Le cadre naturel

Gad Amberger / Paul Guichonnet / Pierre Hainard / Eric Matthey
Charles-A. Vaucher / Jean Wüest



Les paysages

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Dans le cercle des montagnes qui forment, autour d'elle, une enceinte presque continue, la cuvette genevoise est, au sens géographique du terme, un "pays", une portion d'espace chargée d'une forte identité physique.
Ses paysages s'ordonnent autour de trois grands termes: les montagnes du pourtour; la dépression interne avec ses plaines et ses collines; le lac.

Des sorties difficiles

Le territoire cantonal, très exigu (184 km2), est en outre très difficile d'accès. L'obstacle l'emporte sur le passage et la vie de la cité a été longtemps - et demeure encore - pénalisée par le manque de dégagements commodes vers les espaces environnants. Les sorties du bassin sont en effet passablement compliquées, à l'exception de l'étroit couloir qui, entre le Léman et le Pays de Gex, relie le Canton au moyen-pays du "Plateau suisse". Au nord-est, le Bas-Chablais est fermé par la nappe du lac, qu'il faut longer, par voie de terre, jusqu'aux confins du Valais et du Pays de Vaud; à l'est, la vallée de l'Arve, avec laquelle Genève a entretenu des relations intenses et précoces, n'en est pas moins demeurée un cul de sac jusqu'au percement du tunnel routier sous le Mont-Blanc, en 1965; au midi, on ne gagne Annecy et l'avant-pays savoyard qu'au prix du double franchissement du Mont-de-Sion, à 818 mètres, et du canyon des Usses, sur lequel le pont suspendu de La Caille ne sera jeté qu'en 1838; au couchant, enfin, du côté de la France, on ne s'évade que par la gorge du Fort-l'Ecluse, sciant les plis jurassiens en un passage resserré où le Rhône dispute l'issue à la route, à l'autoroute et au rail.
Si bien que l'on a pu dire que la voie des airs est le moyen le plus aisé pour gagner Genève ou pour en partir!
Les bornes contraignantes imposées par le relief ont inspiré aux Genevois le désir de dépasser les limites physiques de leur République et les ont poussés à l'expansion territoriale, souvent contrariée par l'histoire; cette tendance demeure, depuis la Réforme, une constante politique de la cité. Les inconvénients de l'enclavement physique seront relativement supportables pendant l'époque pré-industrielle. Ils ne deviendront un handicap qu'à l'ère du rail, puis de l'automobile. Un second impératif sera donc la recherche obstinée, mais avec des résultats souvent décevants, des accès routiers, puis ferroviaires et autoroutiers.

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Des montagnes variées

Le pourtour de la cuvette ne présente pas un front montagneux continu, mais il se divise en plusieurs éléments, différents par leur structure et leurs aspects.
Le rempart du jura, redoublé vers l'ouest par des faisceaux serrés de plis est, de loin, la barrière la plus difficile et la plus séparante. Du Grand Crêt d'Eau à la Dôle, en passant par le Reculet, le Crêt de la Neige et le Colombier de Gex, sa crête, sur une cinquantaine de kilomètres, ne descend guère au-dessous de 1.600 mètres et elle n'est ébrechée que par le Col de la Faucille, à 1.520 metres d'altitude.
Au-delà du Rhône, le système jurassien se prolonge par l'échine du Vuache, qui culmine à 1.101 mètres, tandis que le pli complexe du Salève (1.575 mètres au Grand Piton) raccorde le jura aux Préalpes. Celles-ci constituent davantage, pour Genève, une toile de fond qu'un verrou. Les montagnes des Bornes, entre l'Arve et le lac d'Annecy, précédées par le glacis d'un vaste plateau fluvio-glaciaire, sont déjà lointaines, tout comme le Môle, sommet cher aux Genevois, car il est, sur tous les panoramas, l'avant-scène du Mont-Blanc. C'est seulement la lourde masse des Voirons (1.480 mètres), élément avancé des Préalpes charriées du Chablais, qui ferme au levant le pays de Genève.
La cité n'a pas tiré de cet encadrement montagneux des avantages capables de compenser, au moins partiellement, le handicap physique qu'il imposait à son territoire. Les chaines les plus proches n'ont guère attiré les hommes, si l'on excepte le premier peuplement préhistorique au pied des escarpements du Salève. Les futaies du Jura et les taillis du Vuache ont pourvu la ville de bois d'oeuvre et de chauffage; les Préalpes savoyardes, plus intensément exploitées, l'ont ravitaillée de la viande, du cuir et des produits laitiers de leurs troupeaux. Mais on ne recense, dans cet environnement montagnard, rien qui ait été d'une importance économique considérable.

Primauté du Salève

Dans ce cortège de sommets, le Salève joue un rôle à part: si l'on excepte le versant sud-ouest des Voirons où les habitants de la cité ont multiplié leurs résidences secondaires, il est, par excellence, la montagne des Genevois. Les vicissitudes de l'histoire n`ont pas permis que le Salève fût rattaché au territoire helvétique, mais il fait bien partie [p. 9] intégrante du paysage et du patrimoine culturel de la République. La raison de cette prédilection est la proximité immédiate. Le flanc occidental du chainon domine directement la frontiere franco-suisse, dont il n'est séparé, d'Etrembières à Collonges, que par un talus raide et par la route et l'autoroute d'Annemasse à Saint-Julien. Peu de motifs ont été si souvent représentés, dans la peinture et la gravure, que le Salève vu de Genève. Il frappe par son versant abrupt, battu par les pluies et épluché par l'érosion qui a dégagé les longues stries zébrant la montagne et soulignant la structure interne des couches.

Un terrain de jeu et d'observation

Si I'on excepte les menus gîtes de minerai de fer, fondu par les Celtes allobroges avec le bois des forêts, les carrières et quelques alpages, il faut bien convenir que ce n'est pas la valeur économique qui attire les Genevois vers cette montagne, où ils détiennent une vaste emprise foncière. La sécheresse des roches perméables, la rareté des sources ont interdit la colonisation du Salève par l'habitat touristique permanent; il n'est, pour les proches citadins, qu'un belvédère et un terrain de jeux sportifs. Nulle montagne n'a été peut~être plus précocement explorée, décrite et célébrée que le Salève. Géologues et naturalistes, botanistes et préhistoriens en ont fait le lieu de leurs recherches et le banc d'essai de leurs théories. Au long de ses sentiers et de ses parois, dans les ténèbres de ses grottes, il a été, pour les Genevois, le domaine d'élection où ils ont assouvi leur amour de la nature. Le Salève a été l'antichambre du fascinant monde alpin, le temple initiatique des vocations de grimpeurs, exercés à la "varappe" dans ses falaises. Plus d'un alpiniste a fait là ses premières classes, comme Horace-Bénédict de Saussure, nourrissant pour les montagnes, "dès l'enfance, la passion la plus décidée" et qui écrit, dans la préface de ses célèbres Voyages dans les Alpes: "je me rappelle encore le saisissement que j'éprouvai la première fois que mes mains touchèrent le rocher du Salève et que mes yeux jouirent de ses points de vue."

Plaines et collines du bassin genevois

La cuvette genevoise n'est pas une plaine uniforme mais, tout au contraire, elle montre une mosaïque de formes très variées, juxtaposant les aspects et les contrastes, souvent [p. 10] inattendus. Les traits de ce "pays coupé", typique de la périphérie alpine, sont le résultat d'influences multiples.
Le paysage genevois, finement ciselé, combine harmonieusement collines, plaines, vallées et rivages lacustres.
Les collines de Pregny, Satigny-Choully et Lancy-Bernex-Laconnex accidentent le paysage de leur micro-relief. Hors des frontières genevoises on a, dans le Pays de Gex, le Mont-Mourex (755 m), avant-garde du Jura surplombant la station de Divonne et, en Savoie, les buttes du Mont-de-Boisy (720-735 m) au nord des Voirons, ainsi que, très visible de Genève, la butte de Monthoux (580 m) au-dessus d'Annemasse.
A l'intérieur du Canton, les collines dessinent une série d'élévations, séparées par des dépressions qui ont longtemps abrité des marais, et par des plaines alluviales. Sur la rive droite du Rhône, on observe les axes Challex-Dardagny (528-538 m), Choully-Peissy (490-508 m), Prévessin-Ornex (471-474 m), Pregny-Chambésy (466-451 m); sur la rive gauche, la longue échine du coteau de Cologny (506 m) et de Jussy (513 m à Monniaz).
Le rôle des collines, couronnées de villages, a été fondamental pour la mise en valeur du terroir. Bien que d'altitude modeste, elles échappaient aux gelées, à l'humidité et au brouillard des fonds. Leurs pentes, aux sols de cailloutis et d'argiles glaciaires mêlés de molasse, qui reçoivent et conservent bien la chaleur, ont été le lieu d'élection de la vigne, ce qui vaut à Genève d'être, après le Valais et Vaud, le troisième canton viticole de la Suisse pour les superficies plantées.
Les alluvions de l'Arve ont construit la plaine de Carouge-Lancy-La Praille-Plainpalais (de paludetum, la "plaine marécageuse"). L'unité la plus vaste, la plus nettement délimitée et la plus caractéristique est la Champagne (campania: terroir de plaine), qui occupe l'angle sud-ouest du Canton. Agrandie par les cessions territoriales de 1815 et 1816 de la France et de la Sardaigne, elle s'étend sur les communes de Chancy, Cartigny, Avully, Avusy, Aire-la-Ville, Soral et leurs annexes (La Petite-Grave, Epeisses, Athenaz, Sézegnin, Passeiry, Champlong), soit 25 km2 ou dix pour cent du sol genevois. Presque parfaitement plate, la Champagne contraste fortement avec les coteaux qui la dominent et avec la muraille du Jura qui en ferme l'horizon. C'est un ensemble de terrasses emboîtées composé d'une couche inférieure d'argile de fond glaciaire, très imperméable, le diot, surmontée d'une épaisseur de plusieurs mètres de dépôts de retrait glaciaire faits de graviers, de sablons et de limons, fertiles mais à travers lesquels l'eau s`infiltre très rapidement.
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Certains villages se sont établis sur le pourtour du plateau, là où sortent les sources de la nappe aquifère reposant sur le soubassement argileux. Terre à blé, exploitée par une agriculture intensive et mécanisée, la Champagne souffre de la sécheresse et ses paysans ont coutume de dire qu'il faudrait y voir tomber la pluie un jour sur deux!
La nature glaciaire du sol superficiel genevois est responsable d'une curiosité géologique, les blocs erratiques transportés par les glaciers et abandonnés lors de leur fonte. Ces masses de roche, d'un volume souvent considérable, sont venues du Valais et du Massif du Mont-Blanc. Elles existaient, autrefois, en beaucoup plus grand nombre, mais on les a détruites pour en tirer des meules de pressoirs ou des matériaux de construction. Les plus célèbres de ces blocs sont immergés dans le lac à l'extrémité aval de la rade, les Pierres du Nitton, dont l'une a été choisie comme altitude de base du nivellement général de la Suisse par le général Dufour, créateur du Service topographique fédéral (373,6 mètres au-dessus du niveau de la mer).
Les vallées incisent la topographie d'accidents qui donnent au pays de Genève un accent très original. Leur réseau s'est organisé en fonction de l'écoulement post-glaciaire du Rhône dont le sillon prenait en écharpe le territoire du Canton actuel selon un axe nord-est sud-ouest. Leur réseau s'est organisé en fonction de la topographie post-glaciaire.
Pendant longtemps, les chenaux d'écoulement ont dû longer la langue glaciaire du Rhône, ce qui a déterminé des sections parallèles au cours actuel du fleuve. C'est le cas de la Versoix et de l'Allondon sur la rive droite et, sur la rive gauche, de la Seymaz et de la Laire. Ces affluents ont ensuite rejoint le Rhône par un coude brusque et une gorge de raccordement. L'Arve elle-même, qui coulait initialement le long du Salève pour confluer avec le Rhône dans le secteur de Cartigny, s'est frayé ensuite un accès direct et raccourci jusqu'a la Jonction, à deux kilomètres en aval du lac, le lit ancien subsistant dans la vallée, trop large pour elle, de l'Eaumorte. L'étroite coupure de l'Allondon est demeurée une coulée végétale, réserve naturelle pratiquement intacte.
Le système Rhône-Arve s'est ainsi encaissé d'une trentaine de mètres dans les formations morainiques tendres. On voit alterner, sur leur cours, des mèandres et des basses terrasses bien dessinèes en amont de la Jonction, puis des formes de creusement qui dominent en aval. Le Rhône grave en creux un canyon entre les plateaux d'Aïre au nord, et du Bois de la Bâtie au sud. A la lisière de la Champagne, les versants des méandres forment, à Russin et à Cartigny, des falaises ébouleuses, hautes de 85 mètres.

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Un symbole liquide du paysage genevois: le lac

Les 2,8 kilomètres carrés du Léman qui relèvent du Canton appartiennent au "Petit Lac", appendice de la masse lacustre principale et dont l'origine a longtemps intrigué les géologues. Le Léman est, en effet, un lac composite, formé par la réunion de trois bassins différents. Le sillon initial est de nature fluviatile et lie à l'écoulement du Rhône, mais il a été fortement surcreusé par les glaciers dans le "Léman alpin" qui occupe l'amont de la cuvette, à l'est de la ligne Meillerie-Cully. La partie centrale, la plus étendue, est le "Léman prealpin" qui s'écoulait initialement, avec le Rhône primitif, vers le nord. Les déformations tectoniques liées à la surrection des Préalpes, puis du Jura, ont fermé cette issue. Le "Petit Lac", enfin, au sud-ouest de la ligne Yvoire-Allaman, est un "Léman jurassien", auge synclinale encadrée par les collines molassiques et morainiques dont les axes sont parallèles aux plis du Jura. Cette section genevoise est la [p. 14: image / p. 15] moins profonde: elle n'atteint 50 mètres que dans le sillon central. Ses rives sont constituées par des terrasses de dépôts glacio-lacustres ou, comme à Cologny et au Reposoir, par des affleurements de molasse. Le fond est formé de sédiments fins, d'origine fluviale et lacustre, reposant sur la moraine sous-jacente. Le littoral a été régularisé et, après 1855, on a protégé les 33 hectares du port par la construction des deux jetées qui ménagent un chenal d'accès large de 320 mètres. Ces barrages ont retenu une bonne partie des 6000 mètres cubes de matériaux apportés annuellement par le Rhône et accentué l'envasement de la rade, qu`il faut draguer périodiquement (1889-1890, 1914, 1975).

Les eaux courantes de la cuvette genevoise

Presque tous les cours d'eau du Canton prennent leur source hors du territoire genevois. On dénombre une trentaine de nants - dénomination locale d'origine celtique - tributaires du lac, du Rhône et de l'Arve. Ce sont de gros ruisseaux, d'abondance médiocre, de débit annuel moyen (module) limité tout au plus à un ou deux mètres cubes/seconde. Leur régime "jurassien" montre un maximum de saison froide dû aux pluies et à la fonte précoce des neiges, avec une indigence d'été (minimum en juillet) et quelques gonflements secondaires liés aux orages de saison chaude.
En revanche, le Rhône et l'Arve sont, pour Genève, des partenaires beaucoup plus incommodes.
A sa sortie du lac, le Rhône, qui s'est assagi, régularisé et épuré, est déjà un fleuve puissant. Dans son écoulement normal, avant que les barrages ne soient venus modifier le niveau du lac et, par leur manœuvre, retenir ou libérer les eaux, le module était de 243 mètres cubes/seconde et le régime demeurait de type "glaciaire", avec un maximum d'août et des basses eaux de janvier à avril.
Pour remedier à l'inconvénient des basses eaux d'hiver qui privaient la cité d'une force motrice utilisée par de nombreux ateliers industriels, les Genevois ont construit en 1713, 1840 et 1856 des barrages au débouché du lac et, entre 1883 et 1890, les installations actuelles du pont de la Machine. La Convention intercantonale de 1884 et le règlement de 1892 ont fixé à 372 mètres le niveau moyen de la nappe, qui peut varier entre un minimum de 371,70 mètres et un maximum de 372,30 mètres.
L'Arve, l'une des rivières les plus abondantes des Alpes, reproduit en plus excessif et plus brutal les traits du régime du Rhône. A Genève, elle roule 83,7 mètres cubes/seconde [p. 16]
avec un maximum de juin-juillet, dû à la fonte des neiges, puis d'août (fusion des glaces) et une troisième poussée de saison froide (novembre).
L'Arve est un cours d'eau à très forte puissance érosive qui transporte, à Genève, un million de tonnes de matières en suspension par an. Les crues de l'Arve et du Rhône peuvent survenir en toutes saisons, avec une fréquence maximale de saison chaude lorsque les pluies océaniques ajoutent leur effet à la fonte des neiges, mais aussi avec de nombreux débordements d'automne. L'Arve est particulièrement dangereuse: on a observé, en octobre 1888, un débit record de 1136 mètres cubes/seconde, soit 51 fois l'étiage (débit minimum moyen)! Les eaux de l'Arve, formant barrage, retenaient celles du Rhône et, en 1570, 1650 et 1711, elles montèrent si haut que les moulins de la cité tournèrent à l'envers. Les Genevois ont progressivement repoussé vers l'aval le confluent Arve-Rhône qui, au XVIe siècle, se faisait à Sous-Terre. ll arrivait souvent que la plaine de Plainpalais fût recouverte par les eaux, ce qui n'arriva pas moins de treize fois entre 1530 et 1787.

Aptitudes du milieu naturel genevois

La cuvette ne contient pas de minerais ni de combustibles fossiles: la seule matière première utile est l'argile des poteries et tuileries de Bardonnex et de Colovrex. Elle a donc une vocation essentiellement agricole, dans ses terres légères de la Champagne, ses plaines fluvio-glaciaires aux sols forts mais propices aux céréales et ses coteaux viricoles. Le bassin est un carrefour de communications. L'axe principal est celui qui, par le Moyen-Pays, relie la Suisse romande à l'axe rhénan. Cette direction nord-sud éclate ensuite vers les cols alpins et l'ltalie par le lac et le Valais; vers Annecy et l'avant-pays savoyard, et vers le couloir Saône-Rhône, à travers le Jura. Genève vaut mieux par sa situation, par sa position géographique à l'echelle continentale, que par sa topographie locale. Le site urbain, lui, est favorable. ll combine deux éléments fixateurs classiques des villes: une acropole défensive, avec la colline qui porte la cité ancienne et un pont, là où le Rhône, à sa sortie du lac, se rétrécit suffisamment pour permettre de le franchir en toutes saisons.

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Un climat modéré mais capricieux

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Le climat est l'élément naturel le plus directement perçu par les hommes. Il stimule ou paralyse leur activité, égaye ou assombrit leur humeur, agit sur leur bien-être et leur santé, commande leurs récoltes. Or il faut reconnaître que le climat genevois n'a pas très bonne presse. On a souligné a l'envi sa variabilité déroutante, sa tonalité générale maussade, l'aigreur de ses bises, les désagréments de ses hivers dont les autorités notent soigneusement la fin en faisant consigner, d'abord dans les registres de la République, puis sur une planchette, la date d'apparition de la première feuille sur le marronnier de la Treille. Le climat de Genève est en effet déroutant, mais l'analyse de ses composantes montre qu'il vaut mieux que sa réputation, car - si l'on excepte le Tessin - il est le plus "méridional" de la Suisse.

Le lac, facteur adoucissant et modérateur

Lente à s'échauffer, mais aussi à se refroidir, la nappe lémanique est un réservoir thermique et un régulateur de la température. François-Alphonse Forel, le spécialiste du Léman, a calculé qu'en hiver l'ensemblc du lac emmagasine une chaleur égale à celle qui serait produite par la combustion de 55 millions de tonnes de houille, soit le chargement d'un train de wagons de 10 tonnes long de 33.000 kilomètres! L'effet de réchauffement exercé par le Petit-Lac, très sensible sur la durée de l'enneigement et des gelées, ne se fait pas sentir très loin à l'intérieur des terres, mais il confère aux rivages un micro-climat nettement plus clément que celui des plaines de la cuvette et du pied des montagnes bordières; il permet le développement d'une belle végétation, riche en espèces des pays chauds, comme les cèdres, les figuiers, les rhododendrons géants.

Genève, un carrefour d'influences climatiques

La climatologie dynamique exprime, en une synthèse changeante, la succession des types de temps au long de l'année. Genève est, à cet égard, à un carrefour où se mêlent des influences variées dont les alternances provoquent souvent de brusques changements de temps. La composante atlantique est caractérisée par la trajectoire des grandes dépressions océaniques et des vents d'ouest, qui apportent la pluie, ainsi que par des températures modérées. Le régime continental, qui règne dans le centre de l'Europe et dans les Alpes, affecte déjà Genève et se traduit par l'écart [p. 19] marqué entre les saisons et les températures extrêmes, l'écoulement hivernal de masses d'air polaire et les orages de saison chaude. Enfin, le Canton peut être atteint par la remontée des conditions méditerranéennes, donnant des hivers doux et humides et des étés secs et torrides. Genève jouit donc d'un climat de transition que l'on pourrait définir comme "océanique dégradé", avec des nuances continentales et méditerranéennes assez marquées. Il s'y ajoute "l'effet d'abri" de la cuvette topographique qui permet aux brouillards et à l'air froid et lourd de stagner dans les fonds et, par la muraille du Jura, de faire écran aux courants humides d'ouest. Le contraste entre le lac et son encadrement montagneux fait naître des contrastes thermiques et des phénomènes météorologiques locaux, caractéristiques d'un micro-climat.

La rose des vents genevoise

Deux flux dominants se partagent à peu près également les fréquences. La bise est un courant froid et sec, de nord-nord-est, dont les rafales peuvent dépasser 100 kilomètres à l'heure. A la station météorologique de Cointrin, il représente 50,2 pour cent des vents annuels et l'emporte, de décembre à juillet, pendant le premier semestre. Le vent, venu du sud-ouest, est un écoulement d'air atlantique qui revendique 49,8 pour cent des fréquences. Le contraste thermique entre la terre et le lac est responsable des brises. [p. 20] La nuit, le territoire genevois, plus froid, est le siège de pressions plus élevées qui s'écoulent vers le Léman, alors que de jour la campagne, plus chaude, attire le séchard qui souffle, dans le Canton, du nord-nord-est. D'autres vents locaux sont le môlan, venu de l'est et descendu du Môle par la vallée de l'Arve et le joran, qui souffle du nord-ouest. Il tombe avec brutalité, du Jura, sur le pays genevois, en un souffle glacé qui, par temps orageux d'été, déchaîne sur le Petit-Lac des "coups de tabac" très dangereux pour les navigateurs.

Les composantes du climat

Le climat se compose de trois éléments principaux: l'ensoleillement, la température et les précipitations. Il se définit par des moyennes portant sur trente années pour l'ensoleillement (norme internationale: 1901-1930, 1931-1960) et sur soixante années pour les températures et les précipitations (norme suisse: 1901-1960).


Soleil et brouillard

La durée effective de l'ensoleillement est, à Genéve-ville, de 2036 heures en moyenne pour la période de 1931 à 1960. C'est là un record absolu parmi les grandes villes suisses. En effet, pour la même période, Lausanne n'a enregistré que 1971 heures d'ensoleillement, Berne 1759, Zurich 1693 et Bâle 1677. Seuls le Tessin et le Valais ont bénéficié d'un plus grand nombre d'heures de soleil: Locarno 2286, Lugano 2010, Sion 2094. Par temps calme, le stationnement du brouillard est fréquent et peut gêner le trafic aérien, spécialement d'octobre à février. En 1953, il a persisté sans interruption, sauf quatre jours, du 9 novembre au 19 décembre.
Des observations ont été faites à l'observatoire de la Dôle, de 1968 à 1976, sur la "mer de brouillard". On a enregistré en moyenne, pendant ces neuf années:
- 8 jours de mer de brouillard à 700 mètres d'altitude et au-dessous
- 65,4 jours de mer de brouillard entre 800 et 1500 mètres d'altitude
- 5,6 jours de "brouillard" au-dessus de 1500 mètres d'altitude
(En fait, le "brouillard" élevé est désigné du nom de "stratus bas").

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Les sautes du thermomètre

Les températures sont connues par une longue série d'observations, commencées dès le milieu du XVIIIe siècle. La moyenne annuelle (période 1931-1960) est relativement élevée, avec 10°3, mais à l'intérieur de ces moyennes on relève une forte variabilité. Les extrêmes absolus peuvent descendre à -18°3 en février 1956 et s'élever à 38°5 le 21 juillet 1921, soit une amplitude maximale de 56°8. Il peut geler dès le 24 septembre (1928) et jusqu'au 11 mai (1928). Au cours de longues séries de froid, le Petit-Lac, malgré le courant et la bise qui entraînent vers lui les eaux superficielles du Grand-Lac, plus chaudes, peut être pris par les glaces, ce qui fut le cas, en particulier, en 1570, 1789, 1891, 1929 et 1956. Par contre, on connaît également de longues canicules (température moyenne supérieure à 20°), avec 37 jours par an en moyenne et 59 en 1942.
La première feuille du marronnier de la Treille est apparue, entre 1818 et 1982, dès le 10 janvier (1982) et a tardé jusqu'au 29 avril (1826). La venue de ce "printemps officiel" des Genevois est de plus en plus précoce: vers le 7 avril pour 1821-1830; 10 mars pour 1901-1910; 4 mars pour 1961-1970 et, en 1982, le 10 janvier!

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Un ilot de sécheresse

Les précipitations sont l'élément climatique qui présente la plus grande variabilité, à cause de l'interférence des trois domaines atlantique, continental et méditerranéen. La courbe annuelle met en évidence le maximum continental d'été et le minimum d'hiver, pour la période 1901-1960.
Genève est, en Suisse, un îlot de sécheresse relative, avec un total, pour la période 1901-1960, de 889 millimètres d'eau (Lausanne: 1064) qui, en Suisse, n'est plus faible qu'en Valais (Martigny: 759 millimètres, Sion: 592 millimètres). Le nombre annuel des jours de précipitations est de 107,2, mais on voit alterner aussi bien des périodes fortement arrosées (10 mars au 30 avril 1922 avec 36 jours de pluie sur 41) que de sécheresse (20 septembre au 24 décembre 1921, soit 84 jours secs sur 88). De même, la hauteur totale peut varier du simple au triple: 457 millimètres en 1921 et 1406 en 1930. Les orages d'été et les averses d'automne de type méditerranéen abattent des lames d'eau de 75 à 180 millimètres en 24 heures, qui pâlissent toutefois devant le déluge du 11 juin 1930: 105 millimètres en une heure!
La neige, en revanche, joue un rôle négligeable dans le climat genevois, surtout dans les secteurs proches du lac. De plus, l'extension de l'agglomération et la multiplication des sources de chaleur ont fait reculer la neige et diminuer le nombre de jours où le sol en est recouvert. Au cours des années soixante et soixante-dix, la durée moyenne du manteau est de 21 jours par hiver (1 en novembre, 4,5 en décembre, 9,5 en janvier, 4 en février, 2 en mars) avec bien des hivers totalement démunis et, à l'opposé, des enneigements allant jusqu'à 66 jours comme en 1916-1917. Il peut neiger dès le 30 octobre (1974) et jusqu'au 23 mai (1908).
Le graphique ci-contre présente la hauteur cumulée totale par périodes de dix ans et le nombre de jours où le sol était recouvert de neige. De plus, nous avons représenté par des points les maxima de chaque décennie.

P. G.

Géologie régionale

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Problèmes de temps

L'étude des roches permet d'esquisser l'histoire de la Terre sur près de quatre milliards d'années. Il est très difficile, à l'échel1e du temps d'une vie humaine, de concevoir la réalité de phénomènes qui s'étendent sur une pareille durée. Nous présentons des interprétations qui expliquent un certain nombre de faits observés. Ces interprétations sont ainsi un modèle résumant nos connaissances dans leur état actuel sans pouvoir prétendre à la reconstitution exacte d'un très lointain passé. L'histoire de la croûte terrestre se caractérise par des périodes d'intenses déformations qui créent des chaînes de montagnes. Ces massifs montagneux sont lentement attaqués et usés par les eaux. Par la suite, une première chaine de montagnes, presque totalement nivelée par l'érosion, pourra être reprise dans une phase de déformation suivante. Les roches que nous observons sont en général fortement modifiées par des cassures, des plissements ou des recristallisations. Cet état nous porterait à croire qu'une montagne se crée brutalement. Ramenée à l'échelle de temps d'une vie humaine, cette création est au contraire pratiquement imperceptible, puisqu'à cette échelle, un million d`années correspondent à un peu moins d'une semaine.

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Le pays de Genève

L’aspect actuel de la région genevoise est étroitement lié au dernier bouleversement de la croûte terrestre, la formation de la chaîne alpine. Les signes précurseurs de ce bouleversement sont apparus il y a 150 millions d’années (Secondaire). Il s’est ensuite poursuivi de façon évidente jusqu’à -5 millions d’années, soit durant l'ère tertiaire (voir tableau de la classification géologique et chronologique internationale, p. 23).
A l’échelle de l’histoire et de la préhistoire locale (1o.ooo ans environ), le paysage paraît stable. Des mesures actuelles précision démontrent cependant la présence d’un mouvement général très faible. Il est donc probable que la formation des Alpes se poursuit encore de nos jours.
Le paysage de Genève est caractérisé à l'Est par le massif des Préalpes du Chablais. Ce relief est constitué de roches sédimentaires qui se sont formées par dépôt dans une mer située, durant le Secondaire, derrière le massif du Mont-Blanc. Les poussées de formation des Alpes ont transporté ces roches à leur emplacement actuel. Dans ces Préalpes, on distingue une zone externe formant les Voirons, avec des écailles de roches secondaires entremêlées dans celles du Tertiaire. La zone interne présente des déformations plastiques avec des plissements complexes (le Môle), puis des [p. 25] déformations fragiles à vastes écailles. Le tout est couronné par une nappe de roches très fracturées (Col des Gets) où l’on trouve même des éléments volcaniques. La mise en place des Préalpes est récente (fin du Tertiaire).
Au sud-est, le Salève donne un cachet particulier au paysage. Il s’agit d’un pli anticlinal (en forme de voûte) complexe et chevauchant, élément de transition entre le massif des Alpes calcaires des Bornes et le Jura. La partie frontale du pli, dégagée par l’érosion et recoupée de
nombreuses fractures, domine Genève de sa falaise de calcaires à récifs coralliens fossiles. Le pli est encore caractérisé par l’inclinaison de son axe en direction d’Annemasse, bien visible dans le Petit-Salève et par des décrochements, soit de grandes cassures cisaillantes.
L’une de ces cassures est particulièrement visible au-dessus de La Croix-de-Rozon, où le massif du Grand Salève est déplacé de 7oo mètres vers Genève par rapport aux Pitons. Cet accident est à l’origine des belles parois sur lesquelles se sont entraînées des générations de varappeurs genevois. Le Salève est une trace des dernières grandes déformations alpines qui ont également créé la chaîne du Jura.
Au sud, le Mont-de-Sion ferme le bassin genevois. Il s’agit d’une remontée de roche tertiaire (molasse) et non pas d’une épaisse moraine comme on le supposait ll y a encore [p. 26] quelques décennies. Il vient s’appuyer contre le Vuache, élément très particulier de la topographie régionale. En regardant une carte, on est frappé par sa position transversale par rapport à la direction du pli du Salève et de ceux du Jura. Sa présence s’explique par une fracture cisaillante, partant du lac d’Annecy pour se perdre dans le Jura. De part et d’autre de cette fracture, les éléments géologiques ont été déplacés de près de 10 km. Ainsi, la suite du pli du Salève se retrouve dans la montagne du Semnoz au sud d’Annecy. Du côté genevois, les couches se redressent contre la fracture, prenant une structure monoclinale, soit inclinée dans une seule direction, sans élément symétrique comme dans un anticlinal. Cet accident est encore vivant et donne lieu, lors de ses déplacements, à des tremblements de terre ressentis
dans les villages proches de Frangy et Chaumont.
Les tremblements de terre ont en général des foyers profonds dans la croûte terrestre. On peut donc se demander si la cassure du Vuache est très profonde et se prolonge jusque dans le socle de roches anciennes présent sous Genève. D’après un sondage pétrolier exécuté près de Saint-Julien, ce socle se situe à plus de trois kilomètres de profondeur. Tel ne paraît pas être le cas. En effet, les enregistrements des observatoires sismiques, qui par analyse des ondes de chocs permettent de localiser la profondeur et la situation des foyers générateurs de secousses, montrent qu’au Vuache les accidents se passent à profondeur réduite. D’autre part, l’étude des Alpes permet de déterminer que le socle s’est surtout surélevé dans le massif du Mont-Blanc où apparaissent les roches granitiques. La couverture sédimentaire du socle s’est ainsi trouvée sur une pente dirigée vers le nord-ouest et s’en est décollée. Elle a ensuite glissé par gravité et provoqué la formation tardive (fin du Tertiaire) du Jura. Les tensions et fractures du socle, provenant de la poussée du continent africain contre l’Europe, peuvent se traduire, vu la présence de ce décollement, par des cassures de directions différentes dans la couverture. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en voyant les crêtes assez arrondies du Reculet, au nord-ouest de Genève, le Jura est un plissement récent et le détail de son architecture nous réserve encore bien des surprises.

Le bassin molassique

Pendant le milieu et la fin du Tertiaire, les débris d’érosion de la chaîne montagneuse en formation se sont déposés dans une dépression frontale située à l’emplacement actuel des [p. 27] Préalpes, du Plateau suisse, et d'une partie du Jura. En effet, une chaîne en formation est attaquée par l'eau, le gel, parfois même le vent, dès que les plissements déforment assez les roches marines pour les faire émerger sous forme d'îles. Les produits de cette usure sont à leur tour déformés dans les plissements et participent à l'édification des massifs montagneux. La terminologie géologique les désigne par le mot "flysch". La déformation se poursuivant, ces produits s'accumulent en dépôts plus éloignés de la région d'érosion et sont appelés molasse.
La molasse forme l'ensemble du soubassement rocheux du Plateau suisse jusqu'au Bassin genevois. Ses conditions de dépôt ont été très variable, dans de vastes lacs, envahis ensuite par des eaux marines. Au bord de ces mers, des [p. 28] conditions de marais salants se sont présentées avec des eaux sursalées,saumâtres. Les molasses du Plateau suisse se sont déposées durant les périodes oligocène et miocène du Tertiaire. Les conditions de dépôt ont été d'abord marines, puis lacustres avec une terminaison en milieu lagunaire saumâtre. Une seconde invasion marine a été suivie d'une phase terminale lacustre. Dans le Canton, on ne retrouve que les roches du premier épisode lacustre oligocène à fin lagunaire. La molasse marine inférieure n'est présente dans la région qu'au front du massif des Bornes.
Notre molasse comporte à la base une première série déposée en eau douce, dite "Molasse rouge". Elle est constituée de grès gris verdâtre (sable aggloméré) avec des grains de feldspath et mica (éléments provenant de l'usure [p. 29] du granite). On y trouve aussi des marnes (mélange à 50 pour cent d’argile et de calcaire), et des marno-calcaires (mélange de calcaire avec peu d’argile), souvent teintés en rose, rouge ou lie-de-vin, par des oxydes de fer. Localement, les grès peuvent prendre une couleur brun-chocolat, par imprégnation de bitume, ce «pétrole» genevois qui justifie le dicton populaire: «La Suisse est un pays riche en gisements pauvres».
Le membre supérieur de la molasse locale est dit "molasse grise". Il s’agit de marnes grises, parfois finement sableuses, à petits bancs ou "filonets" de calcaire et de gypse. Ce sulfate de chaux hydraté est typique des formations lagunaires. La phase marine postérieure ne semble pas avoir atteint Genève. Vers le Sud, la chaîne du Vuache, déjà en formation, a bloqué l'avance marine dont les dépôts sont présents dans le bassin de Bellegarde. Au Nord, il faut aller au-delà de Lausanne, dans le Jorat et la Broye, pour retrouver la molasse marine supérieure.

Relief préquaternaire

Une longue période d’émersion de l’ordre de 20 millions d’années a marqué la fin du Tertiaire dans la région genevoise. La molasse a été encore déformée par les mouvements alpins tardifs. L'érosion l'a sculptée de tout un réseau de collines et vallées que l'on peut reconstituer grâce aux très nombreux sondages d’étude (4.500) exécutés durant les cinquante dernières années. Il a même été possible de dresser une carte définissant cet ancien relief par des courbes de niveau.
Seules les anciennes collines sont encore perceptibles sous les dépôts glaciaires du Quaternaire. Il s’agit des coteaux de Challex, Satigny, Prévessin-Bossy, Petit-Saconnex-Pregny, Bernex et Cologny. Dans ces régions, la molasse est visible dans les entailles creusées par les ruisseaux, ou présente sous une très mince couverture d'argile glaciaire et de terre végétale. Les vallées anciennes avaient pour situation la région de l’Allondon, un axe allant de Versoix à Chancy, en passant sous Cointrin, Peney et Avully. Un Rhône ancien a
aussi marqué sa vallée légèrement au sud du cours actuel. La vallée la plus profonde poursuivait celle du lac jusqu'à Saint-Julien. D'autres vallées anciennes ont été détectées sous le bassin de la Seymaz et de Gaillard à Troinex. Ces dépressions sont totalement cachées par des remplissages d’origine glaciaire, dont l’épaisseur peut varier entre 50 et
180 mètres.

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Dépôts glaciaires

La période géologique la plus récente, le Quaternaire, est caractérisée dans toute la région péri-alpine, en Scandinavie, au nord des Etats-Unis, au Canada, dans les montagnes d’Asie et de Nouvelle-Zélande, par un très grand développement des glaciers. Dans notre région, le glacier du bassin du Rhône s’est étendu jusqu'à Lyon. Il faut reconnaître qu'en géologie, les dépôts les plus jeunes sont souvent les plus mal connus, surtout ceux d’origine glaciaire. Leur étude est rendue difficile par leur consistance meuble qui permet le développement rapide de la végétation. La couverture généralisée de terre végétale ne permet pas une bonne observation comme pour les roches dénudées en de vastes affleurements. On doit donc effectuer des observations sur des zones de surface très réduite. En outre, on est gêné par des phénomènes actuels d'altération, de tassement et de glissement de terrain. Les données ponctuelles sont ensuite interpolées, méthode fortement sujette à caution pour des dépôts glaciaires formés très rapidement à l’échelle géologique. Pour la région genevoise, on détermine par les datations exécutées grâce a l'isotope radioactif du carbone que la dernière phase glaciaire importante a duré de 40.000 à 13.000 ans avant l'époque actuelle. Durant ce laps de temps, il s’est accumulé jusqu’à 120 mètres de dépôts glaciaires. Si l'on prend pour comparaison les calcaires du Salève, la formation d'une même épaisseur de roches a duré environ quarante millions d’années. Dans ce cas, l'évolution de la faune fossile permet une étude précise. Sur trente mille ans, l'évolution n'est pas perceptible. De plus, la glace est un milieu impropre à la vie, et les dépôts morainiques sont la plupart du temps presque ou totalement dépourvus de restes d’animaux ou végétaux caractéristiques d'un épisode particulier de l’histoire géologique.
Nous recommandons au lecteur de garder un esprit critique et même si la synthèse paraît plus intéressante que la description, de bien faire la part entre l'hypothèse et le fait scientifiquement observé.
Comme hypothèse bien vérifiée, on admet actuellement que les dépôts quaternaires de la région genevoise sont dus à deux phases glaciaires importantes. Le début de la première phase n’a pas pu être daté, étant au-delà des limites de la méthode du carbone 14 (-300.000 ans est l’actuelle hypothèse de travail). Elle s’est terminée avant -45.000 ans.
La seconde phase, qui a donné sa morphologie actuelle au paysage, a duré, on l'a vu, de -40.000 à -13.000 ans avant l'époque actuelle. Ces phases n'ont pas été simples, mais [p. 31] marquées de multiples progressions, puis de retraits par fonte. Ces épisodes étant très localisés et se traduisant par des dépôts très variables allant du gravier grossier à l'argile la
plus fine, leur détail et leur âge ne peuvent pas encore être indiqués avec précision.
Pour la description, il faut choisir un critère simple, soit la grandeur des composants. Quelle que soit l'interprétation formulée par la suite, la description par les termes "gravier", "sable", ou "argile", reste valable même si de nouvelles découvertes changeaient les hypothèses sur leur origine (dépôt par la glace, soit moraine, ou par l’eau, soit alluvion).
L'application de ces principes nous conduit à définir les six séries suivantes, réparties dans le Canton:

1. Série à dépôts des deux phases glaciaires.
Epaisseur: 120 à 180 mètres.
Tous les termes des dépôts meubles, des graviers aux argiles, s'y rencontrent et peuvent s'y répéter plusieurs fois sous forme de nombreuses couches. Les deux phases sont séparées par un horizon avec de la faune et de la flore fossiles, caractérisant un climat moins rude et appelé interglaciaire.
2. Série à dépôts de la seconde phase glaciaire.
Epaisseur: 80 à 120 mètres.
On retrouve la partie supérieure des dépôts complexes décrits sous 1), jusqu’à l'épisode interglaciaire. Les éléments plus anciens manquent.
3. Série à dépôts incomplets de la seconde phase glaciaire.
Epaisseur: 20 à 50 mètres.
Les termes les plus grossiers tels que graviers disparaissent. Il ne reste que des argiles à cailloux épars.
4. Série à dépôts fins de la seconde phase glaciaire.
Epaisseur: 50 à 90 mètres.
Seuls des argiles et sables très fins sont ici présents.
5. Série à dépôts fins de la seconde phase glaciaire avec épisode final de sable et gravier.
Epaisseur: 60 à 110 mètres.
Nous citons cette série d’extension territoriale réduite, car elle est à l'origine de la colline de la Vieille-Ville.
6. Série des collines molassiques.
Epaisseur: 0 à 10 mètres.
Cette série a été décrite dans le paragraphe des érosions préquaternaires.

[p. 32]

Dépôts récents


L'influence glaciaire est encore bien visible dans la topographie actuelle. L'érosion et l'alluvionnement durant les dix derniers millénaires n'ont apporté que des modifications modestes. Les dépressions glaciaires, sans écoulement naturel suffisant, ont été rapidement envahies par la faune et la flore des marais. Les craies palustres et la tourbe les ont rapidement comblées. Le pied des collines morainiques a été un peu empâté par les produits fins entraînés par les eaux de ruissellement. L'Arve et le Rhône ont suivi des dépressions préexistantes dans les dépôts glaciaires et les ont quelque peu approfondies et élargies. Ces deux cours d'eau, de débit pourtant abondant, n'ont créé que de modestes terrasses d'alluvions. L'Arve a donné son aspect à la région de Plainpalais - Carouge en divaguant entre les colline de la Vieille-Ville et le coteau de Lancy - Bois de la Bâtie. La Laire, l'Allondon et la Versoix ont suivi le tracé que la langue du glacier en cours de fonte leur avait fixé. Le lac a continué le travail de sédimentation, commencé par les eaux de font glaciaire, déposant des limons et craies lacustres dont l'épaisseur peut atteindre plus de 10 mètres.
Enfin, l'homme a profondément modifié l'état naturel au pourtour de la rade en créant une partie des quartiers des Pâquis, des Rues Basses et des Eaux-Vives, par remblayage du lac.

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Eaux souterraines


Circulation des eaux dans le sol 

L'eau est présente dans de très nombreuses roches et dans les dépôts meubles. Pour que cette eau souterraine ait de l'intérêt pour l'homme, il faut qu'elle puisse s'écouler par gravité. Cette possibilité dépend de la perméabilité du sous-sol. Par exemple, une argile peut être très riche en eau, jusqu'à 40 pour cent de son poids total. Pourtant, si l'on y creuse un puits, on ne pourra pas y pomper la moindre goutte d'eau. En revanche, dans un gravier dont la teneur en eau ne dépasse pas 10 pour cent, le puits creusé donnera une belle eau claire et naturellement filtrée. La perméabilité est ainsi fonction, soit de la grandeur des pores des dépôts meubles, soit de la taille des fissures des roches; les roches calcaires présentent parfois la particularité d'être lentement solubles; les fissures s'y agrandissent progressivement pour former des grottes et des gouffres: il s'agit alors de nappes karstiques (terme provenant de la région calcaire du Karst en Yougoslavie). La formation de nappes d'eau souterraine importantes est aussi subordonnée à des conditions géologiques particulières superposant un niveau perméable à une couche imperméable en forme de cuvette. Les sources sont les points de sortie naturelle des eaux souterraines aux endroits où la couche imperméable est entaillée par une vallée. Nous avons vu que les montagnes au pourtour de Genève sont à prédominance calcaire. Ces massifs sont le siège d'une circulation d'eau souterraine de type karstique. Cette circulation se traduit par la présence de nombreuses sources, telles celles de la Versoix à Divonne, de l'Allondon à Naz-dessus, de l'Allemogne à Thoiry, du Malpas à l'extrémité sud-est du Vuache ou d'Aiguebelle au Petit-Salève. 

Nappes d'eau du canton de Genève

Les nappes d'eau genevoises circulent à travers les pores de sables et graviers qui reposent sur une base imperméable constituée, soit d'argile glaciaire, soit de molasse marneuse. Le réservoir souterrain le plus important est une épaisse couche graveleuse qui marque le début de la seconde phase glaciaire. Dans les premières descriptions géologiques du siècle passé, cette couche a été nommée "Alluvion ancienne". Cette appellation erronée est encore fréquemment utilisée. Ces graviers sont bien visibles dans les falaises de Saint-Jean, du Bois de la Bâtie et de Champel. Dans les zones aquifères, cet horizon est atteint par vingt-trois puits de forte [p. 35] capacité, couvrant le tiers des besoins en eau de la population et de l'industrie genevoises. Les zones aquifères principales sont les suivantes:
- La nappe de l'Arve s'étend des Eaux-Vives à Chancy et son niveau se situe entre 15 et 6o mètres de profondeur. L'épaisseur du gravier imprégné d'eau atteint jusqu'à 5o mètres. Elle est alimentée par des infiltrations de l'Arve à travers son lit et par des percolations latérales d'eau de pluie venant du pied du Salève.
Dès 1960, les quantités pompées ont dépassé le débit des apports naturels. Le niveau général de l'eau imprégnant le gravier s'est alors abaissé de près de 8 mètres. Pour cette raison, on procède actuellement, à Vessy, à l'alimentation artificielle de la nappe avec de l'eau de la rivière, après filtration et stérilisation.
— La deuxième nappe en importance est alimentée par les infiltrations du lac à Sécheron. Elle passe sous les Pâquis et Cornavin pour rejoindre celle du Rhône à Saint-Jean. Celle-ci suit en profondeur le cours du fleuve s'étendant de part et d'autre selon l'ancienne topographie de la molasse. Elle est alimentée par une infiltration fluviatile dont le débit a été accru par la construction des barrages de Chancy-Pougny et de Verbois. A Peney, elle est rejointe [p. 36] en profondeur par une nappe alimentée par la Versoix et qui passe sous l'aéroport. Enfin, on exploite une nappe située dans le sous-sol du vallon de l'Allondon.
Les dépôts glaciaires étant très complexes, on trouve de modestes nappes d'eau souterraine en grand nombre dans des horizons sableux ou graveleux. Par places, elles circulent au-dessus des nappes importantes dont elles sont séparées par des couches imperméables d'argile glaciaire. Entre Soral et Sézegnin, il existe ainsi trois horizons aquifères superposés. Ces nappes n'ont pas d'intérêt pour la fourniture en eau potable. Leur débit est trop réduit et elles se trouvent souvent à faible et moyenne profondeur. Elles sont ainsi fortement polluées par les activités agricoles et les fuites du réseau d'égoût. Nous en trouvons dans plusieurs quartiers urbains (Pâquis, les Tranchées — Vieille-Ville, Eaux-Vives, Rues Basses, Plainpalais, Carouge, Servette-Prairie — les Grottes, la Jonction), où elles gênent les constructions profondes, et à la campagne : à Hermance, Bellerive, Puplinge, Chêne-Bourg, Thônex, Plaine de l'Aire, marais de Troinex, plateau de la Champagne, Chancy, Dardagny, Nant d'Avril — Mategnin, Creux-de-Genthod et Versoix-la-Ville.

G. A.
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La flore


La flore du pays genevois, reflet de la diversité écologique

Que la flore du pays genevois soit riche et variée n'a rien pour surprendre. En effet, la  diversité écologique est flagrante: chaînes calcaires entourant une cuvette molassique garnie de moraines et d'alluvions, le tout forme un ensemble de conditions de relief, d'altitude, d'exposition, de sols, propre à fournir des habitats variés, donc à satisfaire bien des goûts végétaux. De plus, cet ensemble se situe, à l'échelle planétaire, dans un contexte climatique tempéré, et à l'échelle continentale dans une situation de carrefour où se retrouvent, en plus des plantes d'Europe centrale, dites "médio-européennes", qui forment le fond de la flore, des plantes méridionales, venant de la vallée du Rhône, et des plantes alpines qui trouvent encore des points d'atterrissage sur les plus hauts sommets du Jura voisin; il y a même des plantes steppiques qui se sont intercalées: c'est ainsi qu'on voit au Fort-l'Ecluse l'érable de Montpellier (Acer monspessulanum L.) et la plumache (Stipa capillata L.), belle graminée aux longs styles décoratifs, originaire des steppes orientales.

Préhistoire de la flore 

Ce cosmopolitisme dans la société des plantes ne traduit pas seulement l'actuelle diversité des biotopes, il est le reflet d'une succession dans le temps de flores correspondant aux différents climats qui ont marqué ces divers "moments" floristiques: facettes chaudes et sèches pour les éléments steppiques et méditerranéens qui ont profité du climat correspondant au Néolithique, bas-fonds frais et humides (emplacements d'anciens marais) pour ceux qui ont formé la végétation de l'âge du bronze et du début de l'âge du fer. On pourrait s'imaginer, par analogie, que dans certaines niches écologiques humaines se retrouvent, à quelques exemplaires, sinon les types physiques, du moins les tempéraments des hommes qui ont marqué ces divers âges de la préhistoire. 

Intervention de l'homme

En tous cas, c'est l'homme qui, à l'évidence, a façonné le visage actuel de la flore genevoise. Le cas est significatif, sinon représentatif, parce que hors du commun : voici un [p. 38] territoire exigu (284 km2) dont un quart en eau, un dixième seulement en forêt, la moitié en zone agricole, le reste urbanisé. Soixante-cinq pour cent du Canton a donc subi l'influence de l'homme. De plus, cette petite surface est limitée au fond de la cuvette genevoise et ne présente de ce fait qu'une petite partie de la diversité écologique totale de l'ensemble du Pays de Genève. Or, on y trouve plus de 1500 espèces de végétaux supérieurs (1859 en comptant les hybrides comme l'a fait Claude Weber). Ainsi, on trouve à Genève plus de la moitié de l'effectif de la flore de la Suisse, et cela bien entendu en ne comptant que les plantes croissant spontanément dans la nature. Car il faudrait ajouter à ce nombre des centaines d'espèces cultivées aux fins de production ou d'ornement. 

Particularités de la flore genevoise

Genève possède deux espèces particulières qui ne se trouvent nulle part ailleurs en Suisse: ce sont des plantes dites "atlantiques", l'Isopyre faux pigamon (Isopyrum thalic-troides L.) et la bruyère vagabonde (Erica vagans L.). Deux autres espèces, "méridionales" celles-là, ne se trouvent, en dehors de Genève, qu'au Tessin: il s'agit de la Dent-de-chien (Ethronium dens-canis L.) et du Cucubale à baies (Cucubalus baccifer L.). [p. 39] 

[p. 39]

Genève, terre d'accueil 

Avant que l'homme eût exercé une action sur le paysage, c'est-à-dire avant l'âge du fer, on peut admettre que les deux tiers des espèces actuellement existantes se trouvaient répartis dans les milieux naturels: forêts de feuillus étendues, marais, bord des cours d'eau et du lac, clairières entretenues par les grands herbivores de la préhistoire. Puis l'homme, en "ouvrant" progressivement le paysage à la culture agricole, a déclenché un double phénomène: il a offert un espace bienvenu, non seulement aux plantes qu'il désirait cultiver, mais aussi aux plantes pionnières spécialisées dans la reconquête des terrains auparavant bouleversés ou simplement dénudés par des facteurs naturels (érosion, glissement de terrain, feu dû aux orages, pacage et parcours de la grosse faune). Ces pionnières, au tempérament adapté à leur rôle, c'est-à-dire rapides et agressives dans leur croissance et leur [p. 40] reproduction, ont colonisé les cultures où, véritables pique-assiettes, elles ont acquis leur réputation de "mauvaises herbes": le plantain, le pissenlit, le liseron, le coquelicot par exemple. D'autre part, des plantes étrangères sont apparues avec les nouvelles cultures, par vagues successives et de plus en plus nombreuses: à l'époque romaine, la nielle des blés, la chélidoine; à l'époque industrielle, la verge d'or du Canada. Jusqu'à maintenant, et selon C. Weber, quelque cinq cents plantes se sont ainsi invitées durablement dans notre flore indigène et composent près du tiers de l'effectif actuel. 

Genève, terre de bannissement

La diversité du paysage se ramène de plus en plus à une image tricolore: un peu de boisé, beaucoup de cultivé, de plus en plus de bâti. Bien des situations écologiques ont quasiment disparu: par exemple les zones humides, remplacées par des cultures, et les prairies sèches (les "tattes" ou "teppes") où s'installent les chalets de week-end. De là un appauvrissement net de notre flore: Claude Weber constate la disparition de quarante espèces en un siècle et suppose, sans en avoir eu la confirmation, que cent vingt autres plantes ont déserté. 

Pour une reconstitution de la flore genevoise

Donc, pour maintenir la diversité de notre flore, il faut assurer la présence de biotopes variés. Il faut des terrains propices à l'installation de pionniers, espaces nus à renouveler périodiquement. Il faut des massifs de forêt intacte, où l'on puisse observer le développement complet de l'architecture végétale. Des marais, à recreuser et débroussailler périodiquement, des prairies sèches, à faucher pour leur conserver leur aspect caractéristique. Donc beaucoup de travail, pour lequel les bonnes volontés ne manquent pas: de nombreuses associations s'y intéressent et concertent leurs activités sous la baguette du chef du Service des forêts, de la faune et de la protection de la nature. C'est ainsi que, par exemple, on a pu maintenir la bruyère vagabonde et réintroduire la Renoncule langue (Ranunculus lingua L.), dont les grandes et lumineuses fleurs jaunes, réapparues au bord de quelques marais genevois, permettent d'espérer la renaissance de la flore genevoise. 

P. H.
[p. 41]
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La forêt


Le pays de Genève 

Les principales zones forestières sont les bois de Jussy (583 hectares sur les communes de Jussy, Gy et Presinge), de Versoix (553 hectares sur les communes de Versoix et de Collex-Bossy) et de Satigny-Russin-Dardagny (516 hectares, dont une grande partie dans le vallon de l'Allondon). Au total, ce sont 2700 hectares dont 1300 appartiennent à l'Etat, aux communes et à des corporations de droit public, et 1400 à des particuliers. Le taux de boisement du Canton est de 9,5 pour cent, ce qui est peu si on le compare à celui de l'ensemble du pays (26%) mais beaucoup si l'on considère le haut degré d'urbanisation du Canton et l'intensité de ses cultures. Au cours des cent dernières années, certains secteurs de forêt ont disparu, les Monts de Russin par exemple; des sacrifices ont dû être consentis pour l'extension des cultures pendant la guerre et pour de grands travaux tels que l'édification du barrage de Verbois, l'extension de l'aéroport et la construction de l'autoroute Genève-Lausanne. En revanche, des surfaces ont été gagnées à la forêt au détriment de parcs (le bois Conti à Versoix) ou d'anciennes vignes ou cultures (bois de Chancy) ou pâtures (val de l'Allondon). Pratiquement, la surface boisée totale du Canton est restée à peu près ce qu'elle était au milieu du siècle dernier, malgré l'augmentation considérable de la population (voir tableau, p. 157). 

Caractéristiques de la forêt genevoise

La forêt genevoise appartient presque entièrement à différents groupements de la chênaie, dont le principal est celui de la chênaie à charme riche en molinie. Il s'agit d'une formation relativement dégénérée, ayant fortement pâti d'un régime d'exploitation brutal et excessif, la coupe en taillis. Jusqu'aux environs de 1950, les parcelles de forêt étaient coupées ras, à l'exception de quelques baliveaux ou jeunes arbres réservés, à intervalles d'une vingtaine d'années ou moins. Cette pratique provoqua un déséquilibre dans la composition des peuplements, le chêne prenant le dessus sur les autres essences qui normalement l'accompagnent. Il s'ensuivit une dégradation de la forêt et du sol forestier. De plus, la régénération par graines ne s'effectuant plus, seuls des rejets sur de vieilles souches et racines composent finalement un massif forestier très clair, au tapis herbacé abondant, foyer potentiel d'incendies de février à juin. [p. 43]
La propriété très morcelée, la vente profitable de produits intéressants, le bois de feu et l'écorce à tanner, expliquent la faveur que connut pendant longtemps ce mode d'exploitation.

Reconstitution de la forêt genevoise 

Ce système aurait pu se prolonger longtemps encore. Cela n'aurait pas déplu aux adversaires de toute modification dans le régime des propriétés, ni aux puristes attachés à une forme d'exploitation jugée "naturelle". Sous l'impulsion du conseiller d'Etat Aymon de Senarclens, une politique de restauration fut engagée au début des années cinquante en vue de donner à la forêt une position plus forte face aux appétits des promoteurs et des cultivateurs en quête d'espaces, et de la mettre mieux à la portée des citadins. La loi cantonale sur les forêts publiques et privées du 2 juillet 1954 est un des éléments fondamentaux de cette politique de restauration. L'obligation de traiter les forêts [p. 44] publiques selon le régime de la futaie, la prise en charge par les pouvoirs publics de la totalité des frais de travaux d'aménagement général (chemins, remaniements, etc.), la création d'un fonds forestier en sont les principes directeurs. Au cours des ans et au gré des nécessités, de nouveaux articles de loi et de réglement ont imposé des cheminements balisés aux cavaliers, interdit les dépôts en forêt, les clôtures en bordure des bois, les tentes et habitations mobiles à l'intérieur de la forêt, les constructions à moins de 30 mètres des lisières. Parallèlement, l'Etat procédait à l'achat systématique des parcelles de forêt qu'il pouvait acquérir: ainsi, la surface boisée appartenant à l'Etat est passée, en trente ans, de 47 à 1152 hectares. Ces acquisitions ont permis de limiter les tentatives d'empiètement et de réaliser de nombreux travaux d'amélioration. En revanche, les communes genevoises, contrairement à celles d'autres cantons, possèdent en général peu de forêts (130 ha en tout). 

La forêt, élément essentiel de la campagne genevoise

La forêt genevoise, c'est aussi un facteur important de l'équilibre écologique du Canton, un gîte irremplaçable pour sa faune et un attrait pour les promeneurs, sans parler de son potentiel économique (voir volume II). Tandis que les zones de délassement se font toujours plus rares, par la progression des constructions et par l'effet des méthodes d'agriculture intensive, la forêt représente un des seuls lieux accessibles à chacun — pour autant que l'on soit à pied — où l'on trouve une certaine tranquillité et un contact facile avec des choses simples de la nature. On peut rendre la forêt encore plus accueillante par diverses mesures: outre les chemins servant aux travaux forestiers, des sentiers pédestres permettent d'accéder aux secteurs intéressants et limitent en même temps, à ces passages, la fréquentation du public et les déprédations inévitables qui lui sont liées. Des places de stationnement, en périphérie des forêts, complètent ces aménagements. Localement, des équipements spéciaux tels que parcours d'entraînement physique, pistes cavalières, centres aérés dans des clairières, peuvent être implantés en forêt, mais il ne faut pas les multiplier de peur qu'ils ne nuisent à la conservation des sols et des peuplements.

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Une forêt bien constituée est une protection efficace contre l'érosion des terres, contre les affouillements des berges des cours d'eau, contre la pollution des nappes souterraines. Elle contribue aussi à maintenir la qualité de l'air que nous respirons. Elle offre à la faune un abri étendu et exempt de produits chimiques. Plusieurs secteurs de forêts, clairières et marais, tous situés en aire forestière, font partie de réserves naturelles, en particulier à Versoix (bois du Faisan et des Eclaireurs), à Gy (prés de Villette) et à Dardagny (Les Ouches). L'accès de ces parcelles reste limité et les exploitations de bois y sont inexistantes ou confinées aux seuls travaux d'entretien que peut exiger la conservation de certains biotopes de valeur.

Les arbres isolés

Les arbres isolés ou en rangées sont un des principaux charmes du paysage genevois: il coupent les longues perspectives, soulignent un accident de terrain ou un site exceptionnel, confèrent à la campagne une douceur et un relief que les champs cultivés et les vignes lui refusent, et ajoutent aux effets bénéfiques des forêts. 
Un inventaire exécuté de 1970 à 1978 sur l'ordre du conseiller d'Etat Gilbert Duboule a permis de dénombrer dans le Canton 191.603 arbres isolés de plus de 15 cm de diamètre à hauteur de poitrine, sans compter les arbres fruitiers, mais en comptant les noyers. Les chênes dominent, suivis des bouleaux, des épicéas, des pins, des érables, des peupliers et des tilleuls. Ensuite viennent, dans l'ordre, les marronniers, les charmes, les noyers, les frênes, les hêtres, les saules, les platanes, les robiniers et les ormes. Ces derniers disparaissent peu à peu sous l'effet de la graphiose, maladie qui atteint cette espèce dans toute l'Europe occidentale et contre laquelle on n'a pas trouvé jusqu'ici de remède. Les botanistes genevois du début du XIXe siècle ont eu le mérite de rapporter de leurs expéditions lointaines des arbres rares et splendides: cèdres du Liban, séquoias, gingkos, mûriers et même certaines espèces qui ne poussent normalement pas sous nos climats (mimosa, palmier, néflier, olivier, chêne liège, etc.). 

E. M.
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La faune sauvage et les milieux naturels


Les milieux naturels 

Le canton de Genève est une mosaïque remarquable de milieux "naturels". Il ne s'agit pas, bien entendu, de nature vierge jamais modifiée par l'homme. Les espaces que nous qualifions de naturels sont simplement ceux où la nature a la priorité sur les interventions humaines, où elle peut s'épanouir, où elle s'est maintenue ou reconstituée. En effet, un des intérêts de la nature genevoise, les forêts mises à part, réside dans le fait qu'elle est répartie, dispersée un peu partout, imbriquée et liée étroitement à l'homme et à ses activités. On peut donc affirmer que la faune sauvage vit parmi les hommes et s'est adaptée à eux. La rapidité avec laquelle les espèces s'installent dans un milieu entièrement "neuf", tel que les petits jardins ou haies de lotissements de villas ou encore en pleine ville, démontre cette faculté d'adaptation.

Evolution de la faune

Depuis le milieu du siècle dernier, l'évolution de la faune a été plutôt négative. Mais c'est à partir des années cinquante que les dégâts ont été les plus sensibles. Beaucoup d'espèces ont disparu définitivement, d'autres temporairement peut-être. Les causes en sont la destruction, l'altération ou la réduction de leur milieu vital (biotope) et de leur territoire, la pression humaine sous différentes formes, la raréfaction ou la suppression de leur type d'alimentation (diète) et des abreuvoirs, ou encore l'empoisonnement direct des individus. Il n'y a plus de place à Genève pour l'ours, le loup et le lynx. Seuls des noms de lieux rappellent parfois leur présence aux siècles passés. La loutre et le chat sauvage ont disparu, au moins momentanément, comme aussi quelques grands rapaces diurnes et nocturnes. Les petits carnivores (mustélidés en particulier) et les chauves-souris, insectivores, se sont raréfiés ou ont diparu localement. Le traitement chimique des cultures a tué en chaîne insectes, petits mammifères et oiseaux. Le remplacement des prairies naturelles par des prairies artificielles a supprimé une flore riche et variée et avec elle d'autres insectes (des hyménoptères entre autres) et la plupart des papillons. L'abattage des haies, arbres isolés, boqueteaux, pour faciliter l'exploitation agricole mécanisée, la suppression ou le comblement des marais, rivages marécageux et zones humides, et la pollution des eaux ont également hâté la [p. 48] 
diminution ou la disparition d'espèces animales. Parmi celles-ci nous citerons les faucons pélerin et hobereau, l'autour, l'épervier, les pies-grièches, la huppe, les traquets, le torcol, le gobe-mouches gris, certains pouillots et fauvettes. Quelques-unes de ces espèces se sont maintenues aux abords du canton et dans les Préalpes. La population d'autres oiseaux, corneilles noires et pies par exemple, robustes et omnivores, a augmenté aux dépens de passereaux plus fragiles. Mais dans l'ensemble la faune du canton est encore riche et diverse. Nous décrirons ici les espèces principales de vertébrés groupés selon les milieux qu'ils habitent, à l'exclusion des poissons, traités au chapitre de la pêche, et sans donner les noms scientifiques latins. 

Une montagne: le mont Salève

Le versant nord-ouest du Salève, de la Croisette à Etrembières, domine le territoire frontalier genevois entre La Croix-de-Rozon et Veyrier de ses parois et escarpements rocheux, abrupts, entrecoupés de vires, de combes, d'éboulis et terrasses inclinées à végétation herbacée, arbustive ou arborescente. La partie supérieure est, entre la Croisette et la Grande Gorge, un vaste pâturage, en dôme faiblement arrondi, de prairies naturelles, riches en graminées et plantes à fleurs.
Exception faite des constructions et hameaux du sommet, des carrières dans le bas et de quelques sentiers, ce versant accidenté ne s'est pas modifié depuis des siècles. La nature y est restée intacte. C'est en réalité un terrain difficile à parcourir, mais d'un grand intérêt par la richesse de sa flore particulière aux sols calcaires, sa faune et leur répartition verticale. Des grottes, abris sous roche, failles et "trous" complètent cet ensemble naturel remarquable.
Les terrasses boisées, très inclinées, forment un taillis souvent dense de hêtres, chênes, frênes, érables, tilleuls, aulnes, saules, cerisiers, pommiers, sorbiers, alisiers, cytises, noisetiers, sureaux, aubépines, etc. Sur les espaces plus dégagés, des buissons d'églantiers, amélanchiers, nerpruns, s'inscrivent entre les pins à crochet et les genévriers.
Dans les milieux qui leur sont propices fleurissent des plantes intéressantes: les cyclamen, sabot de Vénus, lis martagon, anthéric et digitale jaune, par exemple. Les terrasses herbeuses supérieures sont recouvertes localement d'une espèce d'ombellifere, le sermontin (Laserpitium), aux propriétés stimulantes et diurétiques, très apprécié des [p. 49] chamois qui sont friands des feuilles et, au printemps, des ombelles fleuries.
Les derniers ours et lynx y ont été tués respectivement en 1822 et 1820. Les loups, qui ont été vus dans le canton jusque vers 1870, y avaient de bons refuges. Les chasseurs ont introduit le lapin de garenne sur les crêts. Le statut actuel des chauves-souris, dont plusieurs espèces avaient des dortoirs ou hivernaient dans les grottes, est précaire.
Le chamois a colonisé le Salève à la fin de la dernière guerre. Il s'est reproduit et la colonie a prospéré dès 1950. A la fin des années soixante, on estimait la population à une centaine d'individus (Petit et Grand Salève). Malgré le braconnage et l'ouverture de la chasse au chamois il y a trois ans, la population reste relativement stable. Elle est saine et vigoureuse.
Le loir gris est fréquent dans la partie basse du Salève. Le lérot paraît plus rare. En restant immobile et camouflé pendant des heures, on peut observer blaireaux, renards, fouines et petits rongeurs. Le chat sauvage a fait quelques apparitions.
Parmi les oiseaux, on peut citer plusieurs espèces intéressantes. La disparition la plus remarquable... et regrettable est celle du plus petit vautour, le percnoptère d'Egypte, à la fin du siècle dernier. Le hibou petit-duc ne fait plus que des apparitions accidentelles dans la région. Le circaète Jean-le-Blanc, dont deux à trois couples se reproduisent dans les environs, vient assez régulièrement chasser la vipère aspic sur ce versant. La buse variable, la bondrée et l'épervier habitent les boisements, le faucon crécerelle et le faucon pélerin, ce dernier au statut incertain, les parois rocheuses.
Les parois supérieures abritent une colonie de martinets alpins et une autre d'hirondelles de fenêtre. L'alouette des champs niche dans les prairies du sommet et le pipit des arbres à leur lisière. En revanche, l'alouette lulu ne s'est pas fait entendre depuis longtemps. La fauvette des jardins s'est multipliée depuis les années soixante-dix et son chant mélodieux retentit dans les boisements des combes fraîches.
Dès la fin d'octobre, l'accenteur alpin vient s'établir pour la durée de la mauvaise saison et, à cette même période de l'année, on voit le tichodrome, véritable papillon de rochers aux ailes arrondies noires et rouges tachées de blanc. Le merle de roche, après avoir disparu pendant plusieurs décennies, est à nouveau observé depuis 1975.
Hôte d'été régulier, le traquet tarier se reproduit dans les prairies supérieures. Le pouillot de Bonelli, oiseau caractéristique de ce versant où il était abondant, a pratiquement [p. 50] disparu en 1978, peut-être momentanément. Curieusement, le pouillot Titis a aussi fortement diminué en plaine à la même époque. Quant au grand corbeau, après une longue période d'absence, ses effectifs ont remonté de façon spectaculaire et sa répartition s'est étendue. Habitant régulier du Salève jusqu'au début du siècle, il y est revenu dans les années soixante et s'y maintient bien. Le vol acrobatique des couples le long des parois et leur cri sonore sont familiers aux visiteurs. Depuis la fin des années soixante-dix, deux ou trois couples de choucas se sont installés dans les roches. Ils proviennent sans doute des quelques colonies des régions environnantes de plaine. Le chocard des Alpes ne fait au Salève que des apparitions occasionnelles en hiver.
Enfin, il faut signaler quelques hôtes des éboulis, buissons et haies du pied de la montagne. Quelques couples de fauvette orphée, dont le chant puissant rivalisait avec celui de la fauvette des jardins, y nichaient. Le bruant fou s'est raréfié alors que le bruant jaune se maintient dans les haies près des fermes et villages avec la linotte.
La vipère aspic et le lézard des murailles sont les deux reptiles les plus fréquents. L'auteur a trouvé aussi plusieurs fois la couleuvre coronelle. On rencontre la grenouille rousse et des tritons dans les quelques mares ou « gouilles ».
Les papillons et hyménoptères ont diminué de façon inquiétante, et cela malgré la richesse et la variété des fleurs. De belles espèces qui ne passent pas inaperçues, comme les flambé, machaon, apollon, paon de jour, vulcain et même le citron, les petits lycènes bleus et les zygènes, si communs auparavant, se sont raréfiés aussi bien que différentes espèces de guêpes, sphex, pompiles et chrysides.

La forêt 

Le canton comprend deux grandes zones forestières, au nord-ouest et au nord-est, de part et d'autre du lac, qui sont décrites dans le chapitre précédent. Les bois de Versoix ont des prolongements sur Vaud et sur France, ceux de Jussy en direction d'Hermance—Douvaine d'une part et de Brens—Sciez—Perrignier d'autre part (les Grands Bois et l'importante forêt de Planbois). La coupure-vallon du Foron au pied des Voirons n'est pas un obstacle pour les animaux. Les échanges de faune se font naturellement d'un pays à l'autre, sauf peut-être à l'ouest où ils sont plus modestes en raison de l'éloignement des forêts du Jura.
Chaque forêt ou partie de forêt a son caractère propre et [p. 51: image / p. 52] celui-ci définit le biotope des espèces animales. Certaines requièrent des conditions d'habitat bien précises et d'autres s'adaptent à différentes qualités de couvert.
Hérisson, musaraigne, lièvre, écureuil, mulot, campagnol et taupe sont assez largement distribués. Blaireau et renard recherchent le relief propice à l'installation de leur tanière. Ce dernier, moins strictement nocturne, est observé dans les espaces découverts où il chasse. Le sanglier, dont la population a été sérieusement "contrôlée" et réduite depuis quelques années, et le chevreuil sont des hôtes des bois de Jussy et de Versoix. Le cerf est, en revanche, un visiteur accidentel venant de France.
Les petits mustélidés sont localisés; le chat sauvage, réapparu récemment, pourrait peut-être se maintenir dans les secteurs les plus secrets, pour autant qu'il ne soit pas dérangé.
Les oiseaux de la forêt sont, pour la plupart, sélectifs dans le choix de leur habitat. Les arbres les plus hauts et les plus [p. 53] forts sont nécessaires aux rapaces diurnes. La buse variable, son élégante parente la bondrée apivore, le milan noir, l'autour, revenant récent, et l'épervier dont les effectifs se relèvent lentement, ont leur aire sur les larges fourches. Il faut à la chouette hulotte et au pigeon colombin les cavités de gros troncs, alors que les pics (cendré, vert et épeiche), sittelles, mésanges et grimpereaux se contentent de trous ou fissures du diamètre de leur corps dans les arbres moins importants.
La futaie ou le taillis, serré ou aéré, convient à la tourterelle des bois, au hibou moyen-duc, au geai et à la grive musicienne.
La qualité du sous-bois et du tapis végétal détermine le milieu préféré des espèces nichant à terre, telles que pouillots (siffleur, véloce), pipit des arbres, rouge-gorge, rossignol et, ici et là, en nombre restreint, engoulevent et bécasse.
La fauvette des jardins, le pouillot fitis et le loriot affectionnent la proximité des lieux humides à saules, aulnes et peupliers.
D'autres passereaux, roitelet huppé, merle noir, mésanges, troglodyte, pinson, bouvreuil et gros-bec habitent un peu tous les types de boisements mixtes, avec ou sans résineux. Le coucou parcourt les bois à la recherche des espèces d'oiseaux qu'il parasite. [p. 54]
Si l'on exclut les lisières très ensoleillées, fréquentées par la vipère aspic et le lézard des murailles, parfois par le lézard vert ou le lézard des souches, nos forêts ne sont pas riches en reptiles. La couleuvre coronelle (coronelle lisse) et l'orvet, toujours dissimulés, ne sont pas aisés à observer.

Les plaines 

La vocation de nos plaines est essentiellement agricole. Les monocultures, l'absence de prairies naturelles, la suppression des haies, boqueteaux et arbres isolés aussi bien que la canalisation des cours d'eau et les traitements chimiques, ont provoqué la disparition de nombreux oiseaux insectivores. En raison de leur pauvreté en espèces, Robert Hainard les a nommées "déserts agricoles". Beaucoup d'oiseaux et de mammifères pourraient probablement revenir et s'y installer si l'on recréait localement leur habitat.
Le lièvre et le faisan ont augmenté depuis la suppression de la chasse. Le renard, en partie éliminé en raison de la rage, capture le campagnol dans les plaines que le sanglier visite, attiré par les maïs.
Le faucon crécerelle et la buse variable y chassent à partir de leurs postes d'observation. Le busard Saint-Martin rôde de son vol souple en rase-mottes et niche dans les environs. Les oiseaux nicheurs se limitent à peu d'espèces et d'individus: quelques couples de perdrix grises, cailles, bruants ortolans et bergeronnettes grises, vanneaux huppés et alouettes des champs. Des centaines de corneilles noires occupent le terrain toute l'année.
En revanche, de nombreux migrateurs s'arrêtent dans ces plaines aux passages de printemps et d'automne et y séjournent plus ou moins longtemps. Déjà vers la fin de septembre, des passereaux discrets, traquet motteux, pipit spioncelle et bergeronnettes grises, descendus des montagnes, volettent de chaumes en labours. En nuées grises et blanches, les mouettes criardes suivent le soc des charrues et se précipitent sur les lombrics. Puis, lorsque les régions septentrionales de l'Europe se couvrent de neige ou de glace, des cohortes de corbeaux freux, des vols immenses de pinsons du nord, parfois des oies sauvages s'abattent sur les terres grasses et les blés naissants.
Au printemps, à la migration de retour, ces mêmes plaines sont une étape pour des cigognes blanches, bergeronnettes printanières, plus rarement des grues cendrées. Les zones inondées sont fréquentées par des limicoles, tels que chevaliers, courlis, vanneaux, pluviers, gravelots et bécassines.

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Les marais 

Nos véritables marais ont pratiquement tous disparu. Beaucoup de zones humides ont été récupérées pour l'agriculture afin d'assurer la subsistance de la population au cours de la dernière guerre mondiale, alors que la Suisse ne pouvait compter que sur elle-même. Aujourd'hui, beaucoup regrettent ces "éponges géantes", qui sont autant de réservoirs d'eau pour les périodes sèches et des régulateurs du climat. Les marais actuels du canton sont tantôt insérés dans la forêt (Prés de Villette), tantôt en zone ouverte (Mategnin), le long des cours d'eau (Moulin de Vert), ou des rives du lac (Pointe à la Bise). Quelques autres, moins importants, ont été aménagés (gravières) ou protégés (Choulex). Certaines dépressions sont sur le point de se "reconvertir" naturellement en marais... si on ne décide pas de les combler.
A part les visiteurs occasionnels ou réguliers, nous n'avons plus guère de mammifères spécifiques aux marais. Le statut du putois est fort douteux aujourd'hui et il est difficile d'identifier et d'observer la musaraigne d'eau ou les campagnols sans les piéger.
Notre seul et dernier marais lacustre est la belle roselière de la Pointe à la Bise, réserve naturelle depuis des décennies, de superficie bien modeste et sans possibilité d'extension. Intolérable pour les oiseaux les plus sensibles, la pression humaine qui s'exerce sur son pourtour a contraint des espèces à la déserter. C'est (ou c'était?) le domaine du petit héron blongios ou blongios nain, des rousserolles turdoïde et effarvatte, des bruant des roseaux, râle d'eau, poule d'eau, foulque macroule. Les marouettes, petits râles à la vie secrète, y font des apparitions. Grèbes huppés et castagneux, canard colvert en sont des hôtes réguliers. La locustelle tachetée et le phragmite des joncs s'y arrêtent au cours de leur migration. Au printemps, carpes et brochets viennent frayer dans les roseaux en eau profonde.
On trouve à peu près les mêmes oiseaux d'eau dans une autre réserve naturelle, le Moulin de Vert, marais situé dans un ancien bras du Rhône. Il a été récemment aménagé et forme un ensemble remarquable de roselières, eaux ouvertes à nénuphars (nymphéa), bancs de graviers, zone buissonnante et arborée entre les falaises et le fleuve. Des hérons cendrés capturent poissons et grenouilles. C'est en outre une place appréciée par les migrateurs et par nombre de batraciens et reptiles, en particulier par le lézard vert. La tortue bourbeuse (Cistude) y a été réintroduite avec succès.
Disons encore quelques mots d'un important site marécageux tout à fait caractéristique, la réserve naturelle des Prés [p. 57] de Villette, près de Gy. Ces marais ne comportent ni roselière, ni plan d'eau libre, à part une mare créée vers 1970. Ils ont un climat plutôt froid, une abondante végétation herbacée à joncs et carex, de très beaux couverts de saules, des fossés profonds où fleurissent les iris, des haies inondées et des clairières humides. A côté de leur flore, leur intérêt réside dans une juxtaposition et une interpénétration de la faune de la forêt et de celle du marais.
Buse et bondrée apivore nichent dans les grands arbres du bord, survolent le marais que le busard des roseaux visite et où les sangliers viennent patauger et se mettre "au frais", causant quelque panique parmi les couvées de canard colvert ou de poule d'eau. Deux espèces inattendues s'y sont installées, le blongios nain, qui n'est pas dans son biotope habituel, et la sarcelle d'hiver, dont la reproduction a été observée pour la première fois dans le Canton en 1971.
Les marais où l'on peut encore observer quelques chauves-souris chassant au crépuscule, sont un habitat de choix pour diverses espèces de reptiles et de batraciens: la couleuvre à collier, les grenouilles verte, rousse et agile, la rainette verte, le crapaud sonneur à ventre de feu, aux parties supérieures couleur de terre, le crapaud commun, plus rarement le calamite, trois espèces de tritons, le crêté, le palmé et l'alpestre. Jaune et noire, la salamandre tachetée est moins fréquente et peuple uniquement les forêts.

Les cours d'eau 

L'importance faunistique de nos cours d'eau est considérable, mais elle s'est amoindrie en raison de la pollution et de la pression humaine. La loutre a disparu, des poissons et l'écrevisse ont diminué ou disparu.
Dans les années trente, on trouvait truites et écrevisses dans la Seymaz et l'on pouvait photographier la fraie des ombres de rivière au quai Turrettini, suivre à travers les eaux claires du Rhône les gracieux mouvements de leur corps et l'ondulation de leur spectaculaire nageoire dorsale.
Le parcours genevois de l'Arve n'est que de quelques kilomètres. Malheureusement, ses eaux froides et sur fond de gravier, qui pourraient être poissonneuses, sont polluées par les industries de la vallée. Sous Veyrier, ses îles, où l'on a découvert dans les années vingt le nid du petit gravelot et du chevalier guignette ont été bouleversées par des travaux et des exploitations. Les nouveaux plans d'eau ont cependant une valeur ornithologique et les rives boisées recèlent encore la couleuvre d'Esculape, rare ailleurs. [p. 58: image / p. 59] 
Le Rhône s'étale en amont des barrages de Verbois et de Génissiat où le faible courant attire grèbes, canards et foulques. Les dernières loutres du canton étaient sur ce fleuve. En aval de Chancy (Etournel), des bancs de sable, îles, nouveaux bras et petits lacs se sont formés. Ils attirent un nombre élevé de palmipèdes et d'échassiers au cours des migrations.
Avec son vallon ensoleillé et abrité, ses eaux rapides, oxygénées et sur galets, ses îles et sa flore particulière, l'Allondon est un site de choix pour les naturalistes, pêcheurs et promeneurs. Il faut y ajouter ses affluents, le Roulave dans son ravin profond et le Lion sur territoire français. Blaireau et renard, le putois peut-être encore, ont là un excellent biotope. Petit gravelot, chevalier guignette, martin-pêcheur, cincle plongeur et bergeronnettes peuplent les bancs de gravier et la rivière. Le circaète Jean-le-Blanc vient chasser les serpents de ce vallon où l'on trouve tourterelle des bois, loriot, rossignol, fauvette, pouillot de Bonelli, linotte, serin cini, bruant zizi et tant d'autres.
Les escarpements chauds et les îles sont peut-être l'endroit le plus riche en reptiles du canton. Le magnifique lézard vert, le lézard des murailles et peut-être celui des souches, les couleuvres vipérine, verte et jaune (espèce typique de la faune méditerranéenne), à collier et coronelle et la vipère aspic en sont les plus caractéristiques.
La Laire s'écoule à ciel ouvert ou sous un rideau d'arbres. Elle a quelque parenté avec l'Allondon en raison de son exposition.
De Divonne à Versoix, la Versoix présente des aspects variés. Tout d'abord ouverte ou bordée d'un mince rideau d'arbres, elle coule sans bruit, profonde entre des rives planes et marécageuses puis, dès son entrée dans les bois, elle serpente plus rapide et cachée, encaissée. Ses eaux froides et propres sont poissonneuses. Elles sont un bon biotope à truite, mais aussi à cincle plongeur et à martin-pêcheur. Le castor y a été réintroduit avec succès. Il trouve une nourriture abondante dans les aulnes, saules et peupliers des rives.
Les marais de la Versoix, sur territoire français et vaudois, furent les plus beaux des environs de Genève et l'habitat des courlis cendrés, bécassines et busards.
Les autres petits cours d'eau du canton ont un régime irrégulier. Ils sont parfois, localement, à sec en saison chaude. La valeur des ruisseaux ne tient pas seulement à leurs eaux, mais plus encore à leur tracé, au sillon profond dessiné par un ruban d'arbres où domine le frêne, aux talus à végétation arbustive, appréciés des oiseaux et de quelques [p. 60] mammifères, où l'on voit fleurir les premières corydales et ficaires au printemps et, finalement, aux "creux" ou "trous" d'eau où subsistent quelques petits poissons et crustacés en période sèche. 

Le Léman 

Le Petit Lac est devenu une extraordinaire réserve d'oiseaux d'eau. Leur nombre a largement doublé depuis l'invasion récente d'un mollusque bivalve, la moule zébrée (Dreissena polymorpha) identifiée en 1962, la prolifération de l'épinoche et des poissons blancs au cours de la même décennie et, plus tard, la suppression de la chasse.
La sécurité, une alimentation nouvelle et abondante retiennent pendant toute la "saison froide" des milliers de grèbes, canards, foulques et mouettes rieuses. Les jours d'hiver, les concentrations de certaines espèces le long des rives et les vols en groupes serrés de centaines de fuligules croisant en tous sens, sont un spectacle fascinant.
Resserré entre Jura et Préalpes, le couloir d'eau lac-Rhône est une voie de migration utilisée dans les deux sens. Les migrateurs sont soit des visiteurs réguliers, rares ou accidentels, soit des hivernants en nombre élevé. Nous n'en citerons que quelques espèces: plongeons du grand nord, grèbes, grand cormoran, cygnes chanteur et de Bewick lors des hivers les plus rigoureux, canards de surface, nette rousse, fuligules par milliers, eider à duvet, macreuses, garrot à oeil d'or, harelde de Miquelon, érismature à tête blanche, harles, foulques par milliers aussi, labbes, mouettes, goélands, sternes et guifettes. Des limicoles, gravelots, pluviers, tournepierre à collier, bécasseaux, chevaliers, courlis, bécassines survolent le lac sans s'arrêter ou se reposent quelques heures sur les jetées, digues et "bouts" de plages ou même sur l'eau comme les rares phalaropes qui nagent bien grâce à leurs palmures indépendantes.
Des hérons, surtout le héron cendré, séjournent sur les rives. Martin-pêcheur, bergeronnette et pipit spioncelle s'y installent "hors-saison". Des hôtes d'été, grèbes huppé et castagneux, canard colvert, foulque et poule d'eau,s'y reproduisent. Le harle bièvre niche dans les cavités des arbres ou... dans les nichoirs disposés à son intention. Sa population a augmenté depuis les années soixante en raison peut-être de la prolifération des vengerons. Le manque de "logements" l'oblige quelquefois à en rechercher loin de l'eau (coteau de Cologny) et des femelles se disputent souvent le même trou! Les cygnes tuberculés, semi-domestiques, en nombre croissant [p. 61] sur tout le lac, n'ayant aucun prédateur, ne trouvent plus assez d'emplacements pour se reproduire. Un rapace, le milan noir, prend au printemps et en été les poissons morts ou malades.
Chez les mammifères, les chauves-souris, en forte régression, capturent les insectes lors de leurs chasses nocturnes. Les castors, venus des rivières suisses ou françaises, voyagent de temps à autre le long des rives. Il n'est pas rare de découvrir leurs traces ou les branches qu'ils ont coupées ou rongées.
On le voit, l'intérêt faunistique du Léman est très varié et ne provient pas uniquement des poissons. Il présente un grand attrait à la population et aux artistes. 

La faune en ville 

La ville n'est, bien entendu, pas un milieu naturel mais plutôt un habitat singulier, auquel des espèces animales appartiennent depuis des siècles ou auquel elles se sont adaptées. Il y a toujours eu dans nos villes des rats, des souris, des moineaux, espèces liées à l'homme et à ses habitations. De profonds changements sont intervenus, depuis le début du siècle, dans l'architecture des bâtiments urbains. La disparition progressive des toitures à pans, avant-toits, charpentes et combles, ou "greniers", et leur remplacement par du béton ou du métal ont supprimé les "logements" du martinet noir, de l'hirondelle de fenêtre, du rouge-queue noir, des chauves-souris et même, en périphérie, ceux de la fouine.
Les grands parcs publics de La Grange, des Eaux-Vives et de Mon-Repos aux très beaux arbres centenaires, exotiques ou non, aux pelouses soignées, sont habités par un grand nombre d'écureuils et d'oiseaux venus de la "campagne" voisine. En revanche, les parcs Bertrand, des Cropettes et des Bastions sont à l'intérieur de la zone urbaine. Celle-ci comporte en outre des allées d'arbres le long des rues, des squares et quelques jardins privés arborisés.
Des oiseaux des milieux naturels, bois, haies ou bosquets se sont adaptés à cette végétation citadine. Pigeon ramier, chouette hulotte, pic épeiche, rouge-gorge, merle noir, fauvette à tête noire, mésanges, sittelle, pinson, verdier, même le geai méfiant et la corneille noire sont les plus fréquents. Cette dernière, déjà envahissante ailleurs, est arrivée en nombre dans les parcs où elle exerce une forte prédation parmi les autres oiseaux. Il y a aussi des cas curieux de nidification tels ces canards colverts couvant dans les bacs [p. 62: image / p. 63] à fleurs d'immeubles locatifs! Quant à la tourterelle turque, n'importe quelle situation lui est bonne pour autant qu'elle trouve un support pour son nid. Suivant l'exemple des moineaux, les étourneaux ont adopté les grands arbres des places et squares comme dortoirs. Ils se sont habitués au bruit de la circulation et à l'éclairage public! Les mouettes rieuses volent en pleine ville d'un immeuble à l'autre à la recherche de quelque morceau de pain. Avant d'avoir pratiquement disparu, victime des pesticides, le faucon pélerin venait du Salève chasser les pigeons en ville et était un auxiliaire involontaire des services chargés de limiter le nombre de ces oiseaux domestiques.

Le bocage genevois 

Le bocage est une "région où les champs et les prés sont enclos par des levées de terre portant des haies ou des rangées d'arbres et où l'habitat est dispersé généralement en fermes et en hameaux" (Petit Larousse, 1979). Le bocage genevois présente très peu de différence avec la définition du dictionnaire. On peut en retrancher les levées de terre qui pourtant existent localement le long des chemins, y ajouter fossés et ruisseaux bordés de frênes, bosquets, bouquets d'arbres et quelques mares, préciser que les arbres en "rangées" sont surtout des chênes centenaires et monumentaux et que les champs sont des cultures.
Genève peut donc prétendre à un bocage "amélioré" et plus complet sur le plan de la nature. Sa beauté est réputée. Ce milieu naturel est probablement le plus riche en espèces animales et particulièrement en oiseaux. On peut en dénombrer plus de cent espèces dont 58 nicheuses. Si l'on tient compte de l'absence presque complète d'échassiers et de palmipèdes, l'on obtient une majorité de passereaux auxquels s'ajoutent quelques rapaces diurnes et nocturnes, colombins et gallinacés.
Parmi les mammifères que l'on peut observer dans le bocage, on trouve hérisson, taupe (rare!), musaraigne, lièvre, rats divers (surtout le surmulot), souris grise, campagnol, mulot, muscardin et écureuil, renard, blaireau, fouine, hermine et belette. Le lapin de garenne a colonisé quelques sites. Sanglier et chevreuil font des apparitions irrégulières.
A part le lézard des murailles et le lézard des souches, on peut noter la présence des orvet, coronelle lisse, vipère aspic et couleuvre à collier. Le crapaud commun doit être bien représenté: dans une seule mare, à Presinge, une centaine d'individus séjournent en mars pour la durée de la reproduction. [p. 64] Sitôt la ponte terminée, ils disparaissent. Les grenouilles verte et agile sont localement communes, la grenouille rousse et les tritons sont occasionnels.
La diminution catastrophique des insectes s'est encore accentuée ces dernières années. Coléoptères, hyménoptères et lépidoptères sont presque des souvenirs, à part quelques espèces.
Le charme du bocage printanier est sous les arbres, dans les bosquets clairs, le long des haies, dans les coloris subtils des corydales, les tapis bleus, mauves, jaunes ou blancs d'anémones, scilles, alliaires, primevères, ficaires, pulmonaires, pervenches, violettes ou véroniques.
Le territoire des fleurs est restreint. Les haies subsistent ou renaissent modestement.
Cette association bocage, fermes, hameaux, vergers et jardins est l'exemple d'un équilibre possible et harmonieux entre l'homme, la flore et la faune sauvages.
Dans le crépuscule printanier, les couples de colverts s'annoncent par un sifflement d'ailes et le bavardage discret des mâles. Silhouettes rapides sur le couchant, froissement de plumes, clapotis sur l'eau, et les voilà posés sur la mare où les grenouilles, surprises, se taisent un instant. Puis, lorsque les petites chevêches se répondent encore sur un ton un peu mélancolique, l'effraie aux ailes silencieuses, plus pâle que l'ombre mauve, passe en chuintant et s'apprête à chasser le campagnol. La voix éclatante des rossignols est maintenant seule maîtresse de la nuit.
Le réveil matinal est polyphonique, prodigieux par la multiplicité et la superposition des sons. Au fond, modeste mais confus, des chants de pinsons, mésanges, pouillots, fauvettes ou troglodytes, s'ajoutent les dominantes sonores du rossignol, du merle et de la fauvette des jardins. Un renard lance un lointain et dernier défi et s'enfonce dans le sous-bois. Deux lièvres se poursuivent dans un lambeau de brume. Le coq faisan, en vigie depuis un instant sur une levée de terre, éructe deux notes percutantes et claque des ailes. Déjà les rayons tranchent la toile éloignée et confuse des forêts au moment où le soleil émerge de la crête des Voirons. Un nouveau jour se lève sur le bocage. Brèves images parmi tant d'autres!
La faune sauvage, souvent secrète, parfois invisible, est plus active, plus présente et multiple qu'on ne l'imagine. Mais elle doit se cacher pour survivre dans une nature perpétuellement menacée. 

Ch.-A. V. 
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Les invertébrés


Si les vertébrés sont connus de chacun et relativement faciles à voir parce que leur taille est toujours appréciable, il n'en va pas de même des invertébrés qui cependant ont une importance considérable dans les équilibres naturels. L'homme commence seulement à le reconnaître, après des expériences malheureuses telles que l'abus du DDT.

Données statistiques

Les quelques données suivantes préciseront la prépondérance des invertébrés, même si on ne les voit pas toujours. En général, les vertébrés ne comptent que 4,3 pour cent du nombre des espèces animales contre 95,7 pour cent pour les invertébrés; et dans la région genevoise, cette proportion ne doit pas être très différente. D'autre part, des estimations sur les populations d'insectes seuls ont fait apparaître une densité moyenne de 60.000 insectes au mètre carré en Europe. Aux insectes, il convient d'ajouter les autres invertébrés, en particulier les acariens et les nématodes qui forment parfois des populations très denses dans le sol, ce qui doit doubler ces chiffres: on dépasse donc les 100.000 invertébrés au mètre carré! Quant à l'importance des invertébrés dans les équilibres naturels, il n'y a qu'à penser au rôle des abeilles dans la pollinisation des arbres fruitiers, sans parler de la production de miel. Les vers de terre (un champ pâturé en contient un poids supérieur à celui des ruminants), acariens et nématodes (la faune du sol en général) jouent un rôle capital dans la formation de l'humus et l'aération du sol. 

Le Canton, carrefour des invertébrés du Nord et du Midi

Pour un certain nombre d'animaux, notre canton se trouve à la limite nord de la zone méditerranéenne. Il peut aussi, dans d'autres cas, représenter la limite d'extension méridionale d'espèces du nord. C'est dire que la faune des invertébrés est particulièrement diversifiée et intéressante. Son étude est loin d'être terminée de façon exhaustive, et pourtant cette faune est en train de se raréfier de manière dramatique, non seulement du fait de l'extension de la ville et de la destruction des haies et friches, mais également du fait des utilisations abusives de pesticides; la tendance actuelle est de limiter ces utilisations au minimum, c'est la lutte dite intégrée, ou d'utiliser des auxiliaires (ennemis [p. 66] naturels des parasites), c'est la lutte biologique. Une autre cause de la disparition d'insectes, en particulier d'insectes nocturnes, est l'utilisation dès la fin de la guerre des lampes à vapeur de mercure dans un éclairage public surdéveloppé: elles attirent une foule d'insectes qui sont détruits.
Un rapide tour d'horizon des principaux groupes d'invertébrés permet de signaler des espèces intéressantes ou particulières au canton de Genève. Parmi les protistes ou unicellulaires qui représentent à eux seuls un monde et qui ont été étudiés au début du siècle par Eugène Penard, nous ne citerons que le sang des Bourguignons (Oscillatoria rubescent) qui pullule périodiquement, donnant au lac une teinte brune caractéristique et qui n'est apparu dans le Léman qu'à la fin des années cinquante. Dans le lac également, on trouve de petites éponges d'eau douce et dans les mares et cours d'eau, les hydres qui ont fourni à Abraham Trembley (1710-1784) le sujet de ses célèbres études.
Au nombre des plathelminthes ou verts plats, on signale de petites planaires terrestres, en plus des espèces aquatiques. Les poissons du lac abritent souvent des larves du bothriocéphale et les cas d'infestation de l'homme par des poissons mal cuits ne sont pas rares. Enfin, les canards et d'autres oiseaux aquatiques hébergent une espèce de schistosome qui n'est pas infestante pour l'homme, mais dont les larves (cercaires) essaient souvent de pénétrer dans la peau de l'homme, provoquant ce que l'on a nommé la dermatite des baigneurs.
Le lac recèle aussi quelques espèces de bryozoaires, en particulier les curieuses colonies de Cristatella mucedo, qui se déplacent sur une sole commune.
Parmi les annélides, on trouve dans les prés humides une sangsue pouvant atteindre 10 centimètres de long et qui se nourrit de lombrics.
Plusieurs mollusques sont à signaler. Les deux espèces comestibles d'escargot, Helix pomatia et H. aspersa, sont maintenant protégées pour éviter des prélèvements trop importants. Quant à Helix aspersa, le petit gris, méditerranéen, il aurait été introduit vers 1885. Une étude de son aire de répartition a montré qu'il s'était déplacé de 3 kilomètres en 61 ans! Autres espèces introduites, un gastéropode vivipare et la grande planorbe. Parmi les lamellibranches, l'anodonte du lac peut atteindre 15 centimètres. Un nouveau venu, la moule zébrée (Dreissena polymorpha), dont l'aire de répartition s'est élargie à partir de la Caspienne, est apparu dans le Léman en 1962.
Dernier groupe d'invertébrés et le plus important, les [p. 67] arthropodes comptent aussi des espèces dignes d’intérêt. Tout d’abord les crustacés, avec l’écrevisse, que l’on doit considérer comme ayant pratiquement disparu du canton.
Pour les insectes, qui sont les invertébrés les mieux connus du grand public, la raréfaction, la disparition même de groupes entiers est particulièrement évidente: tout le monde s’est aperçu que les papillons se voient de moins en moins dans les campagnes. De même, le hanneton a pratiquement disparu de la région, alors qu’il y a une cinquantaine d’années, chacun avait l’obligation, les années à hannetons, d’en récolter et d’en détruire par kilos!
Des représentants de la région méditerranéenne étaient bien établis dans le canton mais ont tendance actuellement à disparaître, sauf un minuscule insecte primitif du sol, le japyx. En effet, le grand paon de nuit, le plus grand papillon d’Europe, a disparu malgré des essais de réintroduction, la mante religieuse est devenue très rare de même que les cigales; le hanneton foulon se trouve encore parfois au Mont-de-Sion.
Les grandes invasions d’insectes, comme les vols de criquets qui atteignaient l’Europe occidentale au Moyen Age, sont pratiquement terminées ou sont le fait d’insectes importés de régions lointaines et n’ayant pas ici d’ennemis naturels régulateurs, tels le doryphore. Cependant, dans les années soixante, le bombyx disparate a fait une dernière pullulation à Faverges, près d’Annecy. Il est heureusement contrôlé dans nos régions par un coléoptère, le calosome, qui dévore les chenilles.
La lutte intensive contre le doryphore a eu pour conséquence la disparition d’un autre gros papillon nocturne, le sphinx à tête de mort qui, maintenant que le doryphore a disparu et que les cultures de pommes de terre sont moins traitées avec des pesticides, a tendance à réapparaître. Le castor, réintroduit dans le canton, a ramené son ectoparasite, un coléoptère, le Platypsyllus castoris. Et pour terminer, le pou, considéré comme rayé de notre faune, est de nouveau fréquent, de même que dans toute l’Europe.
Si l’on peut se féliciter de la disparition ou du contrôle de certaines espèces qui gênent directement l’homme ou ses activités (hanneton, doryphore, pou, ...), il faut se garder
d’applaudir à la raréfaction du petit monde grouillant des invertébrés. Le rôle de chacun d’eux n’est pas toujours connu et leur élimination pourrait conduire à des déséquilibres catastrophiques de la nature. Les désinsectisations brutales, utilisées parfois, font heureusement place à des méthodes de contrôle plus fines et plus précises.

J. W.
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