L'artisanat et les arts appliqués

Marie-Thérèse Coullery / Jean de Senarclens

La céramique, l'orfèvrerie et l'étain

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La céramique

La céramique est l'art de façonner l'argile (en grec: keramos) et d'en fixer les formes par la cuisson. On distingue la poterie mate, poreuse; la faïence, d'origine babylonienne, qui est obtenue par la couverte d'un enduit opacifié; et la porcelaine et le grès, ou céramique dure, originaire de Chine.
De tout temps, on a fabriqué de la poterie à Genève. Les fouilles subaquatiques effectuées sur le site d'un village lacustre, à Corsier, ont mis au jour des objets de terre cuite datant du néolithique moyen. Et si les tessons d'époque gallo-romaine recensés par Daniel Paunier proviennent tous d'ateliers lointains, on a découvert, sous l'actuelle rue du Cloître, les restes d'un atelier de potier avec son four et ses locaux annexes.
Sous l'Ancien Régime, les potiers se nommaient terrassiers, d'où le nom de la rue de la Terrassière et du chemin des Terrassiers qui, en 1894, a été nommé avenue de Lancy, puis, en 1916, avenue Henry-Dunant. Ils fabriquaient des objets d'usage courant, sans décor et sans couverte, de la poterie mate.
Au XVIIIe siècle, on signale aux Pâquis la présence de terrassiers ou potiers de terre du nom de Küntzi, originaires de Cerlier, dans le canton de Berne, "maîtres faiseurs de fourneaux de catelles". La poterie semble s'être maintenue aux Pâquis pendant tout le XIXe siècle, sous différents noms, de même qu'à la rue de la Poterie, dans le quartier de la Servette.
Au XVIIIe siècle, on note quelques timides essais de fabrication de faïence, mais Genève n'a jamais abrité de manufacture de porcelaine, exception faite de l'atelier de Jean-Pierre Mulhauser, et n'a jamais été un centre de céramique comparable à Zurich, Lenzbourg ou Nyon.


La faïencerie Blavignac

Issu d'une famille de réfugiés huguenots originaires de Nîmes, Honoré II Blavignac, baptisé le 6 avril 1705, fait son apprentissage de potier chez Jean Py, maître terrassier à Plainpalais, puis succède à son beau-père, Jean Faure, qui avait fondé, en 1708, la première poterie de Plainpalais. Il introduit la fabrication de faïence que continue, après sa mort en 1744, sa veuve Marie Arnaud. Mais c'est surtout son fils, Antoine Blavignac (1740-1809), qui développe la manufacture et en améliore les procédés. Elle connaît son heure de gloire entre 1765 et 1790, produisant de la vaisselle, des [p. 163] catelles de poêles et de grandes pièces pour la décoration des jardins, et même des boîtes en émail, tabatières, étuis de montres, cassettes à bijoux. Mais, dès le début du XIXe siècle, la maison périclite et disparaît en 1842. Elle est d'ailleurs mal connue et mériterait une recherche approfondie.
La faïence a connu, à Genève, son âge d'or dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle; elle a été supplantée, par la suite, par la terre de pipe et la porcelaine, fabriquées à Nyon.

Les faïenciers de Carouge

Si Genève ne peut s'enorgueillir d'un passé prestigieux dans la fabrication de céramique, en revanche, Carouge a laissé un nom, modeste sans doute, mais reconnu par les spécialistes comme celui d'une manufacture de qualité.
C'est un officier français de l'armée d'occupation cantonné à Carouge, Louis Herpin, commissaire des guerres, qui décide, en 1803, de créer une fabrique de faïence et fait appel, pour la diriger, à Jean-Abram Baylon, fils de la propriétaire de la manufacture de porcelaine de Nyon. Il compte, pour écouler ses produits, sur le voisinage de Genève et sur les obstacles que mettent les guerres napoléoniennes à la circulation des marchandises, surtout lorsqu'elles sont fragiles.
Jean-Abram Baylon est remplacé à la direction de la fabrique Herpin par Jacob Dortu et ses fils jusqu'à sa fermeture en 1820. Entre-temps, Jean-Abram Baylon a créé sa propre faïencerie à la rue Caroline (aujourd'hui 46 bis, rue Jacques-Dalphin), qui devient la société par actions Baylon & Cie. Antoine-Louis Baylon succède à son père Jean-Abram, puis la faïencerie est exploitée sous différents noms jusqu'en 1933.
Les faïences de Carouge ne se distinguent pas par un style particulier: en 130 ans, elles ont évolué au gré des modes et des artistes.
La première période, qui va de 1803 à 1879, durant laquelle la faïencerie est dirigée par Jacob Dortu et la famille Baylon, est caractérisée par des plats, des assiettes, des vases et divers objets au décor peint en camaïeu ou en couleurs vives, ou encore imprimés en brun ou en grisaille.
La deuxième période (1880-1897) est celle d'Honoré Picolas, Charles Degrange et André Defer. Elle bénéficie de la collaboration d'artistes originaux comme J. Merminod, qui modèle des bouquets de fleurs peints de couleurs vives, et surtout Jules Cherelle, connu pour ses panneaux artistiques composés de faïences et représentant des paysages ou des compositions florales, dans le style "Art nouveau". [p. 164: image / p. 165]
Enfin, durant la troisième période (1897-1933), celle de Clément et Louis Coppier, puis de Robert Knecht, Jules Cherelle poursuit son activité jusqu'à sa mort, en 1916, puis la fabrique concentre sa production avant tout sur des assiettes commémoratives.

Décorateurs sur porcelaine

Genève s'est illustrée, au début du XIXe siècle, par de charmants tableaux peints sur porcelaine, dus au talent de Jean-Pierre Mulhauser (1799-1839).
Il était le fils de Jean-Adam Mulhauser qui, après avoir géré un dépôt de porcelaine de Nyon, avait créé, avec Ferdinand Müller, une fabrique de porcelaine aux Pâquis, dans les locaux d'une fabrique d'indiennes. Müller, aux prises avec de graves difficultés financières, disparaît au bout d'un an. Or, comme il est le seul à connaître les secrets de fabrication, la poterie doit être liquidée avant même d'avoir produit quoi que ce soit. Mais tout n'est pas perdu: Jean-Pierre Mulhauser récupère l'outillage et des pièces de porcelaine de Nyon "en blanc".
En 1805, Jean-Pierre Mulhauser loue des locaux appartenant à la Société des Arts et à la Société économique, au Calabri et au Manège, et y fonde une manufacture de porcelaine. Miniaturiste de grand talent, il peint des paysages en camaïeu sur des pièces de porcelaine provenant de Nyon et de France, et crée ces admirables décors intitulés "Vieux-Genève". Sa carrière genevoise se termine en 1818, date de son départ pour Nyon, où il demeure sept ans avant de se rendre à Migette (Doubs), puis à Carouge, où il enseigne la calligraphie.

L'époque actuelle

Après une longue éclipse, la céramique d'art a connu un regain d'intérêt à Genève, d'abord grâce à Paul Bonifas qui, dans son atelier de Versoix, de 1915 à 1919, puis à Ferney-Voltaire, de 1922 à 1940, a été un découvreur et un rénovateur des arts du feu.
Mais c'est à partir des années cinquante que l'on assiste, à Genève, à un véritable renouveau de l'art de la céramique. On le doit au dynamisme de deux personnalités: la conservatrice du Musée de l'Ariana, Marie-Thérèse Coullery, et surtout le professeur et céramiste Philippe Lambercy qui, de 1952 à 1979, a enseigné à l'Ecole des arts décoratifs, dont il a fait un centre de formation mondialement connu. La céramique n'est plus un art purement utilitaire, mais une [p. 166] forme d'expression qui, à l'égal de la sculpture, est avant tout recherche de beauté et expression d'une sensibilité.
L'école des arts décoratifs de Genève a formé plus de 200 artistes et artisans qui remportent des prix dans les biennales de céramique. Les élèves sont devenus professeurs et créateurs. Le Centre genevois de l'artisanat leur fournit une vitrine et un professeur japonais, Setsuko Nagasawa, forme de nouvelles générations de céramistes.
En Haute-Savoie toute proche, on trouve deux potiers d'art qui "méritent le détour". Jean Guyot, à Marnaz, est le dernier d'une famille qui, pendant sept générations, a tourné des pièces aux couleurs vives ornées du fameux oiseau de Marnaz. Et Jean-Christophe Hermann, à Evires, qui non seulement fabrique de la poterie dans la plus pure tradition des motifs et des couleurs de la région, dans un four à bois, mais a installé dans sa vieille ferme un Musée de la poterie traditionnelle.

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L'orfèvrerie

On traite habituellement de l'orfèvrerie en même temps que de l'horlogerie et de la bijouterie, peut-être parce que cette profession faisait partie, dès le XVIe siècle, de la "Fabrique" et parce que les orfèvres étaient experts dans le travail de l'or, de l'argent, des pierres précieuses et des émaux. Si l'on a pris le parti, ici, de réunir la céramique, l'orfèvrerie et l'étain, c'est que les orfèvres genevois ont surtout fabriqué de la vaisselle d'argent, parfois dorée, et que leur production s'apparente par conséquent, par sa destination, aux arts du feu et à la poterie d'étain.
L'orfèvrerie occupe une place importante dans l'artisanat genevois, à telle enseigne que l'actuelle rue de la Croix d'Or s'appelait, jusqu'en 1860, rue des Orfèvres. Les premiers orfèvres mentionnés à Genève sont Jocerin et Perret de Nyon, en 1290, mais c'est à partir du XVe siècle que l'on possède des renseignements précis sur les artistes et sur certains de leurs travaux.
La réputation des orfèvres genevois était telle au XVe siècle et au début du XVIe que la cour de Savoie leur passait commande des pièces les plus importantes de son argenterie. Certains d'entre eux portaient même le titre d'orfèvre ducal. Et en 1593, le cardinal de Retz faisait fabriquer à Genève sa vaisselle d'argent.
Pierre-François de Vevey recense, dans son "Manuel des orfèvres de Suisse romande", plus de mille orfèvres genevois entre le XIIIe et le XIXe siècle. Il s'agit principalement de fabricants d'argenterie, mais pas uniquement. On trouve aussi quelques bijoutiers, joailliers, fabricants de boîtes et d'émaux, lapidaires, diamantaires et même des marchands. L'auteur a inventorié 40 orfèvres au XVe, 74 au XVIe, 372 au XVIIe, 544 au XVIIIe et 21 au XIXe siècle. Cette répartition dans le temps, pour approximative qu'elle soit, montre à l'évidence que l'orfèvrerie genevoise a connu sa plus grande extension et sa plus grande prospérité aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour disparaître, peu à peu, au cours du XIXe siècle. Mais cette prospérité est bien antérieure: en 1477, le registre d'estimation des biens dressé pour satisfaire aux exigences de Berne (voir le tome IV de cette Encyclopédie, page 16) mentionne douze orfèvres (aurifaber), dont deux seulement sont domiciliés dans la paroisse de Saint-Gervais, les autres dans celle de Sainte-Marie-Madeleine, la plus riche de la ville. Sept d'entre eux possèdent des immeubles et celui de Bertolette, fille de Pernet Grivet, est estimé à 1.200 florins, alors que la maison Tavel, plus grande qu'aujourd'hui, n'atteignait que 500 florins. [p. 168]
Certaines familles ont donné de nombreux orfèvres à la République: les Binet, les Dominicé, les Dunant, les Foêx, et surtout les Mussard qui, depuis Simon I (1554-1616) jusqu'à Marc (1758-1833) ont été quarante à pratiquer ce métier. Les frères Bordier avaient des succursales à Lyon, à Paris et dans d'autres villes aux XVIIe et XVIIIe siècles.
De bonne heure, la profession s'organise: en 1424, le 24 octobre, l'évêque Jean de Brogny, après avoir consulté les huit maîtres-orfèvres de la ville, édicte un règlement fixant le titre et le poinçonnement de l'argent en lingots et des objets d'orfèvrerie (gobelets, cuillers et autre ouvrages). On adopte à Genève le titre de Paris, celui du fameux "argent le Roi" de saint Louis, soit 958 millièmes. C'est le titre le plus élevé auquel on ait jamais fabriqué de l'argenterie. Les orfèvres genevois savent que leur réputation dépend autant de la pureté du métal que de la qualité du travail. Un contrôle est assuré par deux maîtres-orfèvres, nommés pour un an, qui attestent le titre par l'apposition d'un poinçon.
Ce contrôle se maintient durant tout l'Ancien Régime, confirmé dans le règlement de maîtrise des orfèvres de 1566. Mais au XVIIIe siècle, les maîtres jurés sont nommés pour trois ans et le titre n'est plus de 958/1000e, mais de 916/1000e (ou XI deniers: premier titre), 833/1000e (ou X deniers: deuxième titre) ou 750/1000e (ou IX deniers: troisième titre). Seules les pièces au premier titre reçoivent le poinçon d'un maître juré, celles du deuxième titre reçoivent le poinçon d'un autre maître et celles au troisième titre ne reçoivent que le poinçon du maître fabricant.
Les pièces d'argenterie fabriquées par les orfèvres genevois se distinguent par leur simplicité. Fortement influencés par la France — les orfèvres du XVIe siècle sont presque tous des huguenots du premier Refuge, et d'autre part le marché français représente un important débouché pour la "Fabrique" genevoise — les artisans genevois sont tenus, par les ordonnances somptuaires, à la plus grande sobriété. De plus, l'orfèvrerie d'église leur est interdite. 

Les potiers d'étain genevois

L'étain, matière essentiellement malléable, est utilisé dès la plus haute antiquité pour couler des assiettes, des plats et d'autres ustensiles de ménage ou d'église. On en trouve dans tous les cantons, qui diffèrent par leur forme et leur facture, et que l'on reconnaît par leurs poinçons. A Genève, l'existence de potiers d'étain est attestée dès le XVe siècle, mais c'est au XVIe que leur industrie connaît son [p. 169] plus fort développement. Ce sont surtout les prix offerts par la Seigneurie, jusqu'au XVIIIe siècle, pour récompenser les rois du tir à l'arc, à l'arbalète, à l'arquebuse, au mousquet, etc. qui nous sont parvenus. Le métier se transmet de père en fils, si bien que ce sont de véritables dynasties de potiers que l'on peut recenser: six générations de Charton, de 1572 à 1802, quatre générations de Royaume aux XVIe et XVIIe siècles, trois générations de Bourrelier (XVIIe - XVIIIe siècles), de Delafontaine, de Morel, enfin de Lacombe, derniers artisans-potiers, qui disparaissent à la fin du XIXe siècle.
Les étains genevois sont connus pour leur faible teneur en plomb et pour leurs formes élégantes, souvent inspirées d'artistes français.
La profession de potier d'étain a été l'une des premières à s'organiser: en 1537, sur plainte des artisans eux-mêmes, le Conseil délègue deux potiers pour surveiller le titre du métal et en 1556, ce sont encore les potiers qui réclament un règlement fixant le titre de l'étain. 

Perspectives d'avenir

Voilà trois métiers qui ont contribué à la réputation de l'artisanat genevois. L'un d'eux, la céramique, connaît depuis les années cinquante un regain d'intérêt auprès des jeunes, tandis que l'orfèvrerie s'est cantonnée dans la fabrication de bijoux et que la poterie d'étain est tombée dans l'oubli. Souhaitons que les efforts entrepris depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour revitaliser l'artisanat genevois se traduisent, dans ces deux domaines aussi, par le retour à une tradition de goût et de qualité. 

J. de S.
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L'industrie genevoise des boîtes à musique

Genève capitale mondiale de la boîte à musique? A qui fera-t-on croire pareille vantardise? Et pourtant, tel fut bien le cas au XIXe siècle. L'idée en fut lancée en 1796, par Antoine Favre, horloger genevois qui trouva le moyen de fixer des aiguilles sur un cylindre et de faire actionner ces aiguilles par les dents d'un peigne métallique. Ce n'est que douze ans plus tard que cette trouvaille fut exploitée industriellement et que la fabrication de boîtes à musique se développa, en partie grâce aux difficultés de l'horlogerie, asphyxiée par le blocus continental.
La boîte à musique est une des branches de la "Fabrique". Il s'agit d'une véritable industrie, car la fabrication des différentes pièces requiert des talents particuliers: elle est répartie entre des ouvriers et même des ateliers différents. Comme pour l'horlogerie, on distingue des manufactures qui réalisent ou sous-traitent l'ensemble des opérations, de la matière brute à la vente du produit fini, et des établisseurs qui fabriquent des pièces détachées et les vendent aux manufactures.
En 1817, cette industrie occupe trois cents ouvriers, concentrés dans le quartier de Saint-Gervais. Après la démolition des fortifications, dans les années 1850, la place des Alpes devient le centre de la fabrication et de la vente des boîtes à musique et des oiseaux chanteurs, les ateliers d'usinage se trouvant pour la plupart dans la vallée de Joux. On compte une demi-douzaine d'entreprises d'envergure: Brémond, Lecoultre, Nicole Frères, Langdorff, Greiner, etc., mais dès ce moment, Sainte-Croix prend l'avantage sur Genève, où l'industrie de la boîte à musique disparaît dès l'apparition du phonographe, au tournant du siècle.

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Le Centre genevois de l'artisanat


La création du Centre genevois de l'artisanat s'inscrit dans un mouvement commencé avant la Deuxième Guerre mondiale, qui prit corps après celle-ci pour des raisons nombreuses et complexes. La production de l'ère industrielle, sériée par la machine, a assuré la création d'objets quotidiens couvrant les besoins des populations développées.
La production artisanale ne peut plus répondre à cette demande. Mais elle propose une autre approche de l'objet où les matières et la main restent présentes dans l'expression de l'intelligence créatrice de l'artisan.
L'évolution des mentalités dans le travail entraîne la fermeture des petites manufactures et l'ouverture d'ateliers individuels, où l'artisan, qui se veut créateur, tient à s'exprimer à travers ses oeuvres. Les débouchés deviennent alors difficiles, quelques ateliers se constituent en boutiques de vente directe. Des intermédiaires interviennent, comme l'organisation du Schweizer Heimatwerk en Suisse alémanique.

Une grande variété d'artisans-créateurs

En octobre 1967, sous l'impulsion du tisserand René Babel, une tisserande, deux céramistes, un bijoutier, ainsi qu'un juriste, un architecte, un imprimeur et un économiste définissent, par des statuts, une association régie par le Code civil suisse et inscrite au Registre du commerce, le Centre genevois de l'artisanat, association sans but lucratif, mais poursuivant des activités commerciales. L'originalité de la démarche des fondateurs du CGA réside dans la gestion coopérative des fonctions du centre et l'esprit démocratique qui préside à toute décision.
Vingt ans après sa formation, le CGA comprend trente-neuf membres et quatorze artisans invités à exposer de façon permanente, travaillant la terre, le bois, le fil, le métal, le verre et le cuir. Il se vouent à la création et à la réalisation d'objets principalement à vocation utilitaire, pièces uniques ou multipliées, à un très petit nombre d'exemplaires, en dehors de tout mode de reproduction industrielle.
En 1989, parmi les membres du groupe, seuls quelques-uns tirent tout leur revenu de leur métier (nous entendons par là un gain correct pour certains et un gain de survie extrêmement modeste pour d'autres), d'autres enseignent leur métier pour compléter le revenu tiré de l'activité artisanale (écoles d'art, ateliers de rééducation, leçons diverses).

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Une structure démocratique

D'organisation démocratique, le CGA fonctionne avec une assemblée des membres qui élit le président, le comité et le jury. La qualité de membre est réservée aux artisans habitant sur le territoire de la République et Canton de Genève, bien qu'il devienne de plus en plus difficile de trouver des logements et des ateliers à des prix abordables sur le territoire genevois.
L'assemblée sanctionne l'orientation des activités du Centre et décide de l'acceptation ou du refus d'un nouveau membre sur préavis du jury. Ce jury est chargé d'examiner les pièces que les candidats présentent, accompagnées d'un curriculum vitae concernant surtout la pratique artisanale. Les candidats admis sont invités pour une année, à la fin de laquelle l'assemblée générale des membres du CGA décide, en dernier recours, de son acceptation comme membre ou de la prolongation de son statut d'invité pour une année supplémentaire, ou encore de son refus.
Le but du CGA est avant tout d'aider les artisans à se perfectionner, à améliorer la qualité de leurs créations et à accéder à un niveau professionnel toujours plus élevé. Pour cela, le Centre recommande la confrontation des différentes productions, les relations personnelles et les échanges dans les [p. 175] différents groupes de métiers et nomme le jury, choisi parmi ses membres, dont le rôle est avant tout de promouvoir cette qualité plus que de sanctionner les insuffisances. L'association couvre ses dépenses, notamment par les cotisations (modiques) de ses membres et des amis du Centre, par les pourcentages pris sur les ventes, par les subventions des autorités et des dons éventuels.
Le CGA vise à faire connaître l'artisanat local, suisse et régional, et à susciter l'intérêt de la population pour sa production. Il a établi des points de vente fixes, organisé plusieurs expositions et participé à de nombreuses autres. Dès sa fondation, l'une des préoccupations principales du CGA a été de disposer d'un lieu d'exposition et de vente pour assurer l'écoulement de la production de ses membres. Une première boutique s'ouvre en 1968, à la Fusterie, puis à la rue Cornavin et enfin, à partir de 1979, à l'avenue du Mail, où l'on envisage d'installer, en 1989, un local d'exposition destiné à remplacer la galerie de la Grand-Rue, qu'il a fallu quitter en 1987. 

Diffuser et vendre la production

La gestion commerciale est assurée par les artisans eux-mêmes, qui prennent en charge l'écoulement de leurs produits et définissent les orientations du Centre. Ils proposent des objets beaux et utiles, parallèlement à des produits d'expression personnelle.
Il paraît indispensable que le créateur participe à la gestion. Il peut ainsi prendre conscience de certaines réalités économiques sans aliéner la liberté de ses recherches. La position de l'artisan reste de plus en plus difficile. S'il veut se différencier d'une production industrielle, il se doit d'être créateur; s'il veut assurer son existence matérielle, il doit accepter un marché dont les normes sont régies par la consommation courante. Le centre permet, entre les pôles "productivité-créativité", le développement des individualités, qui rendent ce groupe vivant et différencié. Dès les premières années d'existence du groupe, les artisans ont ressenti, de façon aiguë, le besoin d'un lieu privilégié pour présenter leurs meilleurs travaux. Seuls ou en collectifs, ils ont eu la possibilité de montrer leurs recherches autour d'un matériau ("Fils" — "Cuir" — "Terre"), d'une technique comme la "Terre enfumée", d'un thème, ainsi "Bestiaire", "Rouge", "Zig, zag, zoug". Des créateurs suisses et étrangers y ont présenté également leurs travaux en céramique, verre, émaux et vannerie.

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Des expositions

Au-delà des nécessités de la vente, le CGA est un lieu de rencontre, d'échanges et d'émulation favorisant le développement d'un artisanat créateur de qualité. La galerie favorise ces rencontres et ces échanges, conduisant à créer des objets en commun, mêlant ainsi matériau et technique (chopes à bière, bijoux, verre et plastique...). La galerie du CGA a organisé 67 expositions. De telles activités ne sont possibles qu'avec des aides extérieures et un très grand bénévolat de la part de ses membres. Aussitôt créé, le CGA a tenu à se présenter collectivement à l'extérieur de ses locaux.
Il a participé régulièrement à diverses manifestations où l'artisanat était présent: Salon des Arts ménagers, Artisanat romand à Couvet, Fête de l'artisanat à Puplinge, boutique du Heimatwerk à Zurich, à Steinam-Rhein, Arte Casa à Lugano, Office pour la promotion de l'industrie genevoise à Londres. Il a organisé des expositions à Château-d'Oex, avec la collaboration de l'Union vaudoise des Chambres de Métiers à Servion, et rassemblé dans un grand centre commercial, par deux fois, 60 participants à un "Artisanat de Suisse romande". Il a aussi présenté ses créations dans les communes genevoises et aux Halles de l'Ile en 1982. Ces activités participent du souci qu'a le CGA de faire mieux connaître l'artisanat de haut niveau et de transmettre ainsi une certaine qualité de vie. Cette recherche lui a valu le label de l'Oeuvre (OEV) en 1978. 

Des projets d'avenir

L'aide de la Ville, de l'Etat, de la Confédération et des amis non-artisans, aide financière pour des actions précises, appuis dans certaines démarches, conseils judicieux, sont des apports sans lesquels la plupart des réalisations du CGA n'auraient pu se faire. Toutefois, certains points des statuts n'ont pas encore pu être atteints. Ainsi les études pour la création d'une Maison de l'artisanat avec ateliers, qui occupèrent beaucoup les fondateurs, n'ont pas abouti, faute de moyens financiers et de personnes susceptibles de se lancer dans de telles tâches, de manière bénévole.
Le CGA a été et reste une aventure, non seulement sur le plan commercial, mais aussi sur le plan humain. L'aspect le plus important, mais aussi le plus difficile à exprimer, est le rassemblement d'artisans dans le respect de la personnalité de chacun, mais où le bien commun demeure prioritaire. Cela suppose un continuel réajustement des situations vécues au jour le jour, qui fait la richesse et la difficulté de l'entreprise.

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Une nouvelle association
L'association genevoise pour la sauvegarde de l'artisanat d'art (AGSAA), fondée en 1988, s'attache à présenter les pratiques des métiers d'art. Son créateur et président Walter Probst, restaurateur d'ébénisterie, a lancé l'idée d'un conservatoire académique des techniques anciennes.
Le ferronier, le marbrier, l'ébéniste, le tapissier, le spécialiste du vitrail, le relieur, le luthier, le sellier, l'âtrier doivent être soutenus dans leur formation professionnelle pour en assurer la relève et servir ainsi à la sauvegarde de notre patrimoine architectural et artistique.

M.-T. C.
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