvoir de l'administration. Par ailleurs, le développement des tâches confiées à l'Etat accroît le rôle des administrations publiques ou parapubliques qui en viennent à contrôler des secteurs entiers de l'activité économique et sociale. 

Les serviteurs de l'ancienne République

En parcourant les livres de comptes tenus du XVIe au XVIIIe siècle à Genève, on n'aura qu'une idée partielle de l'administration de l'ancienne République, mais suffisante pour en dégager quelques traits qui la distinguent de celle d'aujourd'hui. Ce qui frappe dès l'abord, c'est le petit nombre de personnes qui reçoivent, d'une manière régulière, un traitement ou une indemnité sur la caisse publique. Ensuite, la modicité des sommes versées peut surprendre. De nombreuses tâches actuellement dévolues à l'Etat étaient laissées à l'initiative privée. De plus, beaucoup de gens exerçaient une fonction publique, à côté de leur profession, à temps partiel, si l'on peut dire. C'était notamment le cas de tous les magistrats, syndics, conseillers d'Etat, auditeurs, etc. On sait d'ailleurs que l'incompatibilité entre la charge de conseiller d'Etat et l'exercice d'une profession n'a été introduite qu'en 1961.
Enfin, plusieurs fonctions ou emplois officiels étaient purement et simplement accordés au plus offrant, car ils étaient "amodiés", c'est-à-dire donnés à ferme. Cette vénalité des charges a existé à Genève comme ailleurs en Europe durant plusieurs siècles. Deux domaines principaux étaient touchés par cet affermage: d'une part, la perception des impôts et redevances diverses, d'autre part, certaines fonctions touchant à l'administration de la justice. C'est ainsi que le prélèvement de la gabelle du vin et celui des dîmes (maintenues malgré l'adoption de la Réforme) étaient amodiés. De même, les "scribanies des banches", les "curialeries" — les greffes, pour user d'une terminologie contemporaine — étaient attribués au dernier enchérisseur. Les "amodiataires" de la Seigneurie exerçaient donc, à titre personnel, et à leur profit, des tâches [p. 242] publiques. Bien évidemment, ils ne figurent pas sur les listes de paie de l'ancienne République.
Quels sont donc les "salariés" de la Seigneurie? En 1563, on trouve, par exemple, une vingtaine de pasteurs, neuf de la ville, onze de la campagne, trois professeurs à l'Académie, huit régents, trois maîtres d'école dans les villages dépendant de la République, un chantre, mais également dix-sept guets et huissiers, ainsi que vingt et un "officiers et commis" qui exécutent des tâches aussi diverses que celles de bourreau, de trompette, de portier, de gardes des clochers, de charpentier, de serrurier, de fifre, de garde sur le poisson, de barbier de l'Hôpital ou de visiteur des morts. Quatre ans plus tard, on ne compte pas moins de quatre-vingt-trois personnes qui, à un titre ou à un autre, reçoivent un salaire de la Seigneurie, versé partiellement en nature. On sait que les ministres tenaient beaucoup à recevoir une partie de leur traitement en blé et en chars de vin. En période de cherté des vivres cette rémunération en nature assurait une sorte d'indexation des salaires au coût de la vie. On peut grouper ces quatre-vingt-trois personnes salariées en trois catégories:

  • a) ceux qui exercent des responsabilités gouvernementales, analogues aux magistrats d'aujourd'hui, généralement élus, soit treize personnes dans le dernier quartier de 1567 (la simple indemnité de conseiller n'étant pas prise en compte)
  • b) trente-six personnes affectées au service du culte et de l'instruction (pasteurs, professeurs, régents, chantres)
  • c) trente-quatre personnes chargées de tâches de surveillance et d'exécution (soit seize guets et dix-huit officiers et commis).
En avril 1798, peu avant la fin de l'ancienne République, ce chiffre a quasiment doublé puisqu'il s'élève à cent soixante-dix, mais la population a suivi la même évolution. On compte alors quarante-sept enseignants ou rattachés à l'Instruction publique, dont vingt-trois régents de la campagne, quatorze régents en ville, un huissier et un libraire du Collège. L'Eglise voit rémunérer [p. 243] quarante-quatre serviteurs, dont dix marguilliers, bedeaux et organistes et vingt-huit pasteurs, dont quatre suburbicaires et seize de la campagne. Les magistrats régulièrement rémunérés sont au nombre de vingt-huit. La séparation des pouvoirs, introduite sous l'influence de la Révolution, a conduit à développer les fonctions judiciaires. Il faut d'ailleurs y ajouter plusieurs fonctionnaires spécialement attachés aux nouveaux tribunaux ainsi créés, comme le secrétaire du comité des faillites, le secrétaire de la cour des appellations, etc. 

Fonctionnaires et employés

Le statut de la fonction publique, aujourd'hui, est pour le moins aussi varié que sous l'Ancien Régime. A côté des magistrats régulièrement élus et rémunérés pour leur activité (conseillers d'Etat, juges, procureur général) on trouve des fonctionnaires, des employés d'Etat, qui sans avoir rang de fonctionnaires, bénéficient de la garantie d'emploi, enfin des agents contractuels. Pour être complet, il faudrait également comprendre au nombre des serviteurs de la collectivité publique, les travailleurs d'organisations para-étatiques, nombreuses, et dont les salariés, n'étant ni fonctionnaires ni employés d'Etat, ne sont généralement pas comptés dans les statistiques officielles bien que leur salaire provienne essentiellement des subventions versées par l'Etat aux institutions qui les emploient. De même, une véritable comparaison avec le passé devrait englober l'administration communale, qui, à l'exception de la Ville de Genève, n'a connu une forte croissance qu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
En 1990, l'Etat de Genève comptait 15.707 postes de travail et demi et occupait 19.335 personnes (certaines travaillant à temps partiel), non compris les établissements hospitaliers, soit deux cents fois plus qu'en 1567. A taux équivalent, la population genevoise devrait compter aujourd'hui 3,5 millions d'habitants. Si la comparaison est invalidée par l'accroissement fantastique des tâches de l'Etat depuis le XVIe siècle, elle n'est pas totalement déplacée dans la mesure où elle fait toucher du doigt la prépondérance marquée du secteur public au XXe. Il faut noter qu'en 1989, les établissements hospitaliers comprenaient 8.282 postes de travail occupant 9.426 personnes.
A dire vrai, l'augmentation du nombre des fonctionnaires a surtout été sensible durant les années soixante et soixante-dix, soit durant les années de haute conjoncture. Elle suit donc étroitement l'évolution du budget de l'Etat, paraissant donner raison à ceux qui affirment que le développement tentaculaire de l'administration est davantage contrôlé par un budget serré que par la limitation des fonctions attribuées à l'Etat.
Si l'on ne prend pas en compte les établissements hospitaliers, l'Instruction publique occupe, à elle seule, plus de la moitié des postes, soit 9.109 1/2, suivi de Justice et Police, avec 2.856 3/4. A eux seuls, ces deux départements comprennent le 76% des fontionnaires et employés d'Etat proprement dits. Le tableau change, si [p. 244] l'on incorpore, comme il paraît normal, les établissements hospitaliers. La santé publique et la prévoyance sociale, avec 8.801 postes, forment le deuxième groupe en importance. Réunis, instruction, santé et prévoyance sociale occupent près du 80% des "fonctionnaires", donnant une image parlante du poids essentiel de l'administration; on ne saurait donc s'arrêter aux quelques dizaines de contractuels contrôlant le parcage des voitures.
En 1990, l'administration municipale de la Ville de Genève dépassait 3.000 employés, soit approximativement le nombre des fonctionnaires de l'Etat en 1939! Or, la population du Canton n'a fait que doubler entre 1939 et 1990.
Ces chiffres ne tiennent pas compte d'un phénomène commun à toutes les bureaucraties occidentales: si le nombre des fonctionnaires civils a considérablement crû au cours du XXe siècle, en revanche celui des militaires a fortement baissé. C'est vrai de tous les pays qui entretiennent une armée de métier et c'était vrai pour l'ancienne République de Genève qui, à la fin du XVIIIe siècle, entretenait une garnison importante, pour laquelle on avait bâti une immense caserne, à la rue des Granges, à côté de l'Hôtel de Ville. Il fallait rappeler l'existence de cette garnison soldée pour ne pas omettre un élément important dans l'appréciation du "poids" de l'Etat à travers les siècles. 

Variétés de fonctionnaires 

Comme autrefois, il existe la plus grande variété parmi les fonctionnaires genevois, du concierge au secrétaire général, de l'infirmière au professeur de médecine. Des professions pittoresques s'y trouvent représentées: taxidermiste (empailleur), contrôleur des émissions sonores de pots d'échappement, cinéaste pour la télévision du cycle d'orientation, chef du protocole (tâche importante dans une ville fréquentée par les grands de ce monde), etc. Une différence de taille cependant avec le monde des bureaux et des administrations de l'ancien temps: la forte présence féminine, notamment dans l'enseignement et le secrétariat. En investissant d'abord ces deux "créneaux", devenus de véritables bastions, les femmes sont peu à peu parvenues à occuper des postes dans l'ensemble de la hiérarchie administrative, l'une d'elles parvenant pour la première fois, en 1978, à celui de secrétaire générale d'un département, celui de l'Instruction publique.
Il faudrait pouvoir écrire une sociologie des fonctionnaires, soulignant les distinctions entre l'employé public et le travailleur privé. A l'un, salaire honnête et régulier, sans primes diverses, mais assorti d'une garantie de l'emploi, précieuse en temps de crise, interdiction de se mettre en grève, mais assurance de conditions de retraite bien plus favorables que dans le privé, à l'autre, davantage de risques économiques, une situation toujours précaire, mais souvent une souplesse supérieure, et une responsabilité personnelle. Entre secteur public et secteur privé, la frontière varie au gré des tâches que l'on confie à l'un ou à l'autre suivant les besoins ou les idéologies du moment. Dans le débat, sans cesse renouvelé entre [p. 245] nationalisation et privatisation de certains services, la mode et l'air du temps jouent souvent autant de rôle que les nécessités économiques. En ce sens, les qualités attendues du fonctionnaire ont pour but d'assurer la continuité des activités publiques, tandis que celles du travailleur privé sont axées sur la notion de rendement, qui seul autorise la poursuite d'une activité privée. Sans être antinomiques, l'impératif du rendement et l'obligation de continuité permettent de mieux comprendre les différences de mentalité entre employés des secteurs public et privé, malgré les similitudes. Et partout, les relations personnelles interviennent dans les nominations et les promotions. Faire de la politique peut être un avantage, mais aussi un sérieux handicap pour peu que la bonne couleur change. Mais la fonction publique est multiple, comme le sont les analyses possibles de celle-ci! 

Temps nouveaux, gestes nouveaux

La fonction publique aime à s'installer dans des bâtiments historiques, qui symbolisent sa puissance et sa force. Les signes les plus sensibles du mythe sont les bâtiments (qui peuvent aussi être modernes et somptueux) et les bureaux où moquette et mobilier marquent aussi sûrement le rang et l'importance que jadis le ruban et la perruque. Toutefois, peu à peu, le cadre dans lequel évolue l'employé d'Etat change. C'est ainsi que le guichet, véritables fourches caudines des temps modernes, a tendance à disparaître au profit de banques plus avenantes. De même, l'introduction de la machine à écrire, et plus encore, de la photocopieuse, a entraîné une véritable révolution dans l'empire du bureau. Plus de lente calligraphie à la plume d'oie. Même les plus prestigieux diplômes ne s'écrivent plus guère en belles rondes ou en superbes gothiques, aux jambages pleins et déliés. Plus de copistes passant leurs journées à recopier les actes importants. La machine à écrire s'est introduite, presque subrepticement à la fin du siècle dernier dans l'administration cantonale et elle disparaît aujourd'hui lentement, remplacée par le traitement de texte et les perfectionnements de la bureautique. Cacheter (à la cire), poinçonner, épingler, voilà des gestes qui disparaissent, au profit des machines à cacheter, à ouvrir le courrier. Surtout dans l'univers des bureaux, le téléphone est devenu irremplaçable et indispensable, alors que le premier appareil officiel fut établi entre la prison de Saint-Antoine et le Poste de police du Bourg-de-Four en 1880. Les vieux gestes d'autrefois, moucher les lampes, entretenir le poêle, gratter une ligne, tailler une plume sont remplacés par d'autres: frapper un clavier, pousser une "souris", tapoter les touches d'un téléphone. Les traditions se modifient, les gestes changent et pourtant l'esprit administratif, qui a son langage propre, véritable langue de bois parfois, demeure. Les qualités et les travers d'une société bureaucratique persistent malgré l'évolution des gestes, des pratiques et des effectifs. 

B. L.
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